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ceptes ; il ne faut se charger de lui transmettre que ce dont on sera rempli.

24. Le sage est son censeur le plus sévere ; il est son témoin, son accusateur, & son juge.

25. C’est avoir atteint l’innocence & la perfection, que de s’être surmonté, & que d’avoir recouvré cet ancien & primitif état de droiture céleste.

26. La paresse engourdie, l’ardeur inconsidérée, sont deux obstacles égaux au bien.

27. L’homme parfait ne prend point une voie détournée ; il fuit le chemin ordinaire, & s’y tient ferme.

28. L’honnête homme est un homme universel.

29. La charité est cette affection constante & raisonnée qui nous immole au genre humain, comme s’il ne faisoit avec nous qu’un individu, & qui nous associe à ses malheurs & à ses prospérités.

30. Il n’y a que l’honnête homme qui ait le droit de haïr & d’aimer.

31. Compense l’injure par l’aversion, & le bienfait par la reconnoissance, car c’est la justice.

32. Tomber & ne se point relever, voilà proprement ce que c’est que faillir.

33. C’est une espece de trouble d’esprit que de souhaiter aux autres, ou ce qui n’est pas en notre puissance, ou des choses contradictoires.

34. L’homme parfait agit selon son état, & ne veut rien qui lui soit étranger

35. Celui qui étudie la sagesse a neuf qualités en vûe ; la perspicacité de l’œil, la finesse de l’oreille, la sérénité du front, la gravité du corps, la véracité du propos, l’exactitude dans l’action, le conseil dans les cas douteux, l’examen des suites dans la vengeance & dans la colere.

La morale de Confucius est, comme l’on voit, bien supérieure à sa métaphysique & à sa physique. On peut consulter Bulfinger sur les maximes qu’il a laissées du gouvernement de la famille, des fonctions de la magistrature, & de l’administration de l’empire.

Comme les mandarins & les lettrés ne font pas le gros de la nation, & que l’étude des lettres ne doit pas être une occupation bien commune, la difficulté en étant là beaucoup plus grande qu’ailleurs, il semble qu’il resteroit encore bien des choses importantes à dire sur les Chinois, & cela est vrai ; mais nous ne nous sommes pas proposé de faire l’abregé de leur histoire, mais celui seulement de leur philosophie. Nous observerons cependant, 1° que, quoiqu’on ne puisse accorder aux Chinois toute l’antiquité dont ils se vantent, & qui ne leur est guere disputée par leurs panégyristes, on ne peut nier toutefois que la date de leur empire ne soit très-voisine du déluge. 2°. Que plus on leur accordera d’ancienneté, plus on aura de reproches à leur faire sur l’imperfection de leur langue & de leur écriture : il est inconcevable que des peuples à qui l’on donne tant d’esprit & de sagacité, ayent multiplié à l’infini les accens au lieu de multiplier les mots, & multiplié à l’infini les caracteres, au lieu d’en combiner un petit nombre. 3°. Que l’éloquence & la poésie tenant de fort près à la perfection de la langue, ils ne sont selon toute apparence ni grands orateurs ni grands poëtes. 4°. Que leurs drames sont bien imparfaits, s’il est vrai qu’on y prenne un homme au berceau, qu’on y représente la suite de toute sa vie, & que l’action théatrale dure plusieurs mois de suite. 5°. Que dans ces contrées le peuple est très-enclin à l’idolatrie, & que son idolatrie est fort grossiere, si l’histoire suivante qu’on lit dans le P. le Comte est bien vraie. Ce missionnaire de la Chine raconte que les medecins ayant abandonné la fille d’un Nankinois, cet homme qui aimoit éperduement son enfant, ne sachant plus à qui s’adresser, s’avisa de

