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& le manque d’air, ou supprimé par le dégouttement de l’arbre, & par la gelée, qui est toûjours plus vive près de la surface de la terre, ou enfin détruit par les obstacles que ces jeunes plantes trouvent dans un terrein traversé d’une infinité de racines & d’herbes de toute espece. On trouve, à la vérité, quelques arbres de brin dans les taillis. Ces arbres viennent de graine ; car le chêne ne se multiplie pas par rejettons, & ne pousse pas de la racine : mais les arbres de brin sont ordinairement dans les endroits clairs des bois, loin des gros baliveaux, & sont dûs aux mulots ou aux oiseaux, qui en transportant les glands en sement une grande quantité. M. de Buffon a sû mettre à profit ces graines que les oiseaux laissent tomber. Il avoit observé dans un champ, qui depuis trois ou quatre ans étoit demeuré sans culture, qu’autour de quelques petits buissons, qui s’y trouvoient fort loin les uns des autres, plusieurs petits chênes avoient paru tout d’un coup. M. de Buffon reconnut bientôt par ses yeux que cette plantation appartenoit à des geais, qui en sortant des bois venoient d’habitude se placer sur ces buissons pour manger leur gland, & en laissoient tomber la plus grande partie, qu’ils ne se donnoient jamais la peine de ramasser. Dans un terrein que M. de Buffon a planté dans la suite, il a eu soin de mettre de petits buissons ; les oiseaux s’en sont emparés, & ont garni les environs d’une grande quantité de jeunes chênes.

Les réserves établies dans les bois des ecclésiastiques & des gens de main-morte, ne sont pas sujettes au défaut des baliveaux. Il faudroit établir un tems fixe pour la coupe de ces futaies en réserve ; ce tems seroit plus ou moins grand, selon la qualité du terrein. On pourroit en régler les coupes à 50 ans dans un terrein de 2 piés de profondeur, à 70 dans un terrein de 3 piés , & à 100 ans dans un terrein de 4 piés & au-delà de profondeur. M. de Buffon donne ces termes d’après les observations qu’il a faites au moyen d’une tarriere haute de cinq piés, avec laquelle il a sondé quantité de terreins, où il a examiné en même tems la hauteur, la grosseur & l’âge des arbres : cela se trouve assez juste pour les terres fortes & pétrissables. Dans les terres légeres & sablonneuses, on pourroit fixer les termes des coupes à 40, 60 & 80 ans : on perdroit à attendre plus long-tems ; & il vaudroit infiniment mieux garder du bois de service dans des magasins, que de le laisser sur pié dans les forêts, où il ne peut manquer de s’altérer après un certain âge.

Tous ceux qui connoissent un peu les bois, savent que la gelée du printems est le fleau des taillis ; c’est elle qui dans les endroits bas & dans les petits vallons, supprime continuellement les jeunes rejettons, & empê che le bois de s’élever ; en un mot, elle fait aux bois un aussi grand tort qu’à toutes les autres productions de la terre ; & si ce tort a jusqu’ici été moins connu, moins sensible, c’est que la joüissance d’un taillis étant éloignée, le propriétaire y fait moins d’attention, & se console plus aisément de la perte qu’il fait : cependant cette perte n’est pas moins réelle, puisqu’elle recule son revenu de plusieurs années. M. de Buffon a tâché de prévenir, autant qu’il est possible, les mauvais effets de la gelée, en étudiant la façon dont elle agit ; & il a fait sur cela des expériences qui lui ont appris, que la gelée agit bien plus violemment à l’exposition du midi, qu’à l’exposition du nord ; qu’elle fait tout périr à l’abri du vent, tandis qu’elle épargne tout dans les endroits où il peut passer librement. Cette observation, qui est constante, fournit un moyen de préserver de la gelée quelques endroits des taillis, au moins pendant les deux ou trois premieres années, qui sont le tems critique, & où elle les attaque avec plus d’avantage. Ce moyen consiste à observer, quand on les abat, de commen-

cer la coupe du côté du nord : il est aisé d’y obliger

les marchands de bois, en mettant cette clause dans son marché ; & M. de Buffon s’est déjà bien trouvé d’avoir pris cette précaution pour ses taillis.

