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RENVOI de la page 309.

VINGTIEME, imposition, s. m. (Econ. pol.) dans cette acception particuliere ce mot exprime une portion de revenus que tous les citoyens donnent à l’état pour les besoins publics, & dont la quotité est déterminée par sa propre dénomination.

Cette maniere de contribuer aux charges de la société est fort ancienne ; elle a plus de rapport qu’aucune autre à la nature des obligations contractées envers elle par les citoyens : elle est aussi la plus juste, la moins susceptible d’arbitraire & d’abus.

Il paroît, au rapport de Plutarque, que c’est ainsi que les Perses asseyoient les impôts. Darius, pere de Xercès, dit-il, ayant fixé les sommes que les peuples devoient payer sur leurs revenus, fit assembler les principaux habitans de chaque province, & leur demanda si ces sommes n’étoient point trop fortes ; moyennement, répondirent-ils. Aussi-tôt le prince en retrancha la moitié. Les peuples seroient heureux si le prince regloit ainsi ses besoins sur les leurs.

Les tributs se levoient à Athènes dans la proportion du produit des terrés ; le peuple étoit divisé en quatre classes. La premiere composée des pentacosiomedismnes, qui jouissoient d’un revenu de 500 mesures de fruits liquides ou secs & payoient un talent.

Ceux de la seconde classe, nommés chevaliers, qui n’avoient que trois cens mesures de revenu, payoient un demi-talent.

Les zeugites, qui formoient la troisieme classe, & qui ne possédoient que deux cens mesures de revenu, donnoient dix mines ou la sixieme partie d’un talent.

Enfin les thetes, qui avoient moins que deux cens mesures de revenus, & qui composoient la quatrieme classe, ne payoient rien.

La proportion de ces taxes entre elles n’étoit pas, comme on le voit, dans le rapport des revenus entre eux, mais dans celui de ce qui doit rester de franc au contribuable pour sa subsistance ; & cette portion exempte étoit estimée la même pour tous. On ne pensoit pas alors que pour être ples riche on eût plus de besoins ; il n’y avoit que le superflu qui fût taxé.

A Sparte, où tout étoit commun, où tous les biens appartenoient à tous, où le peuple, & non pas ses officiers, étoit l’état & ne payoit personne pour le gouverner ni pour le défendre, il ne falloit point d’impôts ; ils auroient été superflus & impossibles à lever : les métaux précieux en étoient proscrits, & avec eux l’avarice qu’ils produisent, & les dissentions qu’elle entraîne. Tant que la pauvreté gouverna Sparte, Sparte gouverna les nations : les plus opulentes y venoient chercher des législateurs.

Jusqu’à Constantin, qu’on appelle le grand, les tributs dans l’empire romain consisterent principalement dans des taxes sur les fonds : elles étoient fixées au dixieme & au huitieme du produit des terres labourables, & au cinquieme de celui des arbres fruitiers, des bestiaux, &c. On levoit encore d’autres contributions en nature, en grains, & en toutes sortes de denrées que les peuples étoient obligés de fournir, indépendamment des taxes en argent qui se nommoient daces.

Dans presque tous les gouvernemens actuels de l’Europe, & principalement dans ceux qui sont agricoles, la plus grande partie des impôts est également affectée sur les terres. L’usage de les lever par vingtieme du produit subsiste encore en Artois, en Flandre, dans le Brabant, & il paroît qu’il a lieu de

même dans la plûpart des provinces qui composoient autrefois l’ancien duché de Bourgogne. On y paye un, deux, trois, quatre, & jusqu’à cinq vingtiemes, suivant que les besoins & la volonté du souverain l’exigent.

En France il y a des impôts de toutes les especes, sur les terres, sur les personnes, sur les denrées & les marchandises de consommation, sur l’industrie, sur les rivieres, sur les chemins, & sur la liberté de les pratiquer. On y perçoit aussi le vingtieme ou les vingtiemes des revenus des citoyens ; ces impositions n’y sont établies que par extraordinaire, elles étoient inconnues avant 1710. Louis XIV. ordonna le premier la levée du dixieme avec celle de la capitation qui n’a point été supprimée depuis. Le dixieme l’a été après la derniere guerre que ce prince eut à soutenir. Sous la régence du duc d’Orléans on voulut le remplacer par le cinquantieme qui n’a point duré. En 1733, & à toutes les guerres suivantes, le dixieme a toujours été rétabli & supprimé. Enfin en 1750 le vingtieme y fut substitué pour l’acquittement des dettes de l’état, & il en a été levé jusqu’à trois pendant la guerre commencée en 1756, entre cette couronne & l’Angleterre.

En traitant de cet impôt je me suis proposé d’entrer dans quelques détails sur la nature & l’obligation des charges publiques. Il est peu de matiere plus importante que cette partie de l’administration politique. Ce n’est pas pour la multitude. Le peuple n’y voit que la nécessité de payer, l’homme d’état que le produit, le financier que le bénéfice. Le philosophe y voit la cause de la prospérité ou de la ruine des empires, celle de la liberté ou de l’esclavage des citoyens, de leur bonheur ou de leur misere. Il n’est point d’objet plus intéressant pour lui, parce qu’il n’en est point de si prochain de l’humanité, & qu’il ne peut être indifférent sur tout ce qui le touche de si près.

Avant que d’examiner ces diverses sortes de tributs ou de droits qui sont en usage, & de développer les inconvéniens ou les avantages qui résultent de leurs différentes natures & des diverses manieres de les lever ; je montrerai :

1°. Que les charges publiques sont d’autant plus justes & d’autant plus légitimes qu’elles sont fondées sur les conventions sociales, & que l’existence & la conservation des sociétés en dépendent.

2°. Qu’elles sont un tribut que lui doivent tous les citoyens, des avantages dont ils jouissent sous sa protection.

3°. Qu’elles ont pour objet le bien général de la république, & le bien individuel de chacun de ceux qui la composent.

4°. Que ne pouvant se gouverner par-elle-même, la société a besoin d’une puissance toujours active qui la représente, qui réunisse toutes ses forces & les mette en mouvement pour son utilité ; que cette puissance est le gouvernement, & que chaque citoyen en lui fournissant la contribution particuliere des forces qu’il doit à la société, ne fait que s’acquitter de ses obligations envers elle & envers lui-même.

5°. Enfin que la société ou le gouvernement qui la représente, a droit d’exiger en son nom cette contribution ; mais que sa mesure doit être l’utilité publique & le plus grand bien des particuliers, sans qu’elle puisse être excédée sous aucun prétexte légitime.