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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/70

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prit, plus il sera incapable de remuer les corps : de même que la sagesse entant que sagesse, étant incapable de tomber dans l’extravagance, plus elle est sagesse, & plus elle est incapable de tomber dans l’extravagance. Ainsi donc un esprit infini sera infiniment incapable de remuer les-corps, Dieu étant un esprit infini, il sera dans une incapacité infinie de remuer mon corps, Dieu & mon ame étant dans l’incapacité de donner du mouvement à mon corps, ni mon bras ni ma jambe ne peuvent absolument être remués, puisqu’il n’y a que Dieu & mon ame à qui ce mouvement puisse s’attribuer. Tout ceci est nécessairement tire de son principe par un tissu de vérités internes. Car enfin suppose le principe d’où elles sont tirées, il sera très-vrai que le mouvement qui se fait dans mon bras, ne sauroit se faire, bien qu’il soit très-évident qu’il se fait.

Quelque étranges que puissent paroître ces conséquences, cependant on ne peut trouver des vérités internes mieux soutenues, chacune dans leur genre ; & celles dont nous venons de rapporter des exemples, peuvent faire toucher au doigt toute la différence qui se trouve entre la vérité interne ou de conséquence, & la vérité externe ou de principe ; elles peuvent aussi nous faire connoître comment la logique dans son exercice s’étend à l’infini, servant à toutes les sciences pour tirer des conséquences de leurs principes, au lieu que la logique dans les regles qu’elle prescrit, & qui la constituent un art particulier, est en elle-même très-bornée. En effet elle n’aboutit qu’à tirer une connoissance d’une autre connoissance par la liaison d’une idée avec une autre idée.

Il s’ensuit de-là que toutes les sciences sont susceptibles de démonstrations aussi évidentes que celles de la géométrie & des mathématiques, puisqu’elles ne sont qu’un tissu de vérités logiques, en ce qu’elles ont d’évident & de démontré. Elles se rencontrent bien avec des vérités externes ; mais ce n’est point de-là qu’elles tirent leur vertu démonstrative ; leurs démonstrations subsistent quelquefois sans vérité externe.

Ainsi la géométrie démontre-t-elle, comme nous l’avons déja dit, qu’un globe mille fois plus grand que la terre peut se soutenir sur un essieu moins gros mille fois qu’une aiguille ; mais un globe & une aiguille, tels que la géométrie se les figure ici, ne subsistent point dans la réalité : ce sont de pures abstractions que notre esprit se forme sur des objets.

Admirons ici la réflexion de quelques-uns de nos grands esprits : il n’est de science, disent-ils, que dans la géométrie & les mathématiques. C’est dire nettement, il n’est de science que celle qui peut très-bien subsister sans la réalité des choses, mais par la seule liaison qui se trouve entre des idées abstraites que l’esprit se forme à son gré. On trouvera à son gré de pareilles démonstrations dans toutes les sciences.

La physique démontrera, par exemple, le secret de rendre l’homme immortel. Il ne meurt que par les accidens du dehors ou par l’épuisement du dedans ; il ne faut donc qu’éviter les accidens du dehors, & réparer au-dedans ce qui s’épuise de notre substance, par une nourriture qui convienne parfaitement avec notre tempérament & nos dispositions actuelles. Dans cette abstraction, voilà l’homme immortel démonstrativement & mathématiquement ; mais c’est le globe de la terre sur une aiguille.

La morale démontrera de son côté le moyen de conserver dans une paix inaltérable tous les états du monde. La démonstration ne se tirera pas de loin. Tous les hommes se conduisent par leur intérêt : l’intérêt des souverains est de se conserver mutuellement dans l’intelligence ; cet intérêt est manifeste par la multiplication qui se fait pendant la paix, & des

sujets du souverain, & des richesses d’un état. Le moyen d’entretenir cette intelligence est également démontré. Il ne faut qu’assembler tous les députés des souverains dans une ville commune, où l’on conviendra d’en passer à la pluralité des suffrages, & où l’on prendra des moyens propres à contraindre le moindre nombre de s’accorder au plus grand nombre ; mais c’est le globe sur l’aiguille. Prenez toutes ces vérités par leur abstraction & sans les circonstances dont elles sont accompagnées dans la réalité des choses : ce sont-là autant de démonstrations équivalentes aux géométriques.

Mais les unes & les autres, pour exister dans la pratique, supposent certains faits. Si donc l’expérience s’accorde avec nos idées, & la vérité externe avec la vérité interne, les démonstrations nous guideront aussi sûrement dans toutes les sciences par rapport à leur objet particulier, que les démonstrations de géométrie par rapport aux démonstrations sur l’étendue.

Il n’est point de globe parfait qui se soutienne sur la pointe d’une aiguille ; & la vérité géométrique ne subsiste point au-dehors, comme elle est dans la précision que forme notre esprit à ce sujet. Cette précision ne laisse pas d’être d’usage même au-dehors, en montrant que pour faire soutenir un globe sur un axe le plus menu, il faut travailler à faire le globe le plus rond, le plus égal de toutes parts, & le plus parfait qui puisse être fabriqué par l’industrie humaine.

Il n’est point aussi dans la nature aucune sorte de nourriture si conforme à notre tempérament & à nos dispositions actuelles, qu’elle répare exactement tout ce qui dépérit de notre substance ; mais plus la nourriture dont nous usons approche de ce caractere, plus aussi toutes choses demeurant égales d’ailleurs, notre vie se prolonge.

En un mot, qu’on me garantisse des faits, & je garantis dans toutes les sciences des démonstrations géométriques, ou équivalentes en évidence aux géométriques : pourquoi ? parce que toutes les sciences ont leur objet, & tous les objets fournissent matiere à des idées abstraites qui peuvent se lier les unes avec les autres : c’est ce qui fait la nature des vérités logiques, & le seul caractere des démonstrations géométriques. Voyez la Logique du pere Buffier.

Quand on demande s’il y des vérités, cela ne fait aucune difficulté par rapport aux vérités internes : tous les livres en sont remplis ; il n’y a pas jusqu’à ceux qui se proposent pour but d’anéantir toutes les vérités tant internes qu’externes. Accordez une fois à Sextus Empiricus que toute certitude doit être accompagnée d’une démonstration, il est évident qu’on ne peut être sûr de rien, puisque dans un progrès à l’infini de démonstrations on ne peut se fixer à rien. Toute la difficulté roule sur les vérités externes. Voyez les premiers principes.

Vérité métaphysique ou transcendentale ; on appelle ainsi l’ordre qui regne dans la variété des diverses choses, tant simultanées que successives, qui conviennent à l’être. Voyez l’article Ordre, où nous remarquons que ce qui distingue la veille du sommeil, c’est l’ordre qui regne dans les événemens vrais & réels de la veille ; au-lieu que les songes forgent des combinaisons où il n’y a ni vérité ni réalité, parce qu’elles sont destituées de raison suffisante, & qu’elles supposent même la coexistence des choses contradictoires. La vérité qui résulte de l’ordre & qui coïncide presque avec lui, convient donc à tout être, à Dieu, au monde, entant qu’on l’envisage comme une unité, & à tout individu existant dans le monde, homme, arbre, &c.

Tout être est donc vrai. Cette vérité est intrinseque à l’être, & ne dépend point de nos connoissances. Ce n’est pas comme en logique, où l’on appelle vrai