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de la terre est un air épais, pesant, grossier, qui forme le corps & ses humeurs, & s’appelle pe, corps ou cadavre.

28. La mort n’est autre chose que la séparation de hoen & de pe ; chacune de ces entités retourne à sa source ; hoen au ciel, pe à la terre.

29. Il ne reste après la mort que l’entité du ciel & l’entité de la terre : l’homme n’a point d’autre immortalité ; il n’y a proprement d’immortel que li.

On convient assez de l’exactitude de cette exposition ; mais chacun y voit ou l’athéisme, ou le déisme, ou le polithéisme, ou l’idolatrie, selon le sens qu’il attache aux mots. Ceux qui veulent que le li des Chinois ne soit autre chose que notre Dieu, sont bien embarrassés quand on leur objecte que ce li est rond : mais de quoi ne se tire-t-on pas avec des distinctions ? Pour disculper les lettrés de la Chine du reproche d’athéisme & d’idolatrie, l’obscurité de la langue prêtoit assez ; il n’étoit pas nécessaire de perdre à cela tout l’esprit que Leibnitz y a mis.

Si ce système est aussi ancien qu’on le prétend, on ne peut être trop étonné de la multitude surprenante d’expressions abstraites & générales dans lesquelles il est conçû. Il faut convenir que ces expressions qui ont rendu l’ouvrage de Spinosa si long-tems inintelligible parmi nous, n’auroient guere arrêté les Chinois il y a six ou sept cents ans : la langue effrayante de notre athée moderne est précisément celle qu’ils parloient dans leurs écoles.

Voilà les progrès qu’ils avoient faits dans le monde intellectuel, lorsque nous leur portâmes nos connoissances. Cet événement est l’époque de la philosophie moderne des Chinois. L’estime singuliere dont ils honorerent les premiers Européens qui débarquerent dans leurs contrées, ne nous donne pas une haute idée des connoissances qu’ils avoient en Méchanique, en Astronomie, & dans les autres parties des Mathématiques. Ces Européens n’étoient, même dans leur corps, que des hommes ordinaires : s’ils avoient quelques qualités qui les rendissent particulierement recommandables, c’étoit le zele avec lequel ils couroient annoncer la vérité dans des régions inconnues, au hazard de les arroser de leur propre sang, comme cela est si souvent arrivé depuis à leurs successeurs. Cependant ils furent accueillis ; la superstition si communément ombrageuse s’assoupit devant eux ; ils se firent écouter ; ils ouvrirent des écoles ; on y accourut ; on admira leur savoir. L’empereur Cham-hy, sur la fin du dernier siecle, les admit à sa cour, s’instruisit de nos sciences, apprit d’eux notre Philosophie, étudia les Mathématiques, l’Anatomie, l’Astronomie, les Méchaniques, &c. Son fils Yong-Tching ne lui ressembla pas ; il relégua à Canton & à Macao les virtuoses Européens, excepté ceux qui résidoient à Pékin, qui y resterent. Kien-Long fils de Yong-Tching fut un peu plus indulgent pour eux : il défendit cependant la religion Chrétienne, & persécuta même ceux de ses soldats qui l’avoient embrassée ; mais il souffrit les Jésuites, qui continuerent d’enseigner à Pékin.

Il nous reste maintenant à faire connoître la Philosophie pratique des Chinois : pour cet effet nous allons donner quelques-unes des sentences morales de ce Confucius, dont un homme qui aspire à la réputation de lettré & de philosophe doit savoir au moins quelques ouvrages entiers par cœur.

1. L’éthique politique a deux objets principaux ; la culture de la nature intelligente, l’institution du peuple.

2. L’un de ces objets demande que l’entendement soit orné de la science des choses, afin qu’il discerne le bien & le mal, le vrai & le faux ; que les passions soient modérées ; que l’amour de la vérité & de la vertu se fortifient dans le cœur ; & que la con-

duite envers les autres soit décente & honnête.

3. L’autre objet, que le citoyen sache se conduire lui-même, gouverner sa famille, remplir sa charge, commander une partie de la nation, posséder l’empire.

4. Le philosophe est celui qui a une connoissance profonde des choses & des livres, qui pese tout, qui se soûmet à la raison, & qui marche d’un pas assûré dans les voies de la vérité & de la justice.

5. Quand on aura consommé la force intellectuelle à approfondir les choses, l’intention & la volonté s’épureront, les mauvaises affections s’éloigneront de l’ame, le corps se conservera sain, le domestique sera bien ordonné, la charge bien remplie, le gouvernement particulier bien administré, l’empire bien régi ; il joüira de la paix.

6. Qu’est-ce que l’homme tient du ciel ? la nature intelligente : la conformité à cette nature constitue la regle ; l’attention à vérifier la regle & à s’y assujettir est l’exercice du sage.

7. Il est une certaine raison ou droiture céleste donnée à tous : il y a un supplément humain à ce don quand on l’a perdu. La raison céleste est du saint ; le supplément est du sage.

8. Il n’y a qu’un seul principe de conduite ; c’est de porter en tout de la sincérité, & de se conformer de toute son ame & de toutes ses forces à la mesure universelle : ne fais point à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.

9. On connoît l’homme en examinant ses actions, leur fin, les passions dans lesquelles il se complaît, les choses en quoi il se repose.

10. Il faut divulguer sur le champ les choses bonnes à tous : s’en reserver un usage exclusif, une application individuelle, c’est mépriser la vertu, c’est la forcer à un divorce.

11. Que le disciple apprenne les raisons des choses, qu’il les examine, qu’il raisonne, qu’il médite, qu’il pese, qu’il consulte le sage, qu’il s’éclaire, qu’il bannisse la confusion de ses pensées, & l’instabilité de sa conduite.

12. La vertu n’est pas seulement constante dans les choses extérieures.

13. Elle n’a aucun besoin de ce dont elle ne pourroit faire part à toute la terre, & elle ne pense rien qu’elle ne puisse s’avoüer à elle-même à la face du ciel.

14. Il ne faut s’appliquer à la vertu que pour être vertueux.

15. L’homme parfait ne se perd jamais de vûe.

16. Il y a trois degrés de sagesse ; savoir ce que c’est que la vertu, l’aimer, la posséder.

17. La droiture de cœur est le fondement de la vertu.

18. L’univers a cinq regles ; il faut de la justice entre le prince & le sujet ; de la tendresse entre le pere & le fils ; de la fidélité entre la femme & le mari ; de la subordination entre les freres ; de la concorde entre les amis. Il y a trois vertus cardinales ; la prudence qui discerne, l’amour universel qui embrasse, le courage qui soûtient ; la droiture de cœur les suppose.

19. Les mouvemens de l’ame sont ignorés des autres : si tu es sage, veille donc à ce qu’il n’y a que toi qui voyes.

20. La vertu est entre les extrèmes ; celui qui a passé le milieu n’a pas mieux fait que celui qui ne l’a pas atteint.

21. Il n’y a qu’une chose précieuse ; c’est la vertu.

22. Une nation peut plus par la vertu que par l’eau & par le feu ; je n’ai jamais vû périr le peuple qui l’a prise pour appui.

23. Il faut plus d’exemples au peuple que de pré-