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à la Société du Journal. On en est redevable à un écrivain, qui jusqu’ici n’avoit fait de mal à personne, mais qui juge à propos de se faire connoître dans la république des Lettres par l’obligation où l’on se trouve de se plaindre hautement de lui. Cependant il n’a pas même la triste gloire d’être l’auteur de cette critique, mais seulement celle d’avoir imprimé & défiguré quelques remarques écrites à la hâte par un ami, qui apparemment ne les auroit pas faites, s’il avoit prévu qu’elles dûssent être publiées sans son aveu. L’auteur de la premiere partie de l’extrait, qui contredit même la seconde, tant son continuateur a sçu joindre habilement l’une avec l’autre, ne nous a pas laissé ignorer ses sentimens sur cette infidélité : nous croyons lui faire plaisir, & nous sommes sûrs de lui faire honneur, en publiant la déclaration expresse qu’il a souvent réiterée de n’avoir aucune part à une production qu’il desapprouve. Il seroit facile de démontrer ici, si on ne l’avoit déja fait ailleurs, que le critique n’a ni entendu, ni peut-être lû l’ouvrage qu’il censure, en se rendant l’écho d’un autre. Aussi les Journalistes des Savans n’ont pas tardé à desavouer leur confrere. On attendoit cette démarche de leur discernement, & sur-tout de l’équité d’un magistrat[1], ami de l’ordre & des gens de Lettres, homme de Lettres lui-même, qui cultive les Sciences par goût, & non par ostentation ; qui par l’appui qu’il leur accorde, montre qu’il sçait parfaitement discerner les limites de la liberté & de la licence, et dont l’éloge n’est point ici l’ouvrage de l’adulation & de l’intérêt. L’auteur du Discours Préliminaire, jaloux de repousser des attaques personnelles, les seules au fond qui l’intéressent, a reclamé avec confiance & avec succès les lumieres & l’autorité d’un si excellent juge, en homme qui a toujours respecté la Religion dans ses écrits, & qui ose défier tout lecteur sensé de lui faire sur ce point aucun reproche raisonnable.

Qu’il nous soit permis de nous arrêter un moment ici sur ces accusations vagues d’irréligion, que l’on fait aujourd’hui tant de vive voix que par écrit contre les gens de Lettres. Ces imputations, toujours sérieuses par leur objet, & quelquefois par les suites qu’elles peuvent avoir, ne sont que trop souvent ridicules en elles-mêmes par les fondemens sur lesquels elles appuient. Ainsi, quoique la spiritualité de l’ame soit énoncée et prouvée en plusieurs endroits de ce Dictionnaire, on n’a pas eu honte de nous taxer de Matérialisme, pour avoir soutenu ce que toute l’Eglise a crû pendant douze siecles, que nos idées viennent des sens. On nous imputera des absurdités auxquelles nous n’avons jamais pensé. Les Lecteurs indifférens et de bonne foi iront les chercher dans l’Encyclopédie, & seront bien étonnés d’y trouver tout le contraire. On accumulera contre nous les reproches les plus graves & les plus opposés. C’est ainsi qu’un célebre Ecrivain, qui n’est ni Spinosiste ni Déiste, s’est vû accuser dans une gazette sans aveu d’être l’un & l’autre, quoiqu’il soit aussi impossible d’être tous les deux à la fois, que d’être tout ensemble Idolâtre & Juif. Le cri ou le mépris public nous dispenseront sans doute de repousser par nous-mêmes de pareilles attaques ; mais à l’occasion de la feuille hebdomadaire dont nous venons de parler, & qui nous a fait le même honneur qu’à beaucoup d’autres, nous ne pouvons nous dispenser de dévoiler à la république des Lettres les hommes foibles & dangereux dont elle a le plus à se défier, & l’espece d’adversaires contre lesquels elle doit se réunir. Ennemis apparens de la persécution qu’ils aimeroient fort s’ils étoient les maîtres de l’exercer, las enfin d’outrager en pure perte toutes les puissances spirituelles et temporelles, ils prennent aujourd’hui le triste parti de décrier sans raison & sans mesure ce qui fait aux yeux des Etrangers la gloire de notre Nation, les Ecrivains les plus célebres, les Ouvrages les plus applaudis, & les corps littéraires les plus estimables : ils les attaquent, non par intérêt pour la religion dont ils violent le premier précepte, celui de la vérité, de la charité, & de la justice ; mais en effet pour retarder de quelques jours par le nom de leurs adversaires l’oubli où ils sont prêts à tomber : semblables à ces avanturiers malheureux qui ne pouvant soutenir la guerre dans leur pays, vont chercher au loin des combats & des défaites ; ou plutôt semblables à une lumiere prête à s’éteindre, qui ranime encore ses foibles restes pour jetter un peu d’éclat avant que de disparoître.

Osons le dire avec sincérité, & pour l’avantage de la Philosophie, & pour celui de la Religion même. On auroit besoin d’un écrit sérieux et raisonné contre les personnes mal-intentionnées et peu instruites, qui abusent souvent de la Religion pour attaquer mal-à-propos les Philosophes, c’est-à-dire pour nuire à ses intérêts en transgressant ses maximes. C’est un ouvrage qui manque à notre siecle.

Les critiques de la derniere classe, & auxquelles nous aurons le plus d’égard, consistent dans les plaintes de quelques personnes à qui nous n’aurons pas rendu justice. On nous trouvera toujours disposés à réparer promptement ce qui pourra offenser dans ce livre, non-seulement les personnes estimées dans la littérature, mais celles même qui sont le moins connues, quand elles auront sujet de se plaindre[2]. Nous en avons déja donné

  1. M. de la Moignon de Malesherbes, qui préside à la Librairie & au Journal des Savans.
  2. Voyez l’Avertissement du second Volume.