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n’ont d’exécution qu’en vertu de la signature du bailli pour scel ; en un mot, que ces officiers sont de vrais officiers de justices seigneuriales, tels que ceux que les seigneurs établissent dans leurs terres. La seule prérogative qui résulte de la pairie est que l’appel des sentences de ces officiers même en matiere civile est porté directement au parlement, omisso medio, c’est-à-dire sans passer par le bailliage royal dans l’étendue duquel se trouve cette comté-pairie. Otez ce privilege qui leur est commun en matieres criminelles avec toutes les justices seigneuriales du royaume, elles n’en different en rien, elles n’enregistrent point les ordonnances, édits & réglemens ; elles ne connoissent point des cas royaux, des substitutions, des matieres bénéficiales, droits & domaines du roi, de ceux des églises, des délits des clercs & autres privilégiés, ni d’aucune des matieres qui sont réservées aux juges royaux.

Il y a dans chacune de ces trois villes, Beauvais, Châlons & Noyon, des bailliages royaux, dont les officiers connoissent de toutes matieres civiles, criminelles, bénéficiales, cas royaux, &c. & qui y ont la jurisdiction ordinaire sur tous les sujets du roi privilégiés & non-privilégiés, sauf en tout les droits des justices seigneuriales, tant de l’évêque comte & pair, que des autres hauts-justiciers de chacun de ces bailliages, lesquels peuvent revendiquer les causes de leurs vassaux dans les matieres dont les hauts-justiciers peuvent connoître.

Voilà la vraie idée qu’il faut prendre de l’espece de jurisdiction que les comtes & pairs font exercer en leurs noms dans leur territoire. Qu’il y ait quelque absurdité dans ce mélange de jurisdiction royale & seigneuriale en un même territoire, dans cette espece d’aliénation d’un des plus beaux droits de la couronne, dans cette concurrence journaliere de pouvoir & d’autorité entre le monarque & les sujets, il y a long-tems que les gens désintéressés forment des vœux pour la réunion de toutes ces branches au trône, & pour la cessation des conflits perpétuels & indécens qui naissent de cette bigarrure. Il seroit bien facile au ministre de satisfaire des vœux si légitimes, il ne faudroit peut-être qu’attirer son attention de ce côté-là.

PERVANNA, (Hist. mod.) nom que l’on donne dans l’Indostan & dans les états du grand-mogol aux ordres ou patentes signées par un nabab ou gouverneur de province.

PHAUSDAR ou FAUSDAR, (Hist. mod.) nom que l’on donne dans l’Indostan aux fermiers des domaines du grand-mogol.

PONTS, s. m. (Architecture.) Nouvelle méthode de sonder les ponts sans batardeaux, ni épuisemens. Avant d’entrer dans aucun détail sur cette nouvelle méthode, il paroît indispensable de donner une idée de la maniere de construire avec batardeaux & épuisemens, pour mettre toute personne en état de juger plus sûrement de l’une & de l’autre méthode.

Méthode de fonder avec batardeaux & épuisemens. Pour construire un pont ou tout ouvrage de maçonnerie dans l’eau soit sur pilotis, soit en établissant les fondations sur un fonds reconnu bon & solide, on n’a point trouvé jusqu’à ce jour de moyen plus sûr que celui de faire des batardeaux & des épuisemens. Ces batardeaux ne sont autre chose qu’une enceinte composée de pieux battus dans le lit de la riviere sur deux files paralleles de palplanches, ou madriers battus jointivement & debout au-devant de chacun desdits rangs de pieux, de terre-glaise dans l’intérieur de ces palplanches, & de pieces de bois transversales qui servent à lier entr’eux les pieux & madriers pour en empêcher l’écartement par la poussée de la glaise. Cette enceinte comprend deux ou trois

piles ; lorsqu’elle est exactement formée, on établit sur le batardeau même un nombre suffisant de chapelets ou autres machines semblables à enlever toute l’eau qu’elle contient à la plus grande profondeur possible. Cette opération une fois commencée ne discontinue ni jour ni nuit, jusqu’à ce que les pieux de fondation sur lesquels la pile doit être assise soient entierement battus au refus d’un mouton très-pesant, que ces mêmes pieux soient récépés au niveau le plus bas, & qu’ils soient coéffés d’un grillage composé de fortes pieces de bois recouvertes elles-mêmes de madriers jointifs. C’est sur ces madriers ou plateforme qu’on pose la premiere assise en maçonnerie, qui dans tous les ouvrages faits dans la Loire a rarement été mise plus bas qu’à 6 piés sous l’étiage par la difficulté des épuisemens. Lorsque la maçonnerie est élevée au-dessus des eaux ordinaires, on cesse entierement le travail des chapelets ou autres machines hydrauliques ; on démolit le batardeau, & l’on arrache tous les pieux qui le composoient. Cette opération se répete ainsi toutes les fois qu’il est question de fonder ; on imagine sans peine les difficultés, les dépenses & l’incertitude du succès de ces sortes d’opérations.

Nouvelle méthode de fonder sans batardeaux ni épuisemens. Cette nouvelle façon de fonder consiste essentiellement dans la construction d’un caisson ou espece de grand bateau plat, ayant la forme d’une pile qu’on fait échouer sur des pieux bien battus & sciés de niveau à une grande profondeur, par la charge même de la maçonnerie à mesure qu’on la construit. Les bords de ce caisson sont toujours plus élevés que la superficie de l’eau ; & lorsqu’il repose sur les pieux sciés, ces bords, au moyen des bois & assemblages qui les lient avec le fond du caisson, s’en détachent facilement en deux parties en s’ouvrant par les pointes pour se mettre à flot ; on les conduit ainsi au lieu de leur destination, où on les dispose de maniere à servir à un autre caisson. Cette méthode ayant été récemment employée avec succès au pont de Saumur sur la riviere de Loire, on va donner le détail de toutes les opérations qui ont été faites pour sa fondation.

Détails des constructions. Les piles du pont de Saumur ont toutes 54 piés de longueur de la pointe de l’avant-bec à celle de l’arriere-bec sur 12 piés d’épaisseur de corps quarré, sans les retraites & empatemens ; elles sont fondées à 12 piés de maçonnerie sous le plus bas étiage ; la hauteur ordinaire de l’eau dans l’emplacement du pont est depuis 7 piés jusqu’à 18 ; les crues moyennes sont de 6 piés sur l’étiage, & les plus grandes de 17 à 18 piés, d’où l’on voit que dans les grands débordemens il se trouve dans quantité d’endroits jusqu’à 36 piés de hauteur d’eau.

Les premieres opérations ont consisté dans la détermination des lignes de direction du pont ; savoir, la capitale du projet & la perpendiculaire qui passe par le centre des piles & les pointes des avant & arriere-becs ; lorsque ces lignes furent assûrées par des points constans suivant la convenance des lieux, on établit sur quelques pieux & appontemens provisionnels dans le milieu de l’emplacement de la pile, deux machines à draguer que l’on fit manœuvrer en différens endroits ; on battit ensuite de part & d’autre de la perpendiculaire du centre de la pile une file de pieux parallele à ladite ligne, dont le centre étoit distant d’icelle de douze piés & demi de part & d’autre, pour former une enceinte de 25 piés de largeur d’un centre à l’autre des files de pieux.

Ces pieux d’un pié de grosseur réduits en couronne, étoient espacés à 18 pouces de milieu en milieu sur leur longueur, de maniere que depuis le pieu du milieu qui se trouvoit dans la ligne capitale du projet, jusqu’au centre de celui d’angle ou d’épaulement,