demander sa guérison à une de ses idoles. Il n’épargna ni les sacrifices, ni les mêts, ni les parfums, ni l’argent. Il prodigua à l’idole tout ce qu’il crut lui être agréable ; cependant sa fille mourut. Son zele alors & sa piété dégénererent en fureur ; il résolut de se venger d’une idole qui l’avoit abusé. Il porta sa plainte devant le juge, & poursuivit cette affaire comme un procès en regle qu’il gagna, malgré toute la sollicitation des bonzes, qui craignoient avec juste raison que la punition d’une idole qui n’exauçoit pas, n’eût des suites fâcheuses pour les autres idoles & pour eux. Ces idolatres ne sont pas toûjours aussi modérés, lorsqu’ils sont mécontens de leurs idoles ; ils les haranguent à-peu-près dans ces termes : Crois-tu que nous ayons tort dans notre indignation ? Sois juge entre nous & toi ; depuis long-tems nous te soignons ; tu es logée dans un temple, tu es dorée de la tête aux piés ; nous t’avons toûjours servi les choses les plus délicieuses ; si tu n’as pas mangé, c’est ta faute. Tu ne saurois dire que tu ayes manqué d’encens ; nous avons tout fait de notre part, & tu n’as rien fait de la tienne : plus nous te donnons, plus nous devenons pauvres ; conviens que si nous te devons, tu nous dois aussi. Or dis-nous de quels biens tu nous as comblés. La fin de cette harangue est ordinairement d’abattre l’idole & de la traîner dans les boues. Les bonzes débauchés, hypocrites, & avares, encouragent le plus qu’ils peuvent à la superstition. Ils en sont sur-tout pour les pélerinages, & les femmes aussi qui donnent beaucoup dans cette dévotion, qui n’est pas fort du goût de maris jaloux au point que nos missionnaires ont été obligés de bâtir aux nouveaux convertis des églises séparées pour les deux sexes. Voyez le P. le Comte. 5°. Qu’il paroît que parmi les religions étrangeres tolérées, la religion Chrétienne tient le haut rang : que les Mahométans n’y sont pas nombreux, quoiqu’ils y ayent des mosquées superbes : que les Jésuites ont beaucoup mieux réussi dans ce pays que ceux qui y ont exercé en même tems ou depuis les fonctions apostoliques : que les femmes Chinoises semblent fort pieuses, s’il est vrai, comme dit le P. le Comte, qu’elles voudroient se confesser tous les jours, soit goût pour le sacrement, soit tendresse de pieté, soit quelqu’autre raison qui leur est particuliere : qu’à en juger par les objections de l’empereur aux premiers missionnaires, les Chinois ne l’ont pas embrassée en aveugles. Si la connoissance de Jesus-Christ est nécessaire au salut, disoit cet empereur aux missionnaires, & que d’ailleurs Dieu nous ait voulu sincerement sauver, comment nous a-t-il laissés si long-tems dans l’erreur ? Il y a plus de seize siecles que votre religion est établie dans le monde, & nous n’en avons rien sû. La Chine est-elle si peu de chose qu’elle ne mérite pas qu’on pense à elle, tandis que tant de barbares sont éclairés ? C’est une difficulté qu’on propose tous les jours sur les bancs en Sorbonne. Les missionnaires, ajoûte le P. le Comte, qui rapporte cette difficulté, y répondirent, & le prince fut content ; ce qui devoit être : des missionnaires seroient ou bien ignorans ou bien mal-adroits s’ils s’embarquoient pour la conversion d’un peuple un peu policé, sans avoir la réponse à cette objection commune. V. les art. Foi, Grace, Prédestination. 7°. Que les Chinois ont d’assez bonnes manufactures en étoffes & en porcelaines ; mais que s’ils excellent par la matiere, ils pechent absolument par le goût & la forme ; qu’ils en seront encore long-tems aux magots ; qu’ils ont de belles couleurs & de mauvaises peintures ; en un mot, qu’ils n’ont pas le génie d’invention & de découvertes qui brille aujourd’hui dans l’Europe : que s’ils avoient eu des hommes supérieurs, leurs lumieres auroient forcé les obstacles par la seule impossibilité de rester captives ; qu’en général l’esprit d’orient est plus tranquille, plus paresseux, plus renfermé dans les besoins essentiels, plus borné à ce qu’il trouve établi, moins