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& l’écorce des arbrisseaux & des arbres, & en se tenant dans les trous des murailles, ou bien couverts d’un peu de terre ; & il y en a quelques-uns qui s’y exposent entierement nuds. Dans les rudes hyvers de 1709 & 1729, les œufs des insectes & les chrysalides échapperent à la violence du froid, qui fut insupportable aux animaux les plus vigoureux. On sçait combien la liqueur descendit alors dans les thermometres. M. de Reaumur a trouvé quelques chrysalides très-jeunes, qui étoient capables de supporter un froid au-dessous du 4e degré. Et ce qui est encore plus, les Mathématiciens François furent fort incommodés en Laponie d’un grand nombre d’essains de mouches de différentes especes, dont les œufs & les chrysalides devoient avoir supporté des froids encore plus grands. Je trouve que les chrysalides n’ont qu’un fort petit degré de chaleur, une division ou deux au-dessus de l’air ambient.

Tous les insectes sont placés communément parmi les animaux froids ; mais il y a à cet égard une exception fort singuliere dans la chaleur des abeilles, qui tiennent un rang distingué parmi ces sortes d’animaux. Comme, suivant les curieuses observations des Naturalistes, elles ont quelque chose de particulier dans leur économie, leur structure, & leur génération, de même j’ai observé qu’elles avoient une prérogative très-singuliere par rapport à la chaleur de leur corps. J’en ai fait souvent l’experience, & je trouve que la chaleur d’un essain d’abeilles fait monter le thermometre au-dessus de 97 degrés ; chaleur qui n’est pas inférieure à celle dont nous jouissons.

Les autres animaux qui sont plus vigoureux, ainsi que je l’ai observé des insectes ordinaires, ont très-peu de chaleur au-dessus de celle du milieu qui les environne. On a peine à en trouver dans les huîtres & dans les moules ; il y en a fort peu dans les poissons qui ont des oüies, dans les carrelets, les merlans, & les merlus ; il se trouva à peine un degré de chaleur de plus que dans l’eau salée où ils nageoient, lors même qu’elles n’étoient qu’au 4e degré. Les poissons rouges ne sont guere plus chauds. Quelques truites dont j’ai examiné la chaleur n’étoient qu’au 62e degré, lorsque l’eau de la riviere où elles nageoient étoit au 61e degré. (Et dernierement à Paris je trouvai que la chaleur d’une carpe surpassoit à peine le 54e degré, chaleur de l’eau dans laquelle je l’examinois. La chaleur d’une anguille est la même.) Les poissons peuvent vivre dans l’eau qui n’est qu’un peu plus chaude que le degré de la congélation, c’est-à-dire un peu au-dessus du 32e degré.

Les serpens ne sont, suivant le résultat des différentes expériences que j’ai faites, que de deux degrés plus chauds que l’air ; les grenouilles & les tortues de terre me parurent avoir un principe de chaleur un peu plus fort, c’est-à-dire supérieur d’environ cinq degrés à l’air où elles respirent : & je croi que c’est-là le cas de ces sortes d’animaux respirans qui ont à la vérité des poumons, mais des poumons en forme de vessie, & qui n’ont pas leur sang plus chaud que les poissons qui ont des oüies. Tels sont les tortues de mer, les crapauds, les viperes, & toute la classe des serpens qui ont leurs poumons de la même structure, & le sang aussi froid que ces poissons. Mais la plûpart de ces sortes d’animaux ne sont pas capables de supporter de fort grands froids : ils se retirent durant la rigueur des hyvers dans des trous, où ils sont assez à l’abri du froid, souvent peut-être à la température moyenne de 48 degrés ou environ. Ils sont à la vérité comme engourdis dans cette saison (voyez Harc. de motu card.) & ne perdent que très-peu de substance ; & je croi qu’on peut dire la même chose des hiron-

delles & des autres oiseaux, & enfin de toutes les sortes d’animaux sujets à cette espece de sommeil : lesquels quoique naturellement chauds, & même à un plus haut degré que ceux dont nous avons parlé ci-devant, sont cependant probablement plus froids dans cet état inactif, que lorsqu’ils joüissent de toute leur vigueur.

La chaleur des animaux chauds n’est pas uniformément la même dans tous les animaux, & dans tous les tems : elle est susceptible d’une très-grande latitude ; elle varie suivant leurs différentes especes, & suivant les circonstances où se trouve chaque individu. La surface de leur corps est considérablement affectée par la chaleur & le froid du milieu ambient, & par conséquent par toutes les variétés des saisons & des climats, s’ils ne se garantissent pas assez de leurs influences. Lorsqu’ils prennent cette précaution, leur chaleur interne & externe est à peu-près la même, mais toûjours un peu différente dans différens animaux.

Le docteur Boerhaave regardoit à la vérité la chaleur des animaux chauds comme uniforme, ou comme étant la même dans tous ; & il la croyoit communément capable de faire monter le mercure dans le thermometre au 92e degré, ou au plus au 94e. Pareillement, suivant le docteur Pitcarne, la chaleur du corps humain est au 17e degré, ce qui revient au 92e de notre thermometre. M. Amontons trouva par différentes expériences, que la chaleur communiquée par le corps humain à son thermometre, étoit de 58 , 58 , 58 , 58 , 58 doigts, qui se trouvent par le calcul correspondre au 91e, 92e, 93e degré de celui de Fahrenheit, ou environ. Le 12e degré du chevalier Newton, qu’il fait équivalent à la chaleur externe du corps humain, & à celle d’un oiseau qui couve ses œufs, répond au degré 95 1/2 du nôtre. Fahrenheit place lui-même la chaleur du corps & du sang humain, au 96e degré ; & le docteur Musschembroek dit que le thermometre s’arrête à ce point, lorsqu’il est plongé dans le sang qui coule d’un animal ; quoique dans un autre endroit il parle du 92e ou 94e degré, comme un des plus hauts degrés de chaleur du sang humain.

J’ai fait avec beaucoup d’exactitude un très-grand nombre d’observations sur la chaleur des animaux ; & en conséquence je me trouve fondé à avancer que toutes ces estimations sont très-générales, & la plûpart fort au-dessous du vrai : je conjecture que le plus souvent on ne laissoit pas le tems aux boules des thermometres de s’échauffer entierement ; ou peut-être que dans le tems de l’expérience, les mains qu’on appliquoit à la boule n’avoient pas toute leur chaleur naturelle, faute de les avoir munies contre le froid.

Les hommes sont presque les derniers de la classe des animaux chauds ; & cependant par la chaleur de ma peau bien couverte de toutes parts, je fais monter le thermometre au 97e ou 98e degré, en prenant un terme moyen d’après un grand nombre d’expériences. Dans quelques personnes, la chaleur est un peu plus considérable ; dans d’autres, elle est un peu moindre. L’urine nouvellement rendue, & cela dans un vaisseau de la même température que ce fluide, est à peine d’un degré plus chaude que la peau ; ainsi que je l’ai trouvé par plusieurs observations répétées : & nous pouvons regarder cette chaleur de l’urine, comme à-peu-près égale à celle des visceres voisins. Le docteur Hales trouva que la chaleur de sa peau étoit de 54, & celle de l’urine récente de 58 degrés de son thermometre ; ce qui répond au 99e & 103e degrés du nôtre, si le calcul qui a été fait du rapport de son thermometre avec celui de Fahrenheit est bien exact.