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couverte de ce secret, s’il est un moyen sûr d’éviter la moitié des coups de fusils & de canon que l’on essuie ordinairement ; n’est-il pas contre toute raison de ne pas chercher à y parvenir ; or, si l’on peut parcourir la moitié plus vîte qu’on ne fait, l’espace de terrein où l’on essuie des coups de feu, & arriver cependant en aussi bon ordre sur son ennemi : il est certain que l’on en évite la moitié. Voyez Marche, sa vitesse ordonnée & sa vitesse possible.

FLEURISTE, s. m. (Art méchaniq.) fleuriste artificiel. L’art de fabriquer des fleurs artificielles consiste dans la façon de représenter avec des étoffes, de la soie, du fil, du coton, de la laine, du chanvre, des plumes, vélin, coques de vers à soie, & quantité d’autres choses, des fleurs, imitant si parfaitement la nature que l’on en peut former des arbres, charmilles & guirlandes, & même des desseins de parterre, de bois, de bosquets, &c. soit en petit, ou de grandeur convenable aux endroits où l’on juge à propos de les employer. C’est de ces sortes d’ouvrages que l’on décore les théatres, ainsi que les appartemens, sur-tout dans des jours de cérémonies, bals, festins, ou autres fêtes publiques ou particulieres. On en décore aussi les tables. Les femmes mêmes s’en servent dans leurs plus belles parures. Il en est de trois sortes : la premiere se fait avec du vélin, de la toile, & autre étoffe de soie ou de fil teint de différentes couleurs & empesé ensuite dans l’empoix ; on en découpe les fleurs & les feuilles avec des emporte-pieces, ciseaux & autres semblables outils ; on les gauffre avec des gauffroirs ; on les attache ensemble sur du fil de fer, de cuivre ou d’argent, couvert de vélin ou de soie, coloré avec un fil d’argent très mince ou de soie verte, observant toujours d’imiter la nature dans ses variétés.

La seconde se fait avec des plumes de différens animaux blancs que l’on teint de différentes couleurs après les avoir savonnées. Il y a des fleuristes qui nourrissent à cet effet des oiseaux en particulier, qu’ils ont grand soin d’entretenir proprement, & des plumes desquelles ils se servent au besoin. Ces plumes arrachées des oiseaux vivans conservent toujours non-seulement dans leur couleur naturelle, mais même dans celle qu’on leur substitue, leur premiere vivacité, & celle que l’on remarque dans les plus belles fleurs, ce que l’on ne peut voir dans les plumes qui ont été arrachées des oiseaux morts. On les découpe aussi avec des ciseaux, emporte-pieces, &c. On les ceintre avec des couteaux sans taillant, & on les attache comme les précédentes avec du fil d’argent ou de soie sur du fil de fer, de cuivre ou d’argent, couvert de vélin & de soie verte dont on forme les branches.

La troisieme se fait avec des coques de vers à soie, que l’on teint aussi de différentes couleurs. On les découpe avec des ciseaux & emporte-pieces, & on les attache aussi avec du fil d’argent ou de soie, sur du fil de fer, de cuivre ou d’argent, couvert de soie verte pour former les branches. Les ouvriers qui travaillent à ces trois sortes de fleurs, emploient également les mêmes outils, les mêmes ingrédiens, & tout ce qui peut servir en général à imiter les fleurs naturelles.

Les fleurs & les feuilles se font pour la plupart avec des emporte-pieces convenables, & semblables aux fleurs ou feuilles que l’on veut imiter. C’est une espece de poinçon creux, que l’on applique sur du vélin, taffetas ou autre étoffe pliée en huit, dix ou douze, selon l’épaisseur posée sur le billot ; on frappe un seul & fort coup de maillet sur l’emporte-piece, qui alors emporte la piece de part en part, ce qui lui en a fait donner le nom. On recommence ensuite sur l’étoffe, à côté de l’endroit où l’on a emporté la piece ; & de cette façon on multiplie à l’infini

& promptement, les fleurs & les feuilles dont on a besoin.

La plupart des boutons se font de différentes manieres ; les uns se font avec du coton gommé, recouvert de vélin, taffetas ou autre étoffe ; les autres se font avec de la mie de pain aussi gommée, & recouverte de vélin ou taffetas ; d’autres enfin, ainsi que les grains, avec de la filasse, de la soie ou fil éffilé, ou non éffilé, & quantité d’autres semblables choses, que l’industrie de l’artiste est seule capable d’imaginer. V. nos Pl. & leur expl. Article de M. Lucotte.

FOI, (Théolog.) Qu’on me permette de joindre ici quelques réflexions philosophiques, au détail qu’on a fait sur les articles de foi dans le Dictionnaire.

S’il y a quantité de gens qui se forment une si haute idée de la morale, qu’ils ne rendent pas à la foi les hommages qu’elle mérite, il est encore un plus grand nombre de théologiens qui élevent tellement la nécessité de la foi, qu’on se persuaderoit après les avoir lus, qu’elle constitue seule toute la religion ; erreur d’autant plus dangereuse, qu’il est plus aisé de croire que de pratiquer ; car quoique la morale & la foi ayent chacune des prérogatives particulieres, je pense néanmoins que la premiere l’emporte sur l’autre à divers égards.

1°. Parce que presque toute la morale, suivant l’idée que je m’en forme, est d’une nature immuable, & qu’elle durera dans toute l’éternité, lorsque la foi ne subsistera plus, & qu’elle sera changée en convictions ; 2°. parce qu’on ne peut être en état de faire plus de bien, & de se rendre plus utile au monde par la morale sans la foi, que par la foi sans la morale ; 3°. parce que la morale donne une plus grande perfection à la nature humaine que la foi, en ce qu’elle tranquillise l’esprit, & qu’elle avance le bonheur de chacun en particulier ; 4°. parce que les préceptes de la morale sont réellement plus certains que divers articles de foi, puisque toutes les nations civilisées s’accordent sur tous les points essentiels de la morale, autant qu’elles different sur ceux de la foi ; 5°. parce que l’incrédulité n’est pas d’une nature si maligne que le vice, ou pour envisager la même idée sous un autre vue, parce qu’on convient en général qu’un incrédule vertueux peut être sauvé, surtout dans le cas d’une ignorance invincible, & qu’il n’y a point de salut pour un croyant vicieux.

De ces vérités incontestables, on peut tirer plusieurs conséquences très-importantes. Il en résulte par exemple, 1°. qu’on ne devroit établir pour article de foi, rien de tout ce qui peut affoiblir ou renverser les devoirs de la morale ; 2°. que dans tous les articles de foi douteux, & sur lesquels disputent les sectes du christianisme, il faudroit examiner avant que de les admettre, les suites fâcheuses qui peuvent naître de leur croyance ; 3°. que dans tous les articles de foi au sujet desquels les hommes ne s’accordent point, la raison les engage à se tolérer les uns les autres, dès que ces articles litigieux ne servent pas directement à la confirmation ou aux progrès de la morale ; 4°. que toute chose contraire ou incompatible avec les décisions de la raison claires & évidentes par elles-mêmes, n’a pas droit d’être reçue comme un article de foi, auquel la raison n’ait rien à voir.

Je sai que la révélation divine doit prévaloir sur nos préjugés, & exiger de l’esprit un parfait assentiment ; mais une telle soumission de la raison à la foi, loin d’ébranler les fondemens de la raison, nous laisse la liberté d’employer nos facultés à l’usage pour lequel elles nous ont été données. Si la droite raison n’a rien à faire en matiere de religion, tout est perdu ; car c’est pour ne l’avoir point consultée cette droite raison, qu’il regne tant d’opinions étranges,