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& que nous appellons des Septante, où l’on mit au nombre des livres divins Tobie, Judith, la Sagesse, & l’Ecclésiastique : le troisieme au tems d’Hircan, dans le septieme synode assemblé pour confirmer la secte des Pharisiens, dont Hillel & Sammal étoient les chefs, & condamner Sadoc & Barjetos, promoteurs de celle des Saducéens, & où le dernier canon fut augmenté du livre des Machabées, & les deux canons précédens confirmés malgré les Saducéens, qui comme les Samaritains ne vouloient admettre pour divins que les cinq livres de Moyse. À entendre Genebrard établir si délibérément toutes ces distinctions, on diroit qu’il a tous les témoignages de l’histoire ancienne des Juifs en sa faveur ; cependant on n’y trouve rien de pareil, & l’on peut regarder sa narration comme un des efforts d’imagination les plus extraordinaires, & une des meilleures preuves que l’on ait de la nécessité de vérifier les faits avant que de les admettre en démonstration.

Serrarius, qui est venu après Génébrard, n’a pas jugé à propos d’attribuer aux Juifs trois canons différens. Il a cru que c’étoit assez de deux, l’un de vingt-deux livres fait par Esdras ; & le même, augmenté des livres deutérocanoniques, & dressé du tems des Machabées. Pour preuve de ce double canon, il lui a semblé, ainsi qu’à Genebrard, que sa parole suffisoit. Il se propose cependant l’objection du silence des peres sur ces différens canons, & de leur accord unanime à n’en reconnoître qu’un composé de vingt-deux livres divins. Mais sa réponse est moins celle d’un savant qui cherche la vérité, que celle d’un disputant qui défend sa these. Il prétend avec confiance que les peres en parlant du canon des écritures Juives, composées de vingt-deux livres, n’ont fait mention que du premier, sans exclurre les autres. Quoi donc, lorsqu’on examine par une recherche expresse quels sont les livres admis pour divins par une nation, qu’on en marque positivement le nombre, & qu’on en donne les noms en particulier, on n’exclut pas ceux qu’on ne nomme pas ? Moyse en disant qu’Abraham prit avec lui trois cents dix-huit de ses serviteurs, pour délivrer Loth son neveu des mains de ses ennemis, n’a-t-il pas exclu le nombre de quatre cents ? & lorsque l’évangéliste dit que Jesus-Christ choisit douze apôtres parmi ses disciples, n’exclud-il pas un plus grand nombre ? Les peres pouvoient-ils nous dire plus expressément que le canon des livres de l’ancien Testament n’alloit pas jusqu’à trente, qu’en nous assûrant qu’il étoit de vingt-deux ? Quand Meliton dit à Onésime qu’il a voyagé jusques dans l’orient pour découvrir quels étoient les livres canoniques, & qu’il nomme ensuite ceux qu’il a découverts & connus, n’en dit-il pas assez pour nous faire entendre qu’il n’en a pas connu d’autres que ceux qu’il nomme ? C’est donc exclurre un livre du rang des livres sacrés, que de ne point le mettre dans le catalogue qu’on en fait exprès pour en désigner le nombre & les titres. Donc, en faisant l’énumération des livres reconnus pour divins par les Juifs, les peres ont nécessairement exclu tous ceux qu’ils n’ont pas nommés ; de même que quand nos papiers publics donnent la liste des officiers que le Roi a promus, on est en droit d’assûrer qu’ils excluent de ce nombre tous ceux qui ne se trouvent pas dans leur liste. Mais si ces raisons ne suffisent pas, si l’on veut des preuves positives que les peres ont exclu d’une maniere expresse & formelle du canon des Ecritures admises pour divines par les Juifs, tous les livres qu’ils n’ont pas comptés au nombre des vingt-deux, il ne sera pas difficile d’en trouver.

