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c’est-à-dire exprimer des choses, & non pas, comme les caracteres communs, exprimer des lettres ou des sons.

Ainsi chaque nation auroit retenu son propre langage, & cependant auroit été en état d’entendre celui d’une autre sans l’avoir appris, en voyant simplement un caractere réel ou universel, qui auroit la même signification pour tous les peuples, quels que puissent être les sons, dont chaque nation se serviroit pour l’exprimer dans son langage particulier : par exemple, en voyant le caractere destiné à signifier boire, un Anglois auroit lû to drink, un François boire, un Latin bibere, un Grec πίνειν, un Allemand trincken, & ainsi des autres ; de même qu’en voyant un cheval, chaque nation en exprime l’idée à sa maniere, mais toutes entendent le même animal.

Il ne faut pas s’imaginer que ce caractere réel soit une chimere. Les Chinois & les Japonois ont déjà, dit-on, quelque chose de semblable : ils ont un caractere commun que chacun de ces peuples entend de la même maniere dans leurs différentes langues, quoiqu’ils le prononcent avec des sons ou des mots tellement différens, qu’ils n’entendent pas la moindre syllabe les uns des autres quand ils parlent.

Les premiers essais, & même les plus considérables que l’on ait fait en Europe pour l’institution d’une langue universelle ou philosophique, sont ceux de l’évêque Wilkins & de Dalgarme : cependant ils sont demeurés sans aucun effet.

M. Leibnitz a eu quelques idées sur le même sujet. Il pense que Wilkins & Dalgarme n’avoient pas rencontré la vraie méthode. M. Leibnitz convenoit que plusieurs nations pourroient s’entendre avec les caracteres de ces deux auteurs : mais, selon lui, ils n’avoient pas attrapé les véritables caracteres réels que ce grand philosophe regardoit comme l’instrument le plus fin dont l’esprit humain pût se servir, & qui devoient, dit-il, extrèmement faciliter & le raisonnement, & la mémoire, & l’invention des choses.

Suivant l’opinion de M. Leibnitz, ces caracteres devoient ressembler à ceux dont on se sert en Algebre, qui sont effectivement fort simples, quoique très-expressifs, sans avoir rien de superflu ni d’équivoque, & dont au reste toutes les variétés sont raisonnées.

Le caractere réel de l’évêque Wilkins fut bien reçu de quelques savans. M. Hook le recommande après en avoir pris une exacte connoissance, & en avoir fait lui-même l’expérience : il en parle comme du plus excellent plan que l’on puisse se former sur cette matiere ; & pour engager plus efficacement à cette étude, il a eu la complaisance de publier en cette langue quelques-unes de ses découvertes.

M. Leibnitz dit qu’il avoit en vûe un alphabet des pensées humaines, & même qu’il y travailloit, afin de parvenir à une langue philosophique : mais la mort de ce grand philosophe empêcha son projet de venir en maturité.

M. Lodwic nous a communiqué, dans les transactions philosophiques, un plan d’un alphabet ou caractere universel d’une autre espece. Il devoit contenir une énumération de tous les sons ou lettres simples, usités dans une langue quelconque ; moyennant quoi, on auroit été en état de prononcer promptement & exactement toutes sortes de langues ; & de décrire, en les entendant simplement prononcer, la prononciation d’une langue quelconque, que l’on auroit articulée ; de maniere que les personnes accoûtumées à cette langue, quoiqu’elles ne l’eussent jamais entendu prononcer par d’autres, auroient pourtant été en état sur le champ de la prononcer exactement : enfin ce caractere auroit servi comme d’étalon ou de modele pour perpétuer les sons d’une langue quelconque.

Dans le journal littéraire de l’année 1720, il y a

aussi un projet d’un caractere universel. L’auteur, après avoir répondu aux objections que l’on peut faire contre la possibilité de ces plans ou de ces projets en général, propose le sien. Il prend pour caracteres les chiffres Arabes ou les figures numériques communes : les combinaisons de ces neuf caracteres peuvent suffire à l’expression distincte d’une incroyable quantité de nombres, & par conséquent à celle d’un nombre de termes beaucoup plus grand que nous n’en avons besoin pour signifier nos actions, nos biens, nos maux, nos devoirs, nos passions, &c. par là on sauve à la fois la double incommodité de former & d’apprendre de nouveaux caracteres ; les figures Arabes ou les chiffres de l’Arithmétique ordinaire ayant déjà toute l’universalité que l’on demande.

Mais ici la difficulté est bien moins d’inventer les caracteres les plus simples, les plus aisés, & les plus commodes, que d’engager les différentes nations à en faire usage ; elles ne s’accordent, dit M. de Fontenelle, qu’à ne pas entendre leurs intérêts communs. (O)

Les caracteres littéraux peuvent encore se diviser, eu égard aux différentes nations chez lesquelles ils ont pris naissance, & où ils sont en usage, en caracteres Grecs, caracteres Hébraïques, caracteres Romains, &c.

Le caractere dont on se sert aujourd’hui communément par toute l’Europe, est le caractere Latin des anciens.

Le caractere Latin se forma du Grec, & celui-ci du Phénicien, que Cadmus apporta en Grece.

Le caractere Phénicien étoit le même que celui de l’ancien Hébreu, qui subsista jusqu’au tems de la captivité de Babylone ; après quoi l’on fit usage de celui des Assyriens, qui est l’Hébreu dont on se sert à présent ; l’ancien ne se trouvant que sur quelques médailles Hébraïques, appellées communément Médailles samaritaines. Voyez Samaritains.

Postel & d’autres prouvent qu’outre le Phénicien, le caractere Chaldéen, le Syriaque, & l’Arabe, étoient pareillement dérivés de l’ancien Hébreu. Voyez Hébreu, &c.

Les François furent les premiers qui admirent les caracteres Latins, avec l’Office Latin de S. Grégoire. L’usage des caracteres Gothiques, inventés par Ulfilas, fut aboli dans un synode provincial, qui se tint en 1091, à Léon, ville d’Espagne, & l’on établit en leur place les caracteres Latins. Voyez Gothique.

Les Médaillistes observent que le caractere Grec, qui ne consiste qu’en lettres majuscules, a conservé son uniformité sur toutes les médailles jusqu’au tems de Gallien ; on n’y trouve aucune altération dans le tour ou la figure du caractere, quoiqu’il y ait plusieurs changemens considérables, tant dans l’usage que dans la prononciation. Depuis le tems de Gallien, il paroît un peu plus foible & plus rond. Dans l’espace de tems, qui s’écoula entre le regne de Constantin & celui de Michel, qui fut environ de 500 ans, on ne trouve que des caracteres Latins. Après Michel, les caracteres Grecs recommencerent à être en usage ; mais depuis ce tems, ils reçurent des altérations, ainsi que le langage, qui ne fut alors qu’un mêlange de Grec & de Latin. Voyez Grec.

Les médailles latines conserverent leurs caracteres & leur langue jusqu’à la translation du siége de l’empire à Constantinople. Vers le tems de Decius, le caractere commença à s’altérer & à perdre de sa rondeur & de sa beauté : on la lui rendit quelque tems après, & il subsista d’une maniere passable jusqu’au tems de Justin ; il tomba ensuite dans la derniere barbarie, dont nous venons de parler, sous le regne de Michel ; ensuite il alla toûjours de pis en pis, jusqu’à ce qu’enfin il dégénérât en Gothique. Ainsi plus le caractere est rond & mieux il est formé, plus l’on peut