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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/758

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refus de cette espece ; que l’on juge de ce qui doit arriver à des gens de lettres de moindre considération.

Mais en général, il y a des pays où cette dureté est rare. En France, par exemple, où l’on a plusieurs bibliothèques pour la commodité du public, on y est toujours parfaitement bien reçu, & les étrangers ont tout lieu de se louer de la politesse qu’on a pour eux. Gronovius mandoit au jeune Heinsius, que son ami Vincent Fabricius lui avoit écrit de Paris, que rien n’égaloit l’humeur obligeante des François à cet égard.

Vossius éprouva tout le contraire en Italie. Ce n’est pas seulement à Rome que l’entrée des bibliotheques est difficile, c’est la même chose dans les autres villes. La bibliotheque de S. Marc à Venise est impénetrable. Dom Bernard de Montfaucon raconte que le religieux Augustin du couvent de la Carbonnaria à Naples, qui lui avoit ouvert la bibliotheque de ce monastere, avoit été mis en pénitence pour récompense de cette action.

M. Menchen est un des modernes qui a déclamé avec le plus d’indignation contre les bibliotaphes ; c’est ce qui paroît par sa préface à la tête de l’édition qu’il a procurée du traité de Bartholin, de libris legendis. Ceux qui sont en état de former des bibliotheques, ne feront pas mal de le consulter & de suivre les maximes qu’il y donne, pour s’en servir utilement ; la principale est d’en faire usage pour soi, & pour les autres, tant en leur fournissant de bonne grace les recueils qu’on peut avoir sur les matieres qui font l’objet de leur travail, qu’en leur prêtant tous les livres dont ils ont besoin. Disons à l’honneur des lettres & des lettrés, que la plus grande partie des gens à bibliotheques sont de cette humeur bienfaisante, & que pour un Saldierre on compte plusieurs Pinelli, Peirese & de Cordes. Ce dernier poussa l’envie de rendre sa bibliotheque utile jusqu’à ordonner par son testament qu’elle ne fût pas vendue en détail, mais en gros, & mise en un lieu où le public fût à portée de la consulter.

M. Bigot avoit pris la précaution d’ordonner la même chose ; mais il a été moins heureux que M. de Cordes, dont la bibliotheque passa toute entiere à M. le cardinal Mazarin, qui n’épargna pas les dépenses pour y mettre tous les bons livres qui y manquoient. Naudé, qui étoit chargé du détail de cette bibliotheque, fit exprès plusieurs voyages en Allemagne & en Italie pour y acheter ce qu’il y avoit de plus rare, & il est aisé de concevoir qu’elle reçut dans ses mains des accroissemens considérables. Tant de soins devinrent cependant inutiles par les guerres de la fronde pendant la minorité de Louis XIV. Le parlement qui ne cherchoit qu’à signaler sa colere contre le premier ministre, fit saisir sa bibliotheque, & ordonna par un arrêt du 8 Février 1652 qu’elle fût vendue à l’encan. Naudé au désespoir de voir toutes ses peines perdues, représenta vainement à la cour le tort que causoit aux lettres le démembrement de cette bibliotheque. Le parlement resta inflexible, & ses ordres furent exécutés.

Les savans ont peint avec de vives couleurs le procédé du parlement. L’abbé de Marolles en dit ce qu’il en pense dans les remarques qu’il joignit à la traduction de Virgile, mais la violence des tems l’obligea de supprimer ses réflexions chagrines. « Cela n’empêcha pas néanmoins, ajoute t-il, que dans l’une de mes épîtres dédicatoires (à M. le duc de Valois) je ne disse que S. A. étant un jour touchée de cet esprit délicat des muses, qui produit dans l’ame tant de douceurs, elle aimeroit un jour nos ouvrages auxquels elle destineroit de grandes bibliotheques en la place de celles qui venoient

d’être détruites ; & certes les Vandales & les Goths n’ont rien fait autrefois de plus barbare ; ce qui devroit porter quelque rougeur sur le front de ceux qui y donnerent leurs suffrages ».

BIBLIOTHEQUE de Bâle, (Hist. Littérat.) nous avons la description moderne de cette bibliotheque par un homme bien capable d’en juger, le savant M. de la Croze ; voici ce qu’il nous en dit.

« La bibliotheque publique de Bâle est belle pour le pays ; mais elle ne peut pas être comparée à un grand nombre de bibliotheques de Paris, pour le nombre & pour la rareté des livres. On n’a presque rien à Bâle que des éditions du siecle passé (le seizieme), les éditions des peres d’Angleterre & de Paris n’y sont point ; & si l’on excepte la bibliotheque des peres de Lyon, les conciles du Louvre, & quelques editions de Froben, il n’y a rien dont on puisse faire une grande estime. Il n’en est pas de même des manuscrits, il y en a de fort beaux & de fort anciens.

» J’y ai vu entr’autres une bible du neuvieme siecle en trois volumes in-folio. Elle est belle, mais elle a été négligée, & il y manque quelques livres de l’Ecriture, entr’autres les pseaumes. Le fameux passage de la Trinité dans l’épître de saint Jean ne s’y trouve point, non plus que dans la plûpart des autres manuscrits grecs & latins de ce tems-là. Il y a aussi deux volumes in-4°. du même siecle, dont chacun comprend les quatre évangélistes en latin, avec les canons d’Eusebe & la préface de S. Jérôme. On ne peut rien voir de mieux écrit que ces deux livres, l’un est entier & assez bien conservé, & l’autre fort défectueux, quelqu’un ayant coupé les feuilles par où commence chacun des évangélistes.

» Je serois trop long si je parlois de tous les manuscrits qui sont dans cette bibliotheque ; mais comme il n’y a guere eu d’étrangers qui les ait tant vus que moi, & que même les gens du pays les connoissent peu, j’ajouterai encore quelques lignes à ce que j’ai dit. M. Patin qui a visité autrefois cette bibliotheque, n’en ayant parlé que superficiellement, & n’y ayant presque remarqué que ce qui étoit le moins digne de l’être.

» On ne peut rien voir de si beau qu’un S. Augustin, forma quadratæ. Il est écrit par versets, ce qui faisoit autrefois toute sa distinction, mais depuis on y a ajouté des points & des virgules. Ce manuscrit est du viij. siecle. Il y en a d’Isidore de Séville du ix. siecle, & de quelques peres moins considérables par leur rareté, que par leur antiquité. Le texte grec des évangiles in-4°. dont parle M. Patin, est sans doute beau, mais il a eu tort de le faire de la même antiquité que les épîtres de S. Paul de l’abbaye de S. Germain ; il est plus récent de cent ans pour le moins, & est peut-être du viij. siecle.

» Il y a un manuscrit dans la même bibliotheque, qui contient tout le nouveau Testament dans un ordre différent de celui qu’on suit d’ordinaire. Ce manuscrit est moins ancien que celui dont je viens de parler. Le jugement de la femme adultere n’est point dans le texte, quoique le copiste l’ait renvoyé à la fin du manuscrit où il se trouve avec cette remarque, qu’on ne le trouvoit que dans peu de manuscrits. Il est néanmoins tout entier dans l’autre manuscrit qui est plus ancien ; mais le copiste y a ajouté de gros astériques à la marge, à-peu-près de cette forme *. Le 7e verset du chapitre v. de la I. épître de S. Jean ne s’y rencontre point. Il y a plusieurs manuscrits grecs de S. Jean-Chrysostôme, de S. Athanase, des commentaires