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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/814

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bon excellent ; après celui d’Angleterre, celui d’Auvergne passe pour le meilleur, que l’on mêle quelquefois avec celui de Saint-Etienne.

Le bon charbon de terre est celui qui est composé de peu de soufre ; on le connoît lorsqu’il fait peu de machefer[1] & de crasse, qu’il chauffe le fer facilement & promptement, & lorsqu’il dure long-tems à la forge.

Il se trouve une infinité d’endroits où le charbon de terre devenant très-cher, à cause de la difficulté du transport ; on est obligé d’avoir recours à celui de bois, qui souvent ne peut suffire seul pour de certains ouvrages ; comme, par exemple, lorsqu’il s’agit de souder de l’acier, du fer aigre, rouverain, ou autre difficile à souder ; il est nécessaire qu’ils soient chauffés vivement, ce que le charbon de bois seul n’est pas en état de faire.

Pour bien chauffer le fer, il faut se servir de bon charbon, avoir soin que le feu soit toujours égal, jetter de tems en tems de l’eau dessus pour l’animer, retirer aussi de tems en tems de côté le machefer qui se forme dans le fond de la forge & qui empêche le fer de chauffer, & non pas en découvrant le feu, comme font mal-à-propos quelques-uns, ce qui en diminue beaucoup la chaleur ; d’ailleurs ce machefer retiré de côté & déja enflammé contribue à la chaleur du fer, & tient lieu d’un pareil volume de charbon, ce qui fait une économie.

On peut connoître quand le fer est chaud en découvrant un peu le feu, ou le retirant un peu dehors ; on peut encore s’en appercevoir lorsque la flamme est blanche, & mélangée plus ou moins d’étincelles brillantes à proportion de son degré de chaleur.

De la maniere de forger le fer. Lorsqu’on met le fer au feu pour la premiere fois, il est absolument nécessaire de lui donner une chaude[2] suante, c’est-à-dire le chauffer jusqu’à ce qu’il prenne une couleur blanche & suante, afin qu’en le frappant il puisse se souder & corroyer bien ensemble ; ensuite pour finir l’ouvrage, il est suffisant de le chauffer jusqu’à ce qu’il soit rouge ou blanc, selon les différentes sortes d’ouvrages ; & lorsque l’ouvrage est fini, on le recuit, c’est-à-dire qu’on le chauffe d’une couleur de cerise[3], ou avant qu’il prenne des écailles qui ordinairement en ouvrent les pores, le rendent crasseux & difficile à limer lorsqu’il est froid ; on le laisse ensuite refroidir sans le frapper.

Il y a tant de manieres de forger le fer pour les différentes especes d’ouvrages, qu’il n’est pas presque possible de les déterminer, l’usage & l’expérience en font seuls plus que l’on n’en peut dire. Il est vrai que le fer étant chaud, devient presqu’aussi maniable que la cire & le plomb froid ; aussi quelques-uns ont-ils cru en savoir assez en le tenant d’une main, posé sur l’enclume, fig. 4. Pl. XXVI. & le frappant de l’autre à coups de marteau. Tous ceux qui l’ont éprouvé sans connoissance se sont trompés, & n’ont pas même manqué de se blesser, soit en se donnant des contre-coups, soit en le faisant sauter en l’air en le frappant à faux, c’est-à-dire lorsqu’il ne portoit pas sur l’enclume dans l’endroit qu’ils frappoient ; ce qui fait alors l’effet du bâtonnet, espece de petit bâton court & pointu par chaque bout qui sert de jeu aux enfans.

Enfin déterminer exactement la maniere de forger le fer, c’est ce qu’il n’est pas possible de faire, y en ayant autant de sorte qu’il y a d’espece d’ouvrage. On dira bien qu’on le frappe dessus & dessous, qu’on le tourne & retourne à propos, mais tout cela & tout

ce qu’on pourroit y ajouter, ne sauroit instruire sans la pratique.

