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mais non comme une histoire véritable ; comme un poëme qui montroit partout l’esprit de Dieu, mais non comme le récit d’un événement réel ; & en ce sens, quel rapport pourroit avoir l’aventure de Job avec l’histoire de sa nation.

Quel est le tems & quel est l’auteur du canon des livres sacrés chez les Juifs. Quatrieme question. Il semble que ce seroit aujourd’hui un paradoxe d’avancer qu’Esdras ne fut jamais l’auteur du canon des livres sacrés des Juifs ; les docteurs mêmes les plus judicieux ayant mis sur le compte d’Esdras tout ce dont ils ont ignoré l’auteur & l’origine, dans les choses qui concernent la Bible. Ils l’ont fait réparateur des livres perdus ou altérés, réformateur de la maniere d’écrire ; quelques-uns même inventeur des points voyelles, & tous auteur du canon des Ecritures. Il n’y a sur ce dernier article qu’une opinion. Il est étonnant que nos Scaliger, nos Huet, ceux d’entre nous qui se piquent d’examiner de près les choses, n’ayent pas disserté là-dessus ; la matiere en valoit pourtant bien la peine. M. Dupin, au lieu de transcrire en copiste l’opinion de ses prédécesseurs, auroit beaucoup mieux fait d’exposer la question, & de montrer combien il étoit difficile de la résoudre.

Quoi qu’il en soit de l’opinion commune, il me semble qu’il n’y auroit aucune témérité à assûrer qu’on peut soutenir qu’Esdras n’est point l’auteur du canon des livres reconnus pour livres divins par les Juifs, soit qu’on veuille discuter ce fait par l’histoire des empereurs de Perse, & celle du retour de la captivité ; soir qu’on en cherche l’éclaircissement dans les livres d’Esdras & de Néhemie, qui peuvent particulierement nous instruire. L’opinion contraire, quoique plus suivie, n’est point article de foi.

En un mot voici les difficultés qu’on aura à résoudre de part & d’autre, & ces difficultés me paroissent très-grandes : 1°. il faut s’assûrer du tems où Esdras a vécu ; 2°. sous quel prince il est revenu de Babylone à Jérusalem ; 3°. si tous les livres qui sont dans le canon étoient écrits avant lui ; 4°. si lui-même est auteur du livre qui porte son nom.

Voilà la route par laquelle il faudra passer avant que d’arriver à la solution de la 4° question : nous n’y entrerons point, de crainte qu’elle ne nous menât bien au-delà des bornes que nous nous sommes prescrites : ce que nous avons dit jusqu’à présent suffit pour donner à ceux qui se sentent le goût de la critique, un exemple de la maniere dont ils doivent procéder pour parvenir à quelque résultat, satisfaisant pour eux & pour les autres ; c’étoit là principalement notre but.

Il ne nous reste plus qu’une observation à faire, c’est que le canon qui fixe au nombre de vingt-deux les livres divins de l’ancien-Testament, a été suivi dans la premiere Église jusqu’au concile de Carthage ; que ce concile augmenta beaucoup ce canon, comme il en avoit le droit ; & que le concile de Trente a encore été au-delà du concile de Carthage, prononçant anathème contre ceux qui refuseront de se soûmettre à ses décisions.

D’où il s’ensuit que dans toutes discussions critiques sur ces matieres délicates, le jugement de l’Église doit toûjours aller avant le nôtre ; & que dans les occasions où il arriveroit que le résultat de nos recherches ne seroit pas conforme à ses decrets, nous devons croire que l’erreur est de notre côté : l’autorité que nous avons alors contre nous est d’un si grand poids, qu’elle ne nous laisse pas seulement le mérite de la modestie, quand nous nous y soûmettons, & que nous montrons une vanité impardonnable, quand nous balançons à nous soûmettre. Tels sont les sentimens dans lesquels j’ai commencé, continué, & fini cet article, pour lequel je demande au lecteur un peu d’indulgence : il la doit

à la difficulté de la matiere, & aux soins que j’ai pris pour la discuter comme elle le mérite. Voyez à l’article Canoniques (Livres) ce qui concerne le canon du nouveau-Testament ; c’est la suite naturelle de ce que nous venons de dire.

