les consciences de ceux qui vivent bien, contre les frayeurs de l’interdit publié par Paul V. Il mit au jour plusieurs écrits à l’appui de cet ouvrage, & fit un traité sur l’immunité des lieux sacrés dans l’étendue de la domination vénitienne.
Il eut la plus grande part au traité de l’interdit publié au nom des sept théologiens de la république, dans lequel on prouve en dix-neuf propositions, que cet interdit étoit contre toutes les lois, que les ecclésiastiques ne pouvoient y déférer avec innocence, & que les souverains en devoient absolument empêcher l’exécution. La cour de Rome le fit citer à comparoître ; au-lieu d’obeir, il publia un manifeste pour prouver l’invalidité de la citation.
Le différend entre la république de Venise & le pape, ayant été terminé en 1607, le pere Paul fut compris dans l’accomodement ; mais quelques mois après, il fut attaqué en rentrant dans son monastere, par cinq assassins qui lui donnerent quinze coups de stilets, dont il n’y en eut que trois qui le blesserent dangereusement, deux dans le col & un au visage.
Le sénat se sépara sur le champ à la nouvelle de cet attentat, & la même nuit les sénateurs se rendirent au couvent des servites, pour les ordres nécessaires aux pansemens du malade. On ordonna qu’il seroit visité chaque jour par les magistats de semaine, outre le compte que les médecins viendroient en rendre journellement au sénat. On décerna des récompenses à quiconque indiqueroit les assassins, ou tueroit quelqu’un qui voudroit attenter désormais à la vie du pere Paul, ou découvriroit quelque conspiration contre sa personne. Enfin après sa guérison, le sénat lui permit de se faire accompagner par des gens armés, & pour augmenter sa sûreté, lui assigna une maison près de S. Marc. La république créa chevalier Aquapendente qui l’avoit guéri, & lui fit présent d’une riche chaîne & d’une médaille d’or. C’est ainsi que le sénat montra l’intérêt qu’il prenoit à la conservation de ce grand homme, & lui-même prit le parti de vivre plus retiré du monde qu’il n’avoit encore fait.
Dans sa retraite volontaire, il écrivit son histoire immortelle du concile de Trente, dont il avoit commencé à recueillir les matériaux depuis très-longtems. Cette histoire fut imprimée pour la premiere fois à Londres en 1619, in-fol. & dédiée au roi Jaques I. par l’archevêque de Spalato. Elle a été depuis traduite en latin, en anglois, en françois ; & en d’autres langues ; le pere le Courayer en a donné une nouvelle traduction françoise, imprimée à Londres en 1736, en deux volumes in-fol. & réimprimée à Amsterdam la même année, en deux volumes in-4°. c’est une traduction précieuse.
Le style & la narration de cet ouvrage sont si naturels & si mâles, les intrigues y sont si bien développées, & l’auteur y a semé par-tout des réflexions si judicieuses, qu’on le regarde généralement comme le plus excellent morceau d’histoire d’Italie. Fra-Paolo a été très-exactement informé des faits, par les archives de la république de Venise, & par quantité de mémoires de prélats qui s’étoient trouvés à Trente.
Le cardinal Palavicini n’a remporté d’approbation que celle de la cour de Rome. Il s’avisa trop tard de nous fabriquer l’histoire du concile de Trente, & sa conduite nous a dispensé d’ajouter foi à ses discours. Il est vrai qu’il nous parle des archives du Vatican, qu’on lui a communiquées, mais c’est une affaire dont on croit ce que l’on veut, sur-tout quand les pieces ne sont pas publiques ; ajoutez que les sources du Vatican ne sont pas des sources fort pures. Le style pompeux du Palavicini tombe en pure perte, & la maniere dont il traite Fra-Paolo, ne lui a pas acquis des suffrages. On dit qu’en échange des fautes réelles, il a saisi celles d’impression, pour en faire des erreurs à l’auteur.
