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L’Angleterre nous fournit l’exemple d’un second pair réel du change : on vient de voir que le pair réel de nos écus de la valeur intrinseque de 56 s. 6 den. est den. sterling ; ainsi les huit valent 236 den. sterling.

La guinée est au même titre que notre loüis d’or à 22 karats : elle pese 2 gros 12 grains, en tout 156 grains, qui valent 21 schelins, ou 252 den. sterling.

Notre loüis d’or pese 2 gros 9 grains, en toüt 153 grains, qui valent par conséquent 247 den. sterling : ainsi les huit écus qui en argent valent 236 d. sterling, en valent 247 den. lorsqu’ils sont représentés par l’or. La différence est de 4 den. sterling ; & il est evident qu’étant repartie sur les huit écus représentés par le loüis d’or, le change de chacun est à 30 den. sterling, au lieu de 29 den. .

Le change étant à 30 den. avec l’Angleterre, nous pourrions lui payer une balance considérable, quoique le pair du prix de l’argent indiquât un bénéfice.

Cette différence vient de ce qu’en France on donne 153 grains d’or pour 2216 grains d’argent, poids des huit écus ; ce qui établit la proportion entre ces deux métaux, comme de 1 à .

En Angleterre on donne 156 grains d’or pour 21 schelins, qui pesent chacun 113 grains d’argent, & en tout 2373 grains ; ainsi la proportion y est comme de 1 à .

Dès-lors si nous avons à payer en Angleterre en especes, il y a de l’avantage à porter des matieres d’or ; & il y en aura pour l’Angleterre à payer en France avec les monnoies d’argent : car la guinée ne vaut dans nos monnoies que 22 liv. 14 s. 7 den. & les schelins qu’elle représente pesant 2373 grains, y seront payés 24 liv. 2 s. 10 den.

Diverses circonstances éloignent le prix du change de celui du pair réel ; & comme ces accidens se varient à l’infini, l’altération de l’égalité parcourt sans cesse différens degrés : cette altération est appellée le cours du prix du change.

Les causes de l’altération du pair du prix du change, sont l’altération du crédit public, & l’abondance ou la rareté des créances d’un pays sur un autre.

Une variation dans les monnoies est un exemple de l’altération que le discrédit public jette dans le pair du prix du change : quoique l’instant même du changement dans la monnoie donne un nouveau pair réel du prix du change ; la confiance publique disparoissant, à cause de l’incertitude de la propriété, & les especes ne circulant pas, il est nécessaire que le signe qui les représente soit au-dessous de sa valeur.

La seconde cause de l’altération du pair dans le prix du change, est l’abondance ou la rareté des créances d’un pays sur un autre ; & cette abondance ou cette rareté ont elles-mêmes deux sources ordinaires.

L’une est le besoin qui oblige le corps politique d’un état à faire passer de grandes sommes d’argent dans l’étranger, comme la circonstance d’une guerre.

L’autre source est dans la proportion des dettes courantes réciproques entre les particuliers.

Les particuliers de deux nations peuvent contracter entre eux deux sortes de dettes réciproques.

L’inégalité des ventes réciproques formera une premiere espece de dettes.

Si l’une des deux nations a chez elle beaucoup d’argent, à un intérêt plus foible que l’on n’en paye dans l’autre nation, les particuliers riches de la premiere acheteront les papiers publics de la seconde, qui paye les intérets de l’argent plus cher : le produit de ces effets qui doit lui être payé tous les ans, forme une seconde espece de dette : elle peut être

regardée comme le produit d’un commerce, puisque les fonds publics d’un état se négocient, & que ce placement ne peut être regardé que comme une spéculation : dans ce cas, & dans plusieurs autres, l’argent est marchandise ; ainsi ces deux dettes appartiennent à ce que l’on appelle proprement la balance du commerce ; & elles occasionneront une rareté ou une abondance des créances d’un pays sur un autre. Voyez Commerce.

Lorsque deux nations veulent faire la balance de leur commerce, c’est-à-dire payer leurs dettes réciproques, elles ont recours à l’échange des débiteurs : mais si les dettes réciproques ne sont pas égales, l’échange des débiteurs ne payera qu’une partie de ces dettes ; le surplus, qui est ce que l’on appelle la balance du commerce, devra être payé en especes.

L’objet du change est d’épargner le transport des métaux, parce qu’il est coûteux & risquable : par conséquent chaque particulier, avant de s’y déterminer, cherchera des créances sur le pays où il doit.

Ces créances seront cheres à mesure qu’elles seront plus difficiles à acquérir : par conséquent, pour en avoir la préférence, on les payera au-dessus de leur valeur ; si elles sont communes, on les payera au-dessous.

Supposons que les marchands de Paris doivent aux fabriquans de Roüen vingt mille livres, & que ceux-ci doivent dix mille livres à des banquiers de Paris : pour solder ces dettes, il faudra faire l’échange des dix mille livres de créances réciproques, & voiturer dix mille livres de Paris à Roüen.

Supposons encore les frais & les risques de ce transport à cinq livres par mille livres.

Chaque marchand de Paris tâchera de s’épargner cette dépense ; il cherchera à acheter une créance de mille livres sur Roüen : mais comme ces créances sont rares & recherchées, il donnera volontiers 1004 liv. pour en avoir la préférence, & il s’épargnera une livre de frais par 1000 liv. ainsi la rareté des lettres de change sur Rouen baissera le prix de ce change au-dessous de son pair de quatre liv. par 1000 liv.

Il est bon d’observer que la hausse ou la baisse du prix du change s’entend toûjours du pays sur lequel on voudroit tirer une lettre de change : le change est bas, quand ce pays paye moins de valeur réelle en acquittant une lettre de change, qu’elle n’en a coûté à l’acquéreur : le change est haut, quand ce pays paye plus de valeur réelle en acquittant une lettre de change, qu’elle n’en a coûté à l’acquéreur.

Le pair du prix du change entre Paris & Londres, étant à 29 den. sterling pour un écu de 3 liv. de France ; si le change de Londres baisse à 29 den. Londres payera notre écu au-dessous de sa valeur intrinseque ; si ce change hausse à 30 den. Londres payera notre écu au-dessus de sa valeur réelle.

Pour reprendre l’exemple proposé ci-dessus, on vient de voir qu’à Paris la rareté des créances sur Roüen, fait payer aux acquéreurs des lettres de change 1004 liv. pour recevoir 1000 liv. à Roüen.

Le contraire arrivera dans cette derniere : Paris lui devant beaucoup, les créances sur Paris y seront abondantes : les fabriquans de Roüen qui doivent à Paris, donneront ordre au banquier de tirer sur eux, parce qu’ils savent qu’avec 1000 liv. sur Roüen, ils acquitteront 1004 liv. à Paris ; ou si on leur propose des créances sur Paris, ils les acheteront sous le même bénéfice que les créances sur Roüen sont à Paris ; ce qui haussera ce change au profit de Roüen de quatre liv. par 1000 liv. ainsi d’une lettre de change de 1000 liv. ils ne donneront que 996 liv. Lorsque les dettes réciproques seront acquittées, il fau-