Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

& le déchiffrement des anciens manuscrits sur l’écorce des arbres, sur le papier, & sur le parchemin. Scaliger, Saumaise, Casaubon, Sirmond, Petau, & Mabillon, étoient habiles dans cette sorte de science, à laquelle on donne le nom de bibliographie.

BIBLIOMANE, s. m. c’est un homme possédé de la fureur des livres. Ce caractere original n’a pas échappé à la Bruyere. Voici de quelle maniere il le peint dans le chap. xiij. de son livre des Caracteres, où il passe en revûe bien d’autres originaux. Il feint de se trouver avec un de ces hommes qui ont la manie des livres ; & sur ce qu’il lui a fait comprendre qu’il a une bibliotheque, notre auteur témoigne quelqu’envie de la voir. « Je vais trouver, dit-il, cet homme, qui me reçoit dans une maison, où dès l’escalier je tombe en foiblesse d’une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu’ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d’or, & de la bonne édition, me nommer les meilleurs l’un après l’autre, dire que sa galerie est remplie à quelques endroits près, qui sont peints de maniere, qu’on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, & que l’œil s’y trompe ; ajoûter qu’il ne lit jamais, qu’il ne met pas le pié dans cette galerie ; qu’il y viendra pour me faire plaisir : je le remercie de sa complaisance, & ne veux, non plus que lui, visiter sa tannerie, qu’il appelle bibliotheque ». Un bibliomane n’est donc pas un homme qui se procure des livres pour s’instruire : il est bien éloigné d’une telle pensée, lui qui ne les lit pas seulement. Il a des livres pour les avoir, pour en repaître sa vûe ; toute sa science se borne à connoître s’ils sont de la bonne édition, s’ils sont bien reliés : pour les choses qu’ils contiennent, c’est un mystere auquel il ne prétend pas être initié ; cela est bon pour ceux qui auront du tems à perdre. Cette possession qu’on appelle bibliomanie, est souvent aussi dispendieuse que l’ambition & la volupté. Tel homme n’a de bien que pour vivre dans une honnête médiocrité, qui se refusera le simple nécessaire pour satisfaire cette passion.

BIBLIOMANIE, s. f. fureur d’avoir des livres, & d’en ramasser.

M. Descartes disoit que la lecture étoit une conversation qu’on avoit avec les grands hommes des siecles passés, mais une conversation choisie, dans laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées. Cela peut être vrai des grands hommes : mais comme les grands hommes sont en petit nombre, on auroit tort d’étendre cette maxime à toutes sortes de livres & à toutes sortes de lectures. Tant de gens médiocres & tant de sots même ont écrit, que l’on peut en général regarder une grande collection de livres dans quelque genre que ce soit, comme un recueil de mémoires pour servir à l’histoire de l’aveuglement & de la folie des hommes ; & on pourroit mettre au-dessus de toutes les grandes bibliotheques cette inscription philosophique : Les petites maisons de l’esprit humain.

Il s’ensuit de-là que l’amour des livres, quand il n’est pas guidé par la Philosophie & par un esprit éclairé, est une des passions les plus ridicules. Ce seroit à peu près la folie d’un homme qui entasseroit cinq ou six diamans sous un monceau de cailloux.

L’amour des livres n’est estimable que dans deux cas ; 1.o lorsqu’on sait les estimer ce qu’ils valent, qu’on les lit en philosophe, pour profiter de ce qu’il peut y avoir de bon, & rire de ce qu’ils contiennent de mauvais ; 2.o lorsqu’on les possede pour les autres autant que pour soi, & qu’on leur en fait part avec plaisir & sans réserve. On peut sur ces deux points proposer M. Falconet pour modele à tous

ceux qui possedent des bibliotheques, ou qui en posséderont à l’avenir.

J’ai oüi dire à un des plus beaux esprits de ce siecle, qu’il étoit parvenu à se faire, par un moyen assez singulier, une bibliotheque très-choisie, assez nombreuse, & qui pourtant n’occupe pas beaucoup de place. S’il achette, par exemple, un ouvrage en douze volumes, où il n’y ait que six pages qui méritent d’être lûes, il sépare ces six pages du reste, & jette l’ouvrage au feu. Cette maniere de former une bibliotheque m’accommoderoit assez.

La passion d’avoir des livres est quelquefois poussée jusqu’à une avarice très-sordide. J’ai connu un fou qui avoit conçû une extrème passion pour tous les livres d’Astronomie, quoiqu’il ne sût pas un mot de cette science ; il les achetoit à un prix exorbitant, & les renfermoit proprement dans une cassette sans les regarder. Il ne les eût pas prêté ni même laissé voir à M. Halley ou à M. le Monnier, s’ils en eussent eu besoin. Un autre faisoit relier les siens très-proprement ; & de peur de les gâter, il les empruntoit à d’autres quand il en avoit besoin, quoiqu’il les eût dans sa bibliotheque. Il avoit mis sur la porte de sa bibliotheque, ite ad vendentes : aussi ne prêtoit-il de livres à personne.

En général, la bibliomanie, à quelques exceptions près, est comme la passion des tableaux, des curiosités, des maisons ; ceux qui les possedent n’en joüissent guere. Aussi un Philosophe en entrant dans une bibliotheque, pourroit dire de presque tous les livres qu’il y voit, ce qu’un philosophe disoit autrefois en entrant dans une maison fort ornée, quam multis non indigeo, que de choses dont je n’ai que faire ! (O)

* BIBLIOTHECAIRE, s. m. celui qui est préposé à la garde, au soin, au bon ordre, à l’accroissement des livres d’une bibliotheque. Il y a peu de fonctions littéraires qui demandent autant de talens. Celle de bibliothécaire d’une grande bibliotheque, telle, par exemple, que celle du Roi, suppose la connoissance des langues anciennes & modernes, celle des livres, des éditions, & de tout ce qui a rapport à l’histoire des Lettres, au commerce de la Librairie, & à l’Art typographique.

BIBLIOTHEQUE, s. f. ce nom est formé de βίϐλος, livre, & de θήκη, theca, repositorium ; ce dernier mot vient de τίθημι, pono, & se dit de tout ce qui sert à serrer quelque chose. Ainsi bibliotheque, selon le sens littéral de ce mot, signifie un lieu destiné pour y mettre des livres. Une bibliotheque est un lieu plus ou moins vaste, avec des tablettes ou des armoires où les livres sont rangés sous différentes classes : nous parlerons de cet ordre à l’article Catalogue.

Outre ce premier sens littéral, on donne aussi le nom de bibliotheque à la collection même des livres. Quelques auteurs ont donné, par extension & par métaphore, le nom de bibliotheque à certains recueils qu’ils ont faits, ou à certaines compilations d’ouvrages. Telles sont la bibliotheque rabbinique, la bibliotheque des auteurs ecclésiastiques, bibliotheca patrum, &c.

C’est en ce dernier sens que les auteurs ecclésiastiques ont donné par excellence le nom de bibliotheque au recueil des livres inspirés, que nous appellons encore aujourd’hui la bible, c’est-à-dire, le livre par excellence. En effet, selon le sentiment des critiques les plus judicieux, il n’y avoit point de livres avant le tems de Moyse, & les Hébreux ne purent avoir de bibliotheque qu’après sa mort : pour lors ses écrits furent recueillis & conservés avec beaucoup d’attention. Par la suite on y ajoûta plusieurs autres ouvrages.

On peut distinguer les livres des Hébreux, en livres sacrés, & livres profanes : le seul objet des premiers étoit la religion ; les derniers traitoient de la