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observer que selon le système commun des Grammairiens, la syntaxe se divise en deux ordres ; l’un de convenance, l’autre de régime, Méthode de P. R. à la tête du traité de la syntaxe, pag. 355. La syntaxe de convenance, c’est l’uniformité ou ressemblance qui doit se trouver dans la même proposition ou dans la même énonciation, entre ce que les Grammairiens appellent les accidens des mots, dictionum accidentia ; tels sont le genre, le cas (dans les langues qui ont des cas), le nombre & la personne, c’est-à-dire que si un substantif & un adjectif font un sens partiel dans une proposition, & qu’ils concourent ensemble à former le sens total de cette proposition, ils doivent être au même genre, au même nombre, & au même cas. C’est ce que j’appelle uniformité d’accidens, & c’est ce qu’on appelle concordance ou accord.

Les Grammairiens distinguent plusieurs sortes de concordances.

1°. La concordance ou convenance de l’adjectif avec son substantif : Deus sanctus, Dieu saint ; sancta Maria, sainte Marie.

2°. La convenance du relatif avec l’antecédent : Deus quem adoramus, le Dieu que nous adorons.

3°. La convenance du nominatif avec son verbe : Petrus legit, Pierre lit ; Petrus & Paulus legunt, Pierre & Paul lisent.

4°. La convenance du responsif avec l’interrogatif, c’est-à-dire de la réponse avec la demande : D. Quis te redemit ? R. Christus.

5°. A ces concordances, la méthode de P. R. en ajoûte encore une autre, qui est celle de l’accusatif avec l’infinitif, Petrum esse doctum ; ce qui fait un sens qui est, ou le sujet de la proposition, ou le terme de l’action d’un verbe. On en trouvera des exemples au mot Construction.

A l’égard de la syntaxe de régime, régir, disent les Grammairiens, c’est lorsqu’un mot en oblige un autre à occuper telle ou telle place dans le discours, ou qu’il lui impose la loi de prendre une telle terminaison, & non une autre. C’est ainsi que amo régit, gouverne l’accusatif, & que les propositions de, ex, pro, &c. gouvernent l’ablatif.

Ce qu’on dit communément sur ces deux sortes de syntaxes ne me paroît qu’un langage métaphorique, qui n’éclaire pas l’esprit des jeunes gens, & qui les accoûtume à prendre des mots pour des choses. Il est vrai que l’adjectif doit convenir en genre, en nombre & en cas avec son substantif ; mais pourquoi ? Voici ce me semble ce qui pourroit être utilement substitué au langage commun des Grammairiens.

Il faut d’abord établir comme un principe certain, que les mots n’ont entr’eux de rapport grammatical, que pour