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faire usage. Le nombre des variétés auxquelles la nature peut se prêter, est presque infini : c’est de ces variétés que nous avons tiré nos meilleurs fruits. Si nos prunes, nos pêches, nos abricots, &c. ne sont pas des especes constantes, ce sont au moins des productions préférables à la plûpart des especes constantes, & bien dignes par leur utilité d’occuper les Botanistes, qui semblent les dédaigner & en abandonner le soin aux Jardiniers.

La transmigration des plantes n’est pas un des moindres objets de leur culture : en tirant de l’étranger une nouvelle plante utile, on s’approprie un nouveau bien qui peut devenir meilleur que ceux dont on joüissoit auparavant. Le plane, l’orme, le maronnier, le pêcher, l’abricotier, le rosier, & tant d’autres, ont été transportés de pays fort éloignés, & ont été, pour ainsi dire, naturalisés chez nous. La nature a favorisé la premiere tentative que l’on a faite pour leur transplantation : mais combien y a-t-il de plantes qui nous paroissent trop délicates pour résister à notre climat, & qui pourroient peut-être y vivre, si on les en approchoit par degrés ; si au lieu de les transporter brusquement d’un lieu chaud à un lieu froid, on les déposoit successivement dans des climats de température moyenne, & si on leur donnoit le tems de se fortifier avant que de les exposer à la rigueur de nos hyvers ? Il faudroit peut-être plusieurs générations de la même plante dans chaque dépôt, & beaucoup d’industrie dans leur culture, pour les rendre plus robustes : mais quels avantages ne tireroit-on pas de toutes ces expériences, si on réussissoit dans une seule ? Je sai qu’il n’est pas possible de suppléer à la chaleur du soleil pour les plantes qui sont en plein air : mais on rapporte souvent au défaut de chaleur ce qui ne dépend que du terrein ; & je crois qu’il est toûjours possible de le rendre convenable à la plante que l’on veut cultiver.

Tous ces différens objets d’agriculture sont bien dignes d’occuper les hommes, & principalement ceux qui se sont voüés à la Botanique : mais les propriétés des plantes nous touchent encore de plus près, c’est le bien dont l’agriculture nous prépare la joüissance. Nous devrions réunir tous nos efforts pour y parvenir, & nous appliquer par préférence à découvrir de nouvelles propriétés.

Nous devons certainement au hasard la plûpart de celles que nous connoissons ; & la découverte des autres est si ancienne, que nous en ignorons l’histoire. Pour juger des tems passés par ce qui se fait à présent au sujet des propriétés des plantes, il est très probable qu’on n’en a jamais connu aucune que par des circonstances fortuites. Bien loin d’avoir eu des principes pour avancer cette connoissance, on a souvent pris les plantes des plus salutaires pour des poisons, tandis que l’on mettoit en usage celles dont les effets auroient paru très-dangereux, si on les avoit examinées sans prévention. On a peine à concevoir que les hommes gardent des préjugés contre leurs propres intérêts, cependant on n’en a que trop d’exemples : on s’est souvent laissé prévenir sans raison pour ou contre des remedes dont on faisoit dépendre la vie ou la mort des malades ; chacun les employoit ou les rejettoit à son gré, sans trop penser à en déterminer les vraies propriétés. D’où vient donc cette indifférence pour des choses qui nous intéressent de si près ? Notre amour pour la vie n’est point équivoque, & cependant nous semblons négliger ce qui peut la conserver. Nous savons que les propriétés des plantes sont les moyens les plus doux & souvent les plus sûrs pour rétablir notre santé, ou pour prévenir nos maladies ; & l’art qui pourroit nous conduire à reconnoître ces propriétés n’est pas encore né. Que d’arts frivoles ont été portés à leur comble ; que de connoissances vaines ont été accumulées au point de

former des sciences, tandis que l’on s’est contenté de faire une liste des plantes usuelles dans la Medecine, & de distinguer leurs propriétés par un ordre méthodique qui les repartit en classes & en genres ! On a compris dans une même classe les plantes évacuantes, & dans une autre les plantes altérantes : les purgatives, les émétiques sont des genres de la premiere classe ; & la seconde est divisée en plantes céphaliques, béchiques, cardiaques, diurétiques, diaphorétiques, &c. Voyez Matiere médicale.

Cette méthode est très-incomplete ; parce qu’à l’exception du genre des purgatifs qui est partagé en purgatifs forts & en purgatifs minoratifs, il n’y en a aucun autre qui soit sous-divisé ; & parce que dans tous les especes ne sont point déterminées, les plantes y sont seulement rassemblées pêle-mêle sans être caractérisées, de façon que l’on puisse distinguer leurs propriétés de celles des autres plantes du même genre. Cependant cette méthode est bonne, en ce qu’elle est moins arbitraire qu’aucune méthode d’histoire naturelle ; ses caracteres dépendant des effets que produisent les plantes sur le corps humain, sont aussi constans que la nature des plantes & que la nature humaine : aussi cet ordre méthodique n’a point été changé jusqu’ici ; & je crois qu’il vaudroit bien mieux le développer en entier & le suivre dans les détails, que de penser à en faire d’autres. L’abus que l’on a fait des méthodes dans les nomenclatures des plantes, doit nous préserver d’un pareil abus dans l’exposé de leurs propriétés, qui ne peut être que le résultat de nos observations.

Il se présente naturellement deux objets principaux dans les observations qui peuvent nous conduire à la connoissance des propriétés des plantes. Le premier est de déterminer l’effet des propriétés connues, & de le modifier dans les différentes circonstances. Le second est de trouver les moyens de découvrir de nouvelles propriétés.

Le premier a été bien suivi par les bons observateurs, tant pour les remedes intérieurs de la Medecine, que pour les topiques de la Chirurgie par rapport au regne végétal. Aussi est-ce par le résultat de ces observations que l’on constate la plûpart des connoissances de la matiere médicale, qui est sans doute une des parties les plus certaines de la Medecine. Mais ces mêmes observations sont imparfaites en ce qui dépend de la Botanique & de la Pharmacie, c’est-à-dire de l’état actuel de la plante que l’on employe & de sa préparation. On ne sait pas bien en quoi different les propriétés d’une racine arrachée au printems ou en automne, en été ou en hyver ; une fleur cueillie, des feuilles séchées, une écorce enlevée ou un bois coupé dans ces différentes saisons ; en quelle proportion l’efficacité des plantes augmente ou diminue à mesure qu’on les garde après les avoir recueillies ; quelle différence y occasionne un dessechement plus ou moins prompt, & la façon de les tenir dans un lieu plus ou moins fermé ; en quoi les propriétés des plantes dépendent de leur âge, du terrein, & du climat dans lequel elles croissent, &c. Si on a quelques connoissances des effets que produisent ces différentes circonstances, ce sont des connoissances bien vagues & bien éloignées du point de précision qu’exige l’importance du sujet. On n’a jamais fait des expériences assez suivies pour avoir de bonnes observations sur ces différens objets : de telles observations pourroient nous faire connoître la meilleure façon de préparer les plantes pour modifier leur efficacité à tel ou tel point. Nous saurions au moins quel changement arrive dans la propriété d’une plante par une infusion plus ou moins longue, & par quantité d’autres préparations.

Il sera sans doute plus facile de déterminer l’effet des propriétés connues dans les plantes, & de les