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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/356

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que sa longueur sur chaque ligne de cette anamorphose fût à celle de mon dessein sur chacune de ses lignes, comme la longueur du fil de chaîne non ourdi est à la longueur du fil de chaîne ourdi : 3° qu’à prendre cette anamorphose pour modele, & qu’à faire teindre les différentes longueurs de chacun des fils de ma chaîne, de chacune des couleurs que j’y verrai dans mon anamorphose (supposé qu’il y eût plusieurs couleurs) ; il est évident que venant à étendre sur les ensuples ma chaîne ainsi préparée par différentes teintures, elle porteroit l’anamorphose d’un dessein que l’exécution de l’étoffe réduiroit à ses justes & véritables proportions. Voilà la théorie très-exacte du chiner des velours, qui n’est en effet que l’anamorphose peinte sur chaîne d’un dessein, que l’emboi de cette chaîne par la trame raccourcit & remet en proportion. Je dis des velours parce que pour les taffetas l’emboi n’est pas assez sensible pour exiger l’anamorphose ; le dessein lui-même dirige, comme on verra dans l’exposition que nous allons faire de la pratique du chiner.

On ne chine ordinairement que les étoffes unies & minces. On a chiné des velours, mais on n’y a pas réussi jusqu’à un certain degré de perfection. Après ce que nous avons dit, on connoît que le coupé du velours n’est pas assez juste pour que la distribution du chinage soit exacte ; on sait à la vérité que chaque partie du poil exige pour le velours chiné six fois plus de longueur qu’il n’en paroîtra dans l’étoffe ; on peut donc établir entre le poil non ourdi & le poil ourdi, tel rapport qu’on jugera convenable ; mais l’inégalité de la trame, celle des fers, les variétés qui s’introduisent nécessairement dans l’extension qu’on donne au poil, enfin la main de l’ouvrier qui frappe plus ou moins dans un tems que dans un autre, toutes ces circonstances ne permettent pas à l’anamorphose du dessein de se réduire à ses justes proportions. Cependant nous expliquerons la maniere dont on s’y prend pour cette étoffe. Les taffetas sont les étoffes qu’on chine ordinairement : on chine rarement les satins.

Pour chiner une étoffe, on fait un dessein sur un papier réglé, comme on le voit fig. 1. Plan. de soieries du chiner ; on le fait tel qu’on veut qu’il paroisse en étoffe ; on met la soie destinée à être chinée en teinture, pour lui donner la couleur dont on veut que soit le fond de l’étoffe : mais ce fond est ordinairement blanc, parce que les autres couleurs de fond ne recevroient qu’avec peine celles qu’on voudroit leur donner ensuite pour la figure.

Lorsque la soie est teinte, on la fait devider & ourdir ; quand elle est levée de dessus l’ourdissoir, on la met sur un tambour semblable à celui dont on se sert pour plier les étoffes. Voyez ce tambour, fig. 1. 1 le tambour. 2 les montans du tambour. 3 bascule pour arrêter le tambour. 4 cordes qui servent au même usage. 5 la chaîne tendue. 6 le rateau. 7 le porte-rateau. 8 l’aspe. 9 le banc de l’aspe. 10 les montans du banc. 11 les piés. 12 les traverses. Les chaînes des taffetas chinés doivent être composées de 50 portées, qui composent quatre mille fils, & passées dans des 250 de peigne, ce qui fait quatre fils par dent.

On tire de dessus le tambour 1, la chaîne qu’on va accrocher à l’axe de l’aspe ou devidoir 8, 8, éloigné du tambour de sept à huit aulnes : cela fait, on divise la chaîne par douze fils, dont chaque division est portée dans une dent du rateau 6, placé près de l’aspe. Il faut que ce rateau soit de la largeur de l’étoffe. Douze fils sont juste la quantité de fils qui doit être contenue dans trois dents du peigne. On enverge toutes les branches de douze fils, & on arrête l’envergure en séparant pareillement celle des fils simples qui a été faite en ourdissant.

Si le dessein est répété quatre fois dans la largeur de l’étoffe, on met quatre parties de la division par douze, dans chaque dent du rateau, ce qui donne quarante-huit fils, qu’on aura soin d’enverger & d’attacher de façon qu’on puisse les séparer quand il en sera besoin. On ajuste ensuite l’aspe 8, 8, de maniere qu’il puisse contenir exactement sur sa circonférence, une fois, deux fois, plus ou moins, le dessein, selon que ce dessein court plus ou moins. On met chaque partie séparée & placée par ordre sur le rateau, à chacune des chevilles attachées à l’arbre de l’aspe ; on charge le tambour à discrétion, on tourne l’aspe ; une personne entendue conduit le rateau, afin de bien dégager les fils ; on enroule toute la piece sur l’aspe : chaque partie de quarante-huit fils faisant un écheveau, une chaîne de quatre mille fils donnera quatre-vingts-trois écheveaux, & seize fils qui serviront de lisiere ; chaque bout de la partie de quarante-huit est attachée au premier bout de l’écheveau, lorsque la piece est devidée sur l’asple.

Quand toute la chaîne est enroulée sur l’aspe, de maniere que sa circonférence divise exactement les écheveaux en un certain nombre de fois juste de la longueur du dessein, on prend des petites bandes de parchemin de trois lignes de largeur ou environ (Voyez ces bandes, fig. 15. & 16.) ; on en couche une sur les trois premieres cordes paralleles à ab du dessein de la fig. 17. & on marque avec une plume & les couleurs contenues sur la longueur de ces trois cordes, & l’espace que chaque couleur occupe sur cette longueur : cela fait, on prend une seconde bande qu’on applique sur les trois cordes suivantes, observant de porter sur cette seconde bande, comme sur la premiere, & les couleurs contenues dans ces trois cordes, & l’espace qu’elles occupent sur elles ; puis on prend une troisieme bande pour les trois cordes suivantes, & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ait épuisé la largeur du dessein. On numérote bien toutes les bandes, afin de ne pas les confondre, & de savoir bien précisément quelle partie de la largeur du dessein elles représentent chacune.

On prend ensuite une de ces bandes & on la porte sur l’aspe, & l’on examine si la circonférence de l’aspe contient autant de fois la longueur de la bande, qu’elle est présumée contenir de fois la longueur du dessein, afin de voir si les mesures des bandes & des écheveaux coincident.

Cela fait, on prend la premiere bande numérotée 1 ; on la porte sur la premiere flotte ou le premier écheveau ; elle fait le tour de l’aspe sur l’écheveau ; on l’y attache des deux bouts avec une épingle, un bout d’un côté d’un fil qui traverse l’aspe sur toute sa longueur, & l’autre bout de l’autre côté de ce fil ; ce fil coupant tous les écheveaux perpendiculairement, sert de ligne de direction pour l’application des bandes. On commence par arrêter toutes les bandes sur les écheveaux, le long de ce fil, du côté de la main droite ; après quoi on marque avec un pinceau & de la couleur, sur le premier écheveau, tous les endroits qui doivent en être colorés, & les espaces que chaque couleur doit occuper, précisément comme il est prescrit par la bande numérotée 1. On passe à la bande numérotée 2, qui est attachée au second écheveau, sur lequel on marque pareillement avec un pinceau & des couleurs, les endroits qui doivent être colorés, & les espaces que chaque couleur doit occuper, précisément comme il est prescrit par cette bande 2. On passe à la troisieme bande, & au troisieme écheveau, faisant la même chose jusqu’au quatre-vingt-troisieme écheveau, & à la quatre-vingt-troisieme bande.

Lorsque le dessein est pour ainsi dire tracé sur les écheveaux, on les leve de dessus l’aspe, & on les met