Un pere de famille, un homme arrangé qui se trouve propriétaire d’une quantité un peu considérable de bois taillis, commence par les faire arpenter, borner, diviser, & mettre en coupe réglée ; il s’imagine que c’est-là le plus haut point d’œconomie ; tous les ans il vend le même nombre d’arpens ; de cette façon ses bois deviennent un revenu annuel, il se sait bon gré de cette regle ; & c’est cette apparence d’ordre qui a fait prendre faveur aux coupes réglées : cependant il s’en faut bien que ce soit là le moyen de tirer de ses taillis tout le profit qu’on en peut tirer. Ces coupes réglées ne sont bonnes que pour ceux qui ont des terres éloignées qu’ils ne peuvent visiter ; la coupe réglée de leurs bois est une espece de ferme ; ils comptent sur le produit, & le reçoivent sans s’être donné aucun soin ; cela doit convenir à grand nombre de gens : mais pour ceux dont l’habitation se trouve fixée à la campagne, & même pour ceux qui vont y passer un certain tems toutes les années, il leur est facile de mieux ordonner les coupes de leurs bois taillis. En général, on peut assûrer que dans les bons terreins on gagnera à attendre, & que dans les terreins où il n’y a pas de fond, il faudra les couper fort jeunes : mais il seroit bien à souhaiter qu’on pût donner de la précision à cette regle, & déterminer au juste l’âge où l’on doit couper les taillis. Cet âge est celui où l’accroissement du bois commence à diminuer. Dans les premieres années, le bois croît de plus en plus, c’est-à-dire, la production de la seconde année est plus considérable que celle de la premiere, l’accroissement de la troisieme année est plus grand que celui de la seconde ; ainsi l’accroissement du bois augmente jusqu’à un certain âge, après quoi il diminue : c’est ce point, ce maximum qu’il faut saisir, pour tirer de son taillis tout l’avantage & tout le profit possible.

M. de Buffon a donné, dans les Mémoires de l’Académie, année 1738, le moyen qu’il a trouvé d’augmenter la force & la solidité du bois : rien n’est plus simple ; car il ne s’agit que d’écorcer les arbres, & les laisser ainsi sécher & mourir sur pié avant que de les abattre ; l’aubier devient par cette opération aussi dur que le cœur de chêne ; il augmente considérablement de force & de densité, comme M. de Buffon s’en est assûré par un grand nombre d’expériences ; & les souches de ces arbres écorcés & séchés sur pié, ne laissent pas de repousser & de reproduire des rejettons : ainsi il n’y a pas le moindre inconvénient à établir cette pratique, qui, en augmentant la force & la durée du bois mis en œuvre, doit en diminuer la consommation, & par conséquent doit être comptée au nombre des moyens de conserver les bois. Les Allemands, chez qui les Hollandois vont chercher leurs bois de menuiserie, n’ont point d’autre secret pour leur donner cette qualité qui les rend si propres à être travaillés. Au printems, lorsque l’écorce commence à se lâcher, on écorce l’arbre ; on lui laisse passer l’année : le printems suivant, l’arbre écorcé ne pousse plus que de petites feuilles ; on lui laisse achever encore cette année sur pié ; on ne le coupe que dans la saison où l’on coupe les arbres.

Regles pour semer le bois. Pour semer une terre forte & glaiseuse, il faut conserver le gland pendant l’hyver dans de la terre, en faisant un lit de deux pouces de gland sur un lit de terre d’un demi-pié, puis un lit de terre & un lit de gland, toûjours alternativement, & enfin en couvrant le magasin d’un pié de terre, pour que la gelée ne puisse y pénétrer. On en tirera le gland au commencement de Mars, & on le plantera à un pié de distance. Ces glands qui