Le nom de Paolo étoit devenu si fameux dans toute l’Europe, que les étrangers venoient en Italie pour le voir ; que deux rois tâcherent par des offres fort avantageuses, de l’attirer dans leurs états ; & que divers princes lui firent l’honneur de lui rendre visite. Je ne dois point oublier dans ce nombre le prince de Condé, qui étant journellement admis aux délibérations du sénat, obtint de ce corps la permission de voir & d’entretenir le fameux servite, qui s’occupoit dans son couvent de choses plus importantes que d’affaires monastiques.
Je sai bien que le cardinal du Perron dit en parlant du pere Paul, « je n’ai rien trouvé d’éminent dans ce personnage, & n’ai vu rien en lui que de commun » ; mais ce jugement sur un homme si supérieur en toutes choses à celui qui le tenoit, est inepte, ridicule, plein de malignité & de fausseté.
Paolo mourut couvert de gloire le 14 Janvier 1623. âgé de 71 ans, ayant conservé son jugement & son esprit jusqu’au dernier soupir ; il se leva, s’habilla lui même, lut, & écrivit comme de coutume la veille de sa mort. On lui fit des funérailles très-distinguées. Le sénat lui éleva un monument, & Jean-Antoine Vénério, patrice vénitien, composa l’épitaphe qu’on y grava. Quoique plusieurs rois & princes souhaitassent d’avoir son portrait, il s’excusa constamment de se faire peindre, & même il le refusa à son intime ami Dominique Molini.
Mais voici ce qu’écrivit le chevalier Henri Wotton, dans sa lettre du 17 Janvier 1637, au docteur Collins professeur en théologie à Cambridge. « Puisque je trouve une bonne occasion, Monsieur, si peu de tems après celui où les amis ont coutume de se faire de petits présens d’amitié, permettez-moi de vous envoyer en guise d’étrennes, une piece qui mérite d’avoir une place honorable chez vous, c’est le portrait au naturel du fameux pere Paul, servite, que j’ai fait tirer par un peintre que je lui envoyai, ma maison étant voisine de son monastere. J’y ai depuis mis au bas un titre de ma façon, Concilii tridentini eviscerator : vous verrez qu’il a une cicatrice au visage, qui lui est restée de l’assassinat que la cour de Rome a tenté, un soir qu’il s’en retournoit à son couvent : (reliquiæ wottonianæ)»
Fra-Paolo, dit le P. le Courayer, à l’imitation d’Erasme, de Cassander, de M. de Thou, & autres grands hommes, observoit de la religion romaine, tout ce qu’il en pouvoit pratiquer sans blesser sa conscience ; & dans les choses dont il croyoit pouvoir s’abstenir par scrupule, il avoit soin de ne point scandaliser les foibles. Egalement étoigné de tout extrême, il désapprouvoit les abus des Catholiques, & blamoit la trop grande chaleur des Protestans. Il désiroit la réformation des papes, & non leur destruction ; il en vouloit à leurs abus, & non à leur place ; il étoit ennemi de la superstition, mais il adoptoit les cérémonies ; il s’asservissoit sans répugnance à l’autorité de l’église dans toutes les choses de rit & de discipline, mais il souhaitoit aussi qu’on les rectifiât ; il haïssoit la persécution, mais il condamnoit le schisme ; il étoit catholique en gros, & protestant en détail ; il abhorroit l’inquisition comme le plus grand obstacle aux progrès de la vérité. Enfin il regardoit la réformation comme le seul moyen d’abaisser Rome, & l’abaissement de Rome, comme l’unique voie de faire refleurir la pureté de la religion.
Sa vie a été donnée par le pere Fulgence, & par le pere le Courayer : on peut y joindre son article, qui est dans le dictionnaire historique & critique de M. Chaufepié. M. Amelot de la Houssaye a traduit avec des remarques le traité des bénéfices ecclésiastiques de Fra-Paolo. Il y a une traduction angloise du même ouvrage, par Thomas Jenkins, lord-maire