Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on lit avec le plus de profit : j’oserois même dire celui dont doit faire son étude la plus assidue le chimiste suffisamment muni de bonnes connoissances fondamentales, qui seul est en état de juger, & par conséquent de lire. C’est un des auteurs dont la lecture sert le plus efficacement à guérir de la haute opinion qu’on s’est formée, avant de fouiller dans les sources, des connoissances supérieures de plusieurs chimistes modernes. Il faut lire Glauber tout entier, parce que plusieurs vérités importantes sont dispersées par lambeaux dans ses divers ouvrages.

Une liste d’arcanes non expliqués, & dont l’existence est seulement annoncée à la fin de ses fourneaux philosophiques, présente aux Chimistes une ample matiere de travail, & la plûpart de ces arcanes ont un caractere de possibilité, qui rend l’entreprise de ces travaux très-raisonnable.

M. Stahl lui a reproché avec raison d’avoir obscurci des notions sort claires que ses expériences fournissent, par la manie de les diriger aux vûes chimériques de l’Alchimie, dont il a été autant entêté que personne ; aussi bien que de la confiance aux vertus des astres, des signatures, des noms, &c. qu’il a défendu dans des traités faits exprès ; & de n’avoir tiré aucun parti de ces expériences pour les progrès de la science positive, des curiosités physico-chimiques, & d’être par conséquent (en comptant ces vûes & ces explications alchimiques pour rien) très-versé in τῷ ὅτι, dans le fait, & fort peu avancé in τῷ διότι dans le pourquoi. Il faut reconnoître cependant, pour rendre justice à Glauber, que Stahl a précisément donné dans le vice qu’il lui reproche ici, lorsqu’il a embarrassé dans une hypothese fort recherchée l’origine du nitre, que Glauber avoit exposée d’une maniere fort simple, & prouvée par des raisonnemens fort bien déduits des observations ; & que Stahl a manifestement mal évalué, ou du moins trop généralisé l’effet de la putréfaction pour la génération du nitre, sur l’action de laquelle, soit erreur, soit vérité, Glauber l’a encore précédé : ensorte que Glauber & Stahl ont pris réciproquement leur maniere sur cette question aussi intéressante par son utilité, que piquante pour la curiosité. Voyez Nitre.

On lui a reproché encore, avec la même justice, d’avoir vanté avec la plus grande emphase, & sans la moindre circonspection, tous ses prétendus arcanes ; ce qui a attiré du mépris sur l’art, ses promesses n’étant pas toûjours suivies de l’effet. Glauber est bien effectivement le plus inconsidéré prometteur & le plus outré loüangeur de ses secrets, de tous les charlatans qui sont ou qui furent : cette manie paroît sur-tout dans les titres de ses ouvrages, toûjours écrits pour le salut du genre humain, pour la consolation de plusieurs milliers d’affligés, pour le soulagement des souffrans, la prospérité de sa patrie, qui seront comme une chandelle allumée mise sur le chandelier, &c. C’est dans ces défauts que les chimistes ses contemporains les plus illustres, tels que Becher, Borrichius, & le célebre Stahl qui a commencé à courir la même carriere peu de tems après la mort de Glauber, ont trouvé des prétextes pour le déprimer ; quoique Stahl lui-même, qui parle toûjours de Glauber comme d’un manœuvre, n’ait pas dédaigné de se parer de quelques-unes de ses idées philosophiques, que véritablement Glauber n’avoit jamais été en état de mettre en œuvre comme Stahl.

Glauber a beaucoup célébré une medecine universelle (Voyez Medecine), & un dissolvant universel qu’on croit être le nitre, ou plûtôt les deux principes de sa composition employés séparément ; ce qui n’est plus remplir la condition du problème qui suppose un seul corps, auxquelles conditions

d’ailleurs ni l’acide du nitre, ni le nitre fixe ne peuvent satisfaire. Voyez Menstrue.

Glauber a continué d’écrire jusqu’en 1669.

Une époque considérable pour la Chimie, c’est la conquête qu’elle fit vers le milieu du dernier siecle, de la théorie de la Medecine, ou la naissance de la secte chimique des Medecins, dont les chefs & les propagateurs les plus connus sont le célebre professeur François Delebæ Sylvius, Otto Tachenius qui s’est fait un nom dans la Chimie pratique par quelques procédés particuliers sur la préparation des sels, & l’ingénieux Thomas Willis, auteur d’un traité sur la fermentation fort estimable, & inventeur des deux principes passifs, ajoûtés au ternaire de Paracelse. Voyez Medecine.

Il n’est pas aisé de décider si cette conquête fut plus funeste à la Medecine qu’à la Chimie : car si d’un côté la Chimie medicinale devenue physiologique & pathologique, remplit bientôt d’hypotheses monstrueuses la théorie de la Medecine, dont elle avoit enrichi la pratique tant qu’elle n’avoit été que pharmaceutique, on peut avancer aussi que ses nouveaux sujets (les Medecins théoriciens) qui bientôt donnerent le ton, traiterent la Chimie avec cette licence de raisonnement, cette exondance d’explications qu’on leur a tant reprochée & à si juste titre, & qu’entre leurs mains la théorie chimique fut bientôt aussi gratuite que celle de la Medecine. La doctrine qu’on enseigna dans les chaires qui furent établies après dans les plus fameuses universités, se ressent de cette maniere arbitraire de philosopher, & a subsisté dans les écoles pendant tout le regne de la secte chimique des Medecins, & long-tems même après sa proscription, chez plusieurs nations cultivant d’ailleurs les sciences avec succès ; notamment chez nous, où le Stahlianisme n’a pénétré que long-tems après la réforme de Stahl, & où il faut même convenir qu’il n’est pas encore assez généralement répandu.

Enfin dans le tems même où la Chimie essuyoit l’espece d’éclipse dont nous venons de parler, parut l’illustre Jean Joachim Becher, né à Spire vers l’an 1625 ; d’abord professeur de Medecine & medecin de l’électeur de Mayence, ensuite medecin de l’électeur de Baviere, dans le laboratoire duquel il travailla beaucoup ; après cela fixé auprès de l’empereur, de la cour duquel il fut obligé de s’éloigner par des maneges de courtisans, enfin voyageur en Hollande & en Angleterre, &c. Homme d’un génie véritablement grand, d’un jugement exquis, & très-versé dans presque toutes les sciences ; le vrai Hermès de la Chimie philosophique ; le pere, le créateur du dogme chimique ; de cette Chimie, que j’ai donné au commencement de cet article comme la base de l’étude de la nature. Sa physique soûterraine, que malheureusement nous n’avons pas complete, contient au moins le germe de toutes les vérités chimiques & du système qui les rassemble en corps de doctrine, & elle a (la Chimie) dans cet ouvrage tous les caracteres par lesquels nous l’avons opposée à la physique ordinaire. Il faut avoüer cependant que Becher en cela plus heureux qu’Aristote, a l’obligation à Stahl son commentateur, d’avoir expliqué & peut-être rectifié plusieurs de ces dogmes, & que c’est dans le specimen Becherianum de Stahl, que la physique de Becher mérite les éloges les plus éclatans, dont tout connoisseur ne peut s’empêcher de la combler. Ce specimen est le code de la Chimie, l’Euclide des Chimistes, &c. Les éloges de Stahl, le meilleur juge qu’on puisse trouver sur ces matieres, nous tiendront lieu du jugement que nous avons à porter sur cet auteur : Illud nostrum facimus, dit-il dans la préface qu’il a faite pour la physique soûterraine de Becher, Becherum in physicâ hâc subterra-