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tout à la femme. Il lui fait dire que l’homme méchant est meilleur que la femme bienfaisante ; γυνὴ δὲ χείρων φησὶν ἀνδρὸς ὡς τὰ πάντα, καὶ ἡ πονηρία αὐτοῦ ὑπὲρ ἀγαθοποιοῦ γυναικὸς ; paroles citées comme de Moyse, & non comme de l’Ecclésiastique. On objectera sans doute que ce passage ne se trouve point dans Moyse. Soit. Donc Josephe ne le lui attribue pas. Je le nie, parce que le fait est évident. Mais quand je conviendrois de tout ce qu’on prétend, on n’en pourroit jamais inférer que Josephe ait déclaré l’Ecclésiastique livre canonique. M. Pithou remarque que les dernieres paroles du passage cité de Josephe ne sont pas de lui, & qu’elles ont été insérées selon toute apparence par quelque copiste. Cette critique est d’autant plus vraissemblable, qu’elles ne se trouvent pas dans l’ancienne version Latine de Rufin. Donc le double & le triple canon sont des chimeres, les Juifs n’en faisant aucune mention, & les peres ne les ayant point connus : ce qu’il falloit démontrer.

De combien de livres étoit composé le canon des Ecritures divines chez les Juifs, & quels étoient ces livres. Troisieme question, dont la solution servira d’éclaircissement & d’appui aux deux questions précédentes. Les Juifs ont toûjours composé leur canon de vingt-deux livres, ayant égard au nombre des lettres de leur alphabet dont ils faisoient usage pour les désigner, selon l’observation de S. Jérôme, dans son prologue général ou défensif. Quelques rabbins en ont compté vingt-quatre ; d’autres vingt-sept ; mais ces différens calculs n’augmentoient ni ne diminuoient le nombre réel des livres ; certains livres divisés en plusieurs parties y occupoient seulement plusieurs places.

Ceux qui comptoient vingt-quatre livres de l’Écriture, séparoient les Lamentations, de la Prophétie de Jérémie, & le livre de Ruth de celui des Juges, que ceux qui n’en comptoient que vingt-deux laissoient unis : les premiers, afin de pouvoir marquer ces vingt-quatre livres avec les lettres de leur alphabet, répétoient trois fois la lettre jod, en l’honneur du nom de Dieu Jehova, que les Chaldéens écrivoient par trois jod. Ce nombre de vingt-quatre est celui dont les Juifs d’à présent se servent pour désigner les livres de l’Ecriture-sainte ; & c’est peut-être à quoi les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse font allusion.

Ceux qui comptoient vingt-sept livres, séparoient encore en six nombres les livres des Rois & des Paralipomenes, qui n’en faisoient que trois pour les autres. Et pour les indiquer, ils ajoûtoient aux vingt-deux lettres ordinaires de l’alphabet les cinq finales, comme nous l’apprend S. Epiphane dans son livre des Poids & des mesures. Ceux qui savent l’alphabet Hébreu (car il n’en faut pas savoir davantage) connoissent ces lettres finales. Ce sont caph, mem, nun, pé, tsad, qui s’écrivent à la fin des mots d’une maniere différente que dans le milieu ou au commencement.

Le canon étoit donc toûjours le même, soit qu’on comptât les livres par 22, 24 ou 27. Mais la premiere maniere a été la plus générale & la plus commune ; c’est celle de Josephe. M. Simon donne l’ancienneté à celle de 24 : mais je ne sai sur quelle preuve, car il n’en rapporte aucune. J’avoue que ces matieres ne me sont pas assez familieres pour prendre parti dans cette question, & pour hasarder une conjecture.

Voyons maintenant quels étoient ces 22, 24 & 27 livres. S. Jérôme témoin digne de foi dans cette matiere, en fait l’énumération suivante. La Genese. L’Exode. Le Lévitique. Les Nombres. Le Deutéronome. Josué. Les Juges, auquel est joint Ruth. Samuel, ce sont les deux premiers des Rois. Les Rois, ce sont les deux derniers livres. Isaie. Jeremie, avec ses Lamentations. Ezechiel. Les douze petits Prophetes. Job. Les Pseaumes. Les Proverbes. L’Ecclésiaste. Le Cantique des Cantiques. Daniel.