Canon, terme d’Histoire ecclésiastique, signifie proprement regle ou décision, soit sur le dogme, soit sur la discipline.

Ce mot est originairement Grec, κανὼν, regle, discipline.

Nous avons les canons des apôtres, de l’authenticité desquels tout le monde ne convient pas, quoiqu’on avoue en général qu’ils sont fort anciens, & diverses collections de canons des conciles que nous allons indiquer d’après M. Fleury, dans son Institution au droit ecclésiastique.

Sous le regne de Constantin, l’an 314, se tinrent les conciles d’Ancyre en Galatie, & de Néocesarée dans le Pont, qui sont les plus anciens dont il nous reste des canons : ensuite, c’est-à-dire en 325, se tint le concile général de Nicée, dont les canons ont aussi été recueillis. Il y eut ensuite trois conciles particuliers dont les canons furent de grande autorité ; l’un à Antioche, capitale de l’Orient, en 341 ; l’autre à Laodicée en Phrygie, vers l’an 370 ; & le troisieme à Gangres en Paphlagonie, vers l’an 375 ; enfin l’an 381 se tint le second concile universel à Constantinople.

Les canons de ces sept conciles furent recueillis en un corps qu’on appella le code des canons de l’Église universelle, auxquels on ajoûta ceux du concile d’Ephese, qui fut le troisieme œcuménique tenu en 430, & ceux du concile de Chalcédoine, tenu en 450 : on y ajoûta aussi les canons des apôtres, au nombre de cinquante, & ceux du concile de Sardique, tenu en 347, & que l’on regardoit en plusieurs églises comme une suite du concile de Nicée.

Tous ces canons avoient été écrits en Grec, & il y en avoit pour les églises d’Occident une ancienne version Latine dont on ne sait point l’auteur. L’Église Romaine s’en servit jusqu’au commencement du vie siecle ; & les autres églises, particulierement celles de Gaule & de Germanie, n’en connurent point d’autres jusqu’au ixe siecle. Mais vers l’an 530 l’abbé Denys le Petit fit une autre version des canons plus fidele que l’ancienne, & y ajoûta tout ce qui étoit alors dans le code Grec ; savoir les cinquante canons des Apôtres, ceux du concile de Chalcédoine, du concile de Sardique, d’un concile de Carthage, & de quelques autres conciles d’Afrique. Il fit aussi une collection de plusieurs lettres décretales des papes, depuis Sirice qui mourut en 398, jusqu’à Anastase II. qui mourut en 498. Voyez Decretales.

La collection de Denys le Petit fut de si grande autorité, que l’Église Romaine s’en servit toûjours depuis, & on l’appella simplement le corps des canons de l’Église d’Afrique, formé principalement des conciles tenus du tems de S. Augustin. Les Grecs la traduisirent pour leur usage ; & Charlemagne l’ayant reçûe en 787 du pape Adrien I. l’apporta dans les Gaules.

Les Orientaux ajoûterent aussi des canons à l’ancien code ; savoir, trente-cinq canons des apôtres, ensorte qu’ils en comptoient quatre-vingts-cinq ; le code de l’église d’Afrique traduit en Grec ; les canons du concile in trullo, faits en 692, pour suppléer au cinquieme & au sixieme concile qui n’avoient point fait de canons ; ceux du second concile de Nicée, qui fut le septieme œcuménique tenu en 787 : tout cela composa le code des canons de l’Église d’Orient ; & ce peu de lois suffit pendant 800 ans à toute l’Église catholique.

Sur la fin du regne de Charlemagne on répandit en Occident une collection des canons qui avoit été