Des ouvrages de serrurerie. Les ouvrages se sont si fort multipliés dans la serrurerie depuis quelques siecles, qu’il n’en est presque point maintenant que les ouvriers un peu intelligens ne puissent faire & leur donner la forme qu’ils jugent à propos. Quelques hommes ingénieux, sur-tout de ces derniers tems, se sont signalés dans plusieurs de leurs ouvrages, & nous ont fait voir la supériorité de leur génie ; les uns en perfectionnant les ouvrages des anciens, les autres par l’art avec lequel ils ont travaillé le fer, le brillant qu’ils lui ont donné, le goût des ornemens qu’ils ont eux-mêmes choisis & inventés, & dont ils l’ont enrichi, ont procuré à l’œil de quoi se satisfaire plus qu’il n’avoit fait jusqu’alors, & nous ont donné par-là des preuves de leur imagination ; d’autres, secourus par la nécessité, en ont inventé de nouveaux très-ingénieux, soit pour l’accélération des manœuvres ou autres semblables opérations ; d’autres encore de concert avec ceux qui ont substitué les voûtes aux planchers dans les bâtimens pour en bannir le bois, cause trop ordinaire & pernicieuse des incendies, ont imité avec le fer les lambris de menuiserie, les différens profils des chambranles & des cadres décorés ou non de sculpture au point que l’on pourroit maintenant faire des bibliotheques, portes à placard, d’armoires & parement simple & double, & autres lambris en fer, plus pesans à la vérité, mais imitant parfaitement la menuiserie & la sculpture en bois : on les divise tous en deux especes, les brutes & les limés.

Des ouvrages bruts. On appelle communément ouvrages brutes, ceux qui n’ayant besoin d’aucune propreté pour être placés dans l’intérieur des murs des combles, ou pour être exposés aux injures de l’air, sont travaillés seulement à la forge : on les divise en deux sortes ; la premiere appellée fers de bâtimens, est composée de fers qui servent, dans la construction des bâtimens, à unir & entretenir ensemble les murs, cloisons, voûtes, tuyaux de cheminée, la charpente des combles, la menuiserie, &c. la seconde appellée communément grands ouvrages ou de compartimens, est composée d’ouvrages qui représentent des compartimens de dessein de différens goûts, décorés plus ou moins d’ornemens, selon la richesse & l’importance des lieux où ils sont placés.

Des fers de bâtiment. Les fers de bâtiment sont de deux especes ; l’une que l’on appelle gros fers ou gros ouvrages, a pour objet les ancres, tirans, chaînes, boulons, chevêtres, étriers, manteaux de cheminée, seuils, fantons, grilles de fourneau, de chaîneau de gargouille, & autres armatures de bornes, de barrieres, treillages, fers de soupapes, clés & armatures de robinets pour les réservoirs, berceaux de jardins, vitreaux, fers de gouttieres, pivots, crapaudins, taules, fléaux, crochets & cramaillées de porte-cochere, pentures, gonds, chaînes à puits, & quantité d’autres de cette espece, de différentes formes & grosseur, selon la poussée des voûtes ou la pesanteur des murs qu’ils ont à entretenir ; la plûpart se font souvent en fer le plus commun, à-moins qu’ils ne soient spécifiés par les devis ou marchés faits entre les propriétaires & les ouvriers ; l’autre que l’on appelle légers ouvrages, sont les rapointis, clous, chevilles, broches, pattes, crochets, pitons, vis, &c. & autres menus ouvrages.

Des gros fers. Du nombre des gros fers, les ancres, fig. 12. & 13. les tirans, fig 14. les chaînes, fig. 15. & fig. 16. Pl. III. sont ordinairement les plus chargés, parce qu’ils retiennent l’écartement des murs de face[4], & de refend[5], occasionné par

  1. Machefer est une espece de pierre dure, formée des crasses du charbon usé.
  2. Suante, c’est-à-dire que le fer semble en effet suer.
  3. Couleur de cerise est la couleur qui imite ce fruit.
  4. Murs de face sont les murs extérieurs des bâtimens.
  5. Murs de réfend sont de gros murs intérieurs, ou l’on adosse ordinairement les cheminées, &c.