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soir que sa tragédie intitulée le Siege de Damas, fut représentée pour la premiere fois sur le théatre de Drury-Lane, avec un grand succès.

Il est surprenant que l’auteur ait été en état de composer une piece aussi remplie d’esprit, dans un tems où la mort le talonnoit de près, & où il étoit trop foible pour copier lui-même son ouvrage. On convient généralement que cette tragédie brille par ses descriptions, que la diction en est pure, que la morale en est belle, que les sentimens y sont convenables aux caracteres, & que l’intrigue y est conduite avec simplicité. On trouve néanmoins que l’angoisse de Phocyas dans les IVe & Ve actes, n’est pas suffisamment fondée ; car quel est son crime ? Damas est vivement attaquée par les Sarrazins. Il n’y a point d’espérance de secours. Elle doit donc en très-peu de tems tomber entre leurs mains, être saccagée, & les habitans ne peuvent échapper à l’esclavage. Dans une si dangereuse conjoncture, Phocyas aide à l’ennemi de se rendre maître de cette place, quelques jours plutôt. Mais sous quelles conditions ? Que tous ceux qui mettront les armes bas seront épargnés, & que chaque habitant aura la liberté de se retirer, & d’emmener avec lui une mule chargée de ses effets ; que les chefs pourront charger six mules, & qu’on leur permettra d’avoir des armes pour se défendre contre les montagnards, ensorte que Duran dit, acte V. scene I. « on ne voit point ici l’image de la guerre, mais celle du commerce, & il semble que les marchands envoient leurs caravanes dans les pays voisins ».

Il n’y a rien en tout cela qu’un homme de bien n’ait pu faire pour sa patrie. Si Phocyas, dit-on, est coupable, son crime consiste uniquement en ce qu’il a fait par le sentiment de ses propres maux, & pour garantir l’objet de son amour de la violence ou de la mort, ce qu’il auroit pu faire par de plus louables motifs. Mais il ne paroît pas que cela soit suffisant pour autoriser les cruels reproches qu’il se fait à lui-même, & la dureté qu’Eudocie lui témoigne. Il auroit été beaucoup plus raisonnable, vû la fragilité humaine & la grandeur des tentations auxquelles il étoit exposé, qu’il se fût enfin laissé gagner à embrasser le mahométisme ; alors ses remords auroient été naturels, son châtiment juste, & le caractere d’Eudocie exposé dans un plus beau jour.

Cette observation des connoisseurs paroît d’autant plus vraie, que M. Hughes avoit suivi d’abord le plan qu’on vient de voir. Mais quand on offrit sa piece aux directeurs du théâtre de Drury-lene en 1718, ils refuserent de la représenter, à-moins que le poëte ne changeât le caractere de Phocyas, prétendant qu’il ne pouvoit être un héros, s’il changeoit de religion, & que les spectateurs ne pourroient souffrir sa vue après son apostasie, quels que fussent ses remords, & quelque vive qu’on peignit sa repentance. Il semble pourtant qu’il paroîtroit plus digne de pitié que d’exécration, lorsque dans l’angoisse de son ame, il se laisseroit enfin persuader, quoiqu’avec répugnance & avec horreur, à baiser l’alcoran. Mais l’auteur qui étoit dans un état de langueur, craignit que ses parens ne perdissent le profit que cette piece pourroit leur rapporter, & consentit à changer le caractere de Phocyas.

Il y a dans cette tragédie plusieurs beautés de détail, des situations intéressantes, des peintures vives & des morceaux touchans. Les réflexions que Phocyas fait sur la mort, lorsque Khaled l’en a menacé, sont fortes. « Qu’es-tu, (dit Phocyas en parlant de la mort), objet redouté & mystérieux de la plus grande terreur ? Les routes pour te trouver sont connues ; les maladies, la faim, l’épée, le feu, tout, en un mot, tient nuit & jour les portes ouvertes pour aller à toi. Arrive-t-on au terme, dans

ce moment même on n’est plus en état d’y songer. L’instant est passé ! O si ce sont les détresses, les agitations, les angoisses qu’il faut appréhender quand l’ame se sépare du corps, je connois tout cela, j’en ai déja fait l’épreuve, & je n’ai plus rien à craindre ». Ensuite au moment qu’il tire la fleche qui lui avoit percé la poitrine, & qu’il meurt, « tout est fait, s’écrie-t-il à Eudocie.... c’étoit la derniere angoisse.... enfin j’ai renoncé à toi, & le monde ne m’est plus rien ».

Tous les écrits de M. Hughes sont fort goûtés ; ils consistent en poésies ; pieces de théatre, traductions & ouvrages en prose. Il avoit traduit une partie de Lucain, lorsque M. Rowe publia tout l’ouvrage. Son ode au créateur de l’univers passe pour une des plus belles qu’il y ait en anglois. Toutes les poésies de cet auteur ont été publiées à Londres en 1739, en deux volumes in 12. Il y a de sa main quantité de morceaux dans le spectateur, ainsi que dans le tatler, entr’autres, les caracteres de Léonard de Vinci, de Bâcon, de Boyle & du chevalier Newton. On lui attribue l’ouvrage intitulé The lay-monastery, suite du spectateur, dont la seconde édition parut à Londres en 1714, in-12. Enfin on doit à M. Hughes l’édition la plus exacte qu’on ait des œuvres d’Egmond Spencer, Londres 1715, en six vol. in-12. On a mis un abrégé de sa vie & de ses écrits à la tête du premier volume de ses Poems on several occasions, London 1735, in-12.

Ajoutons qu’un des grands amis de M. Hughes, & l’un des meilleurs écrivains d’Angleterre, M. Addisson, étoit compatriote de ce bel esprit. Il naquit à Wilton, autrefois capitale du Wiltshire, & c’est-là que nous avons donné son article.

Mais l’Angleterre n’a pas eu dans le xvij. siecle, d’auteur plus célebre que Hobbes, dont on a parlé à l’article Hobbisme. On sait qu’il naquit à Malmesbury en Wiltshire, & qu’il mourut en 1679, à 91 ans. Cet écrivain fameux est aujourd’hui fort négligé, « parce qu’un système physique ou métaphysique, dit M. Humes, doit ordinairement son succès à la nouveauté, & n’est pas plutôt approfondi, qu’on découvre sa foiblesse. La politique de Hobbes n’est propre qu’à favoriser la tyrannie, & sa morale qu’à nourrir la licence. Quoiqu’ennemi de toute religion, il n’a rien de l’esprit du scepticisme ; il est aussi décisif que si la raison humaine, & la sienne en particulier, pouvoient atteindre à la parfaite conviction. La propriété des termes & la clarté du style font le principal mérite de ses écrits. Dans son caractere personnel, on le représente comme un homme vertueux : ce qui n’a rien d’étonnant, malgré le libertinage de ses principes moraux. Le plus grand défaut qu’on lui reproche, est une excessive timidité ; il parvint à la derniere vieillesse sans avoir jamais pu se réconcilier avec l’idée de la mort. La hardiesse de ses opinions & de ses maximes forme un contraste très-remarquable avec cette partie de son caractere ». (Le chevalier de Jaucourt.)

WIMBURMINSTER ou WINBURMINSTER, (Géog. mod.) gros bourg d’Angleterre, dans Dorsetshire, sur le bord de la Stoure. Ce bourg s’est élevé sur les ruines d’une place ancienne nommée Vindugladia ou Vindogladia : ce qui en langue galloise, signifie entre deux rivieres, parce qu’elle étoit entre les rivieres de la Stoure & de l’Alen, qui vient du nord y apporter ses eaux. Les Saxons l’appellerent Winburnham ou Wimburminster, à cause d’un ancien monastere qui y fut fondé en 713, par la princesse Cuthburgue. On y voit un college pour l’instruction de la jeunesse, fondé par la princesse Marguerite, comtesse de Richmond, mere du roi Henri VII. On y voit aussi une assez belle église, avec un clocher