Saint Jérôme, dans son prologue défensif, dit qu’il l’a composé afin qu’on sache que tous les livres qui ne sont pas des vingt-deux qu’il a nommés, doivent être regardés comme apocryphes : ut scire valeamus

quidquid extra hos est (on verra dans la question suivante quels étoient ces vingt-deux livres) inter apocrypha esse ponendum. Il ajoûte ensuite que la Sagesse, l’Ecclesiastique, Tobie, Judith, ne sont pas dans le canon. Igitur Sapientia, quæ vulgo Salomonis inscribitur, & Jesu filii Sirach liber, & Judith, & Tobias, & Pastor, non sunt in canone. Dans la préface sur Tobie, il dit que les Hébreux excluent ce livre du nombre des Ecritures divines, & le rejettent entre les apocryphes. Il en dit autant à la tête de son commentaire sur le prophete Jonas.

On lit dans la lettre qu’Origene écrit à Asricanus, que les Hébreux ne reconnoissent ni Tobie ni Judith, mais qu’ils les mettent au nombre des livres apocryphes : nos oportet scire quod Hebræi Tobia non utuntur neque Judith ; non enim ea habent nisi in apocryphis.

Saint Epiphane dit, nomb. 3 & 4 de son livre des Poids & des mesures, que les livres de la Sagesse & de l’Ecclésiastique ne sont pas chez les Juifs au rang des Ecritures-saintes.

L’auteur de la Synopse assure que Tobie, Judith, la Sagesse & l’Ecclesiastique, ne sont point des livres canoniques, quoiqu’on les lise aux catéchumenes.

Y a-t-il rien de plus clair & de plus décisif que ces passages ? Sur quoi se retranchera donc Serrarius ? Il répetera que les peres ne parlent dans tous ces endroits que du premier canon des Juifs : mais on ne l’en croira pas ; on verra qu’ils y disent nettement que Judith, Tobie, & les autres de la même classe, ne sont pas reconnus pour divins par les Juifs, par les Hébreux, par la nation. D’ailleurs, ce second canon imaginaire ne devoit-il pas avoir été fait par les Juifs ainsi que le premier ? Comment donc S. Jérôme & Origene auroient-ils pû avancer que les Juifs regardoient comme apocryphes des livres qu’ils auroient déclarés authentiquement divins & sacrés, quoique par un second canon ? Le premier ajoûteroit-il, comme il fait dans sa préface sur Tobie, que les Juifs peuvent lui reprocher d’avoir traduit cet ouvrage comme un livre divin, contre l’autorité de leur canon, s’il y avoit eu parmi eux un second canonTobie eût été mis au rang des livres divins ? Méliton n’a-t-il recherché que les livres du premier canon, ou a-t-il voyagé jusques dans l’orient pour connoître tous les ouvrages reconnus de son tems pour canoniques ? en un mot, le dessein des peres en publiant le catalogue des livres admis pour divins chez les Juifs, étoit-il d’exposer la croyance de ce peuple au tems d’Esdras, ou plûtôt celle de leur tems ? & s’il y avoit eu lieu à quelque distinction pareille, ne l’auroient-ils pas faite ? Laissons donc l’école penser là-dessus ce qu’elle voudra : mais concluons, nous, que les Juifs n’ont eu ni trois, ni deux canons, mais seulement un canon de vingt-deux livres ; & persistons dans ce sentiment jusqu’à ce qu’on nous en tire, en nous faisant voir que les peres se sont trompés, ce qui n’est pas possible. Car d’où tireroit-on cette preuve ? aucun ancien auteur n’a parlé du double canon. La tradition des Juifs y est formellement contraire. Ils n’ont encore aujourd’hui de livres divins que les vingt-deux qu’ils ont admis de tout tems comme tels. Josephe dit, ainsi qu’on l’a déja vû, & qu’on le verra plus bas encore, que sa nation ne reconnoît que vingt-deux livres divins ; & que, si elle en a d’autres, elle ne leur accorde pas la même autorité. Mais, dira-t-on, Josephe a cité l’Ecclésiastique dans son second livre contre Appion. Quand on en conviendroit, s’ensuivroit-il de là qu’il en a fait un livre divin ? Nullement. Mais il n’est point du tout décidé que Josephe ait cité l’Ecclésiastique. Il se propose de démontrer l’excellence & la supériorité de la législation de Moyse sur celles de Solon, de Lycurgue & des autres. Il rapporte à cette occasion des préceptes & des maximes, & il attribue à Moyse l’opinion que l’homme est supérieur en