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ont germé, sont déjà autant de jeunes chênes, & le succès d’une plantation faite de cette façon n’est pas douteux ; la dépense même n’est pas considérable, car il ne faut qu’un seul labour. Si l’on pouvoit se garantir des mulots & des oiseaux, on réussiroit tout de même & sans aucune dépense, en mettant en automne le gland sous l’herbe ; car il perce & s’enfonce de lui-même, & réussit à merveille sans aucune culture dans les friches dont le gason est fin, serré & bien garni, & qui indique presque toûjours un terrein ferme & mêlé de glaise.

Si l’on veut semer du bois dans les terreins qui sont d’une nature moyenne entre les terres fortes & les terres légeres, on fera bien de semer de l’avoine avec les glands, pour prévenir la naissance des mauvaises herbes, qui sont plus abondantes dans ces especes de terreins, que dans les terres fortes & les terres légeres ; car ces mauvaises herbes, dont la plûpart sont vivaces, font beaucoup plus de tort aux jeunes chênes, que l’avoine qui cesse de pousser au mois de Juillet.

M. de Buffon a reconnu par plusieurs expériences, que c’est perdre de l’argent & du tems que de faire arracher de jeunes arbres dans les bois pour les transplanter dans des endroits où on est obligé de les abandonner & de les laisser sans culture ; & que quand on veut faire des plantations considérables d’autres arbres que de chêne ou de hêtre dont les graines sont fortes & surmontent presque tous les obstacles, il faut faire des pépinieres où on puisse élever & soigner les jeunes arbres pendant les deux premieres années, après quoi on les pourra planter avec succès pour faire des bois.

Dans les terreins secs, légers, mêlés de gravier, & dont le sol n’a que peu de profondeur, il faut faire labourer une seule fois, & semer en même tems les glands avant l’hyver. Si l’on ne seme qu’au printems, la chaleur du soleil fait périr les graines. Si on se contente de les jetter ou de les placer sur la terre, comme dans les terreins forts, elles se dessechent & périssent ; parce que l’herbe qui fait le gason de ces terres légeres, n’est pas assez garnie & assez épaisse pour les garantir de la gelée pendant l’hyver, & de l’ardeur du soleil au printems. Les jeunes arbres arrachés dans les bois, réussissent encore moins dans ces terreins que dans les terres fortes ; & si on veut les planter, il faut le faire avant l’hyver, avec de jeunes plants pris en pépiniere.

Le produit d’un terrein peut se mesurer par la culture ; plus on travaille la terre, plus elle rapporte de fruits : mais cette vérité d’ailleurs si utile, souffre quelques exceptions ; & dans les bois une culture prématurée & mal entendue, cause la disette, au lieu de produire l’abondance. Par exemple, on imagine que la meilleure maniere de mettre un terrein en nature de bois, est de nettoyer ce terrein & de le bien cultiver avant que de semer le gland ou les autres graines qui doivent un jour le couvrir de bois ; & M. de Buffon n’a été desabusé de ce préjugé qui paroît si raisonnable, que par une longue suite d’observations. M. de Buffon a fait des semis considérables & des plantations assez vastes ; il les a faites avec précaution : il a souvent fait arracher les genievres, les bruyeres, & jusqu’aux moindres plantes qu’il regardoit comme nuisibles, pour cultiver à fond & par plusieurs labours les terreins qu’il vouloit ensemencer. M. de Buffon ne doutoit pas du succès d’un semis fait avec tous ces soins : mais au bout de quelques années il a reconnu que ces mêmes soins n’avoient servi qu’à retarder l’accroissement des jeunes plants ; & que cette culture précédente qui lui avoit donné tant d’espérance, lui avoit causé des pertes considérables : ordinairement on dépense pour acquérir ; ici la dépense nuit à l’acquisition.

Si l’on veut donc réussir à faire croître du bois dans un terrein, de quelque qualité qu’il soit, il faut imiter la nature, il faut y planter & y semer des épines & des buissons qui puissent rompre la force du vent, diminuer celle de la gelée, & s’opposer à l’intempérie des saisons. Ces buissons sont des abris qui garantissent les jeunes plants, & les protegent contre l’ardeur du soleil & la rigueur des frimats. Un terrein couvert, ou plûtôt à demi-couvert, de genievre, de bruyeres, est un bois à moitié fait, & qui peut-être a dix ans d’avance sur un terrein net & cultivé.

Pour convertir en bois un champ, ou tout autre terrein cultivé, le plus difficile est de faire du couvert. Si l’on abandonne un champ, il faut vingt ou trente ans à la nature pour y faire croitre des épines & des genievres : ici il faut une culture qui dans un an ou deux puisse mettre le terrein au même état où il se trouve après une non-culture de trente ans.

Le moyen de suppléer aux labours, & presqu’à toutes les autres especes de culture, c’est de couper les jeunes plants jusqu’auprès de terre : ce moyen, tout simple qu’il paroît, est d’une utilité infinie ; & lorsqu’il est mis en œuvre à propos, il accélere de plusieurs années le succès d’une plantation.

Tous les terreins peuvent se réduire à deux especes ; savoir, les terreins forts & les terreins légers : cette division, quelque vague qu’elle paroisse, est suffisante. Si l’on veut semer dans un terrein léger, on peut le faire labourer ; cette opération fait d’autant plus d’effet, & cause d’autant moins de dépense, que le terrein est plus léger ; il ne faut qu’un seul labour, & on seme le gland en suivant la charrue. Comme ces terreins sont ordinairement secs & brûlans, il ne faut point arracher les mauvaises herbes que produit l’été suivant ; elles entretiennent une fraîcheur bienfaisante, & garantissent les petits chênes de l’ardeur du soleil ; ensuite venant à périr & à se sécher pendant l’automne, elles servent de chaume & d’abri pendant l’hyver, & empêchent les racines de geler. Il ne faut donc aucune espece de culture dans ces terreins sablonneux ; il ne faut qu’un peu de couvert & d’abri pour faire réussir un semis dans les terreins de cette espece. Mais il est bien plus difficile de faire croître du bois dans des terreins forts, & il faut une pratique toute différente : dans ces terreins les premiers labours sont inutiles, & souvent nuisibles ; la meilleure maniere est de planter les glands à la pioche, sans aucune culture précédente : mais il ne faut pas les abandonner comme les premiers au point de les perdre de vûe & de n’y plus penser ; il faut au contraire les visiter souvent ; il faut observer la hauteur à laquelle ils se sont élevés la premiere année, observer ensuite s’ils ont poussé plus vigoureusement à la seconde : tant que leur accroissement va en augmentant, ou même tant qu’il se soûtient sur le même pié, il ne faut pas y toucher. Mais on s’apperçoit ordinairement à la troisieme année que l’accroissement va en diminuant ; & si on attend la quatrieme, la cinquieme, la sixieme, &c. on reconnoîtra que l’accroissement de chaque année est toûjours plus petit : ainsi dès qu’on s’appercevra que sans qu’il y ait eû de gelées ou d’autres accidens, les jeunes arbres commencent à croître de moins en moins, il faut les faire couper jusqu’à terre au mois de Mars, & l’on gagnera un grand nombre d’années. Le jeune arbre livré à lui-même dans un terrein fort & serré, ne peut étendre ses racines ; la terre trop dure les fait refouler sur elles-mêmes ; les petits filets tendres & herbacées qui doivent nourrir l’arbre & former la nouvelle production de l’année, ne peuvent pénétrer la substance trop ferme de la terre ; ainsi l’arbre languit privé de nourriture, & la production annuelle diminue fort souvent jusqu’au point de ne donner que des feuilles & quelques bou-