Les Paralipomenes, double. Esdras, double. Esther.

S. Epiphane, Heres. viij. nomb. 6. édit. de Petau, rapporte les mêmes livres que S. Jérôme. On retrouve le même canon en deux ou trois autres endroits de son livre des Poids & mesures. Voyez les nomb. 3. 4. 22. 23. On lit au nombre 22, que les Hébreux n’ont que 22 lettres à leur alphabet ; que c’est par cette raison qu’ils ne comptent que 22 livres sacrés, quoiqu’ils en ayent 27, entre lesquels ils en doublent cinq, ainsi qu’ils ont cinq caracteres doubles ; d’où il arrive que comme il y a dans leur écriture 27 caracteres, qui ne font pourtant que vingt deux lettres, de même ils ont proprement vingt-sept livres divins, qui se réduisent à vingt deux.

S. Cyrille de Jérusalem dit aux Chrétiens, dans sa quatrieme catechese, de méditer les vingt-deux livres de l’ancien Testament, & de se les mettre dans la mémoire tels qu’il va les nommer ; puis il les nomme ainsi que nous venons de les rapporter d’après S. Jérôme & S. Epiphane.

S. Hilaire, dans son Prologue sur les Pseaumes, ne differe de l’énumération précédente, ni sur les nombres, ni sur les livres. Le canon 60, de Laodicée, dit la même chose. Origene, cité par Eusebe, avoit dressé le même canon. Ce seroit recommencer la même chose jusqu’à l’ennui, que de rapporter ces canons.

Méliton Evêque de Sardes, qui vivoit au second siecle de l’Église, avoit fait un catalogue qu’Eusebe nous a conservé, c. xxvj. l. IV. de son histoire. Il avoit pris un soin particulier de s’instruire. Il avoit voyagé exprès dans l’orient, & son catalogue est le même que celui des auteurs précédens ; car il est à présumer que l’oubli d’Esther est une faute de copiste.

Bellarmin donne ici occasion à une réflexion, par ce qu’il dit dans son livre des Ecrivains ecclésiastiques, savoir, que Méliton a mis au rang des livres de l’ancien Testament celui de la Sagesse, quoiqu’il ne fût point reconnu par les Juifs pour un livre divin. Mais Bellarmin se trompe lui-même. La Sagesse n’est point dans le canon de Méliton. On y lit : Salomonis Proverbia quæ & Sapientia, Σαλομῶντος Παροιμίαι ἢ καὶ Σοφία D’où il s’ensuit que Méliton ne nomme pas la Sagesse comme un livre distingué des Proverbes ; c’est l’ soit oublié, soit mal entendu, qui a donné lieu à la méprise. Mais, pour revenir au canon des Juifs, Josephe dit dans son livre contre Appion, qu’il n’y a dans sa nation que 22 livres reconnus pour divins, cinq de Moyse, treize des prophetes, contenant l’histoire de tous les tems jusqu’à Artaxercès, & quatre autres qui renferment des hymnes à loüange de Dieu, ou des préceptes pour les mœurs. Il n’entre pas dans le détail, mais il désigne évidemment les mêmes livres que ceux qui sont contenus dans les catalogues des peres.

Sur ce que l’historien Juif a placé dans ses Antiquités l’histoire d’Esther sous le regne d’Artaxercès, & sur ce qu’il dit dans le même endroit que les prophetes n’ont écrit l’histoire que jusqu’au tems de ce prince, & qu’on n’a pas la même foi à ce qui s’est passé depuis, M. Dupin s’est persuadé qu’il exclut le livre d’Esther du nombre des vingt-deux livres de son canon. Mais qui est-ce qui a dit à M. Dupin que Josephe ne s’est point servi du mot jusque dans un sens inclusif, ainsi que du terme depuis dans un sens exclusif ? Ce seroit faire injure à d’habiles & judicieux auteurs qui ont précédé M. Dupin, que de balancer leur témoignage par une observation grammaticale qui, au pis aller, ne prouve ni pour ni contre.

Il ne faut point non plus s’imaginer que Josephe n’ait point mis le livre de Job au nombre des vingt-deux livres divins, parce qu’il ne dit rien dans son ouvrage des malheurs de ce saint homme. Cet auteur a pû regarder le livre de Job comme un livre inspiré,