sont moins sujets à cet inconvénient, pourvû qu’on ait soin de ne donner le feu que par degrés. Le pouvoir qu’ont les acides de dissoudre presque tous les corps métalliques, eût donc restraint la Chimie dans des bornes trop étroites. La connoissance du verre a étendu ses limites, en fournissant de nouveaux moyens méchaniques pour multiplier les objets de ses recherches.
De tous les ouvrages de verre nous n’en connoissons que trois dont l’antiquité fasse mention, je parle d’ouvrages publics, & d’ouvrages si considérables qu’on a de la peine à y ajouter foi.
Scaurus, dit Pline, fit faire pendant son édilité un théatre, dont la scène étoit composée de trois ordres. Le premier étoit de marbre ; celui du milieu étoit de verre, espece de luxe que l’on n’a pas renouvellé depuis ; & l’ordre le plus élevé étoit de bois doré.
Le second monument public de verre est tiré du VII. liv. des Récognitions de Clément d’Alexandrie, où on lit que S. Pierre ayant été prié de se transporter dans un temple de l’ile d’Aradus, pour y voir un ouvrage digne d’admiration (c’étoit des colonnes de verre d’une grandeur & d’une grosseur extraordinaire), ce prince des apôtres y alla accompagné de ses disciples, & admira la beauté de ces colonnes, préférablement à d’excellentes statues de Phidias dont le temple étoit orné.
Le troisieme ouvrage de verre célebre dans l’antiquité, étoit l’admirable sphere ou globe céleste, inventé par Archimede, & dont Claudien a fait l’éloge dans l’épigramme suivante qui est fort jolie.
Jupiter in parvo cum cerneret æthera vitro,
Risit, & ad superos talia dicta dedit.
Huccine mortalis progressa potentia curæ ?
Jam meus in fragili luditur orbe labor :
Jura poli, rerumque fidem legemque virorum
Ecce Syracusius transtulit arte senex.
Inclusus variis famulatur spiritus astris
Et vivum certis motibus urget opus.
Percurrit proprium mentitus signifer annum,
Et simulata novo Cynthia mense redit.
Jamque suum volvens audax industria mundum,
Gaudet, & humanâ sidera mente regit.
Quid falso insontem tonitru Salmonea miror ?
Æmula naturæ parva reperta manus.
La ville de Sidon inventa l’art de faire des verres noirs à l’imitation du jayet ; les Romains en incrustoient les murs de leurs chambres, afin, dit Pline, de tromper ceux qui y venoient pour s’y mirer, & qui étoient tout étonnés de n’y voir qu’une ombre.
Le même historien nous apprend que sous l’empire de Néron, on commença à faire des vases & des coupes de verre blanc transparent, & imitant parfaitement le crystal de roche ; ces vases se tiroient de la ville d’Alexandrie, & étoient d’un prix immense.
Enfin nous apprenons du même Pline, que les anciens ont eu le secret de peindre le verre de différentes couleurs, & de l’employer à imiter la plupart des pierres précieuses.
Mais plusieurs siecles se sont écoulés avant que le verre ait atteint ce degré de perfection auquel il est aujourd’hui parvenu. C’est la Chimie qui a soumis sa composition & sa fusion à des regles certaines ; sans parler des formes sans nombre qu’elle a sçu lui donner, & qui l’ont rendu propre aux divers besoins de la vie. Combien n’a-t-elle pas augmenté sa valeur & son éclat par la variété des couleurs dont elle a trouvé le secret de l’enrichir, à l’aide des métaux auxquels on juge à propos de l’allier ? Combien d’utiles instrumens de Physique ne fait-on pas avec le verre ? Tantôt en lui donnant une forme convexe, cette substance devient propre à remédier à l’affoi-
fois l’art porte ses vûes sur des sujets plus vastes & nous fait lire dans les cieux. Lui donne-t-on une forme concave ? le feu céleste se soumet à sa loi, il lui transmet son pouvoir dans sa plus grande force, & les métaux entrent en fusion à son foyer. Veut-on imiter la nature dans ses productions les plus cachées, le verre fournit des corps qui à la dureté près, ne cedent en rien à la plupart des pierres précieuses.
Cette substance transparente a porté de nouvelles lumieres dans la nouvelle physique. Sans le verre l’illustre Boyle ne fût jamais parvenu à l’invention de cet instrument singulier, à l’aide duquel il a démontré tant de vérités, & imaginé un si grand nombre d’expériences qui l’ont rendu célebre, & dans sa patrie & chez l’étranger. Enfin pour dire quelque chose de plus, c’est par le prisme que Newton a anatomisé la lumiere, & a dérobé cette connoissance aux intelligences célestes qui seules l’avoient avant lui.
Non contens de tous ces avantages, les Chimistes ont poussé plus loin leurs recherches & leurs travaux sur le verre. Ils ont cru avec raison, que l’art de la verrerie n’étoit pas à son dernier période, & qu’il pouvoit encore enfanter de nouveaux prodiges. En effet, en faisant un choix particulier des matieres propres à faire le verre, en en séparant tous les corps étrangers, en réduisant ensuite celles qu’on a choisies dans un état presque semblable à la porphyrisation, & en lui faisant subir un degré de chaleur plus considérable que pour le verre ordinaire, ils ont trouvé le moyen d’en former un d’une qualité très-supérieure, quoique de même genre. Le poli moëlleux (si l’on peut s’exprimer ainsi), dont il est susceptible par l’extrème finesse des parties qui le composent ; sa transparence portée à un si haut point de perfection, que nous ne pourrions pas croire que ce fût un corps solide, si le toucher ne nous en assuroit, font de cette espece de verre une classe absolument séparée du verre dont on se sert ordinairement.
Quelque parfaites que fussent les glaces dans cet état, elles pouvoient acquérir encore ; l’art n’avoit pas épuisé son pouvoir sur elles. Il s’en est servi pour les enrichir par un don plus précieux que tous les autres qu’elles possédoient déjà. La nature nous avoit procuré de tout tems l’avantage de multiplier à nos yeux des objets uniques, & même notre propre image ; mais nous ne pouvions jouir de cette création subite que sur le bord d’une onde pure, dont le calme & la clarté permettent aux rayons du soleil de se refléchir jusqu’à nos yeux sous le même angle sous lequel ils étoient dardés. L’art en voulant imiter le crystal des eaux, & produire les mêmes effets, les a surpassés. La Chimie par un mélange de mercure & d’étain, répandu également & avec soin sur la surface extérieure des glaces, leur donne le moyen de rendre fidélement tous les corps qui leur sont présentés. Cette faculté miraculeuse ne diminue rien de leurs autres qualités, si ce n’est la transparence. Venise fut long-tems la seule en possession du secret de faire les glaces ; mais la France a été son émule, & par ses succès a fait tomber dans ses mains cette branche de commerce.
Le verre tel qu’on vient de le décrire dans les différens états dont il est susceptible, pouvoit encore en se déguisant sous la forme d’un vernis brillant & poli, fournir aux arts un moyen de s’étendre sur des objets de pur agrément dans leur principe, mais que le luxe a rendus depuis un siecle une branche de commerce considérable ; on voit bien que je veux parler de la porcelaine chinoise, que les Européens ont tâché d’imiter par de nouvelles manufactures éclatantes, non par la nature de la pâte, mais par la noblesse de leurs contours, la beauté du dessein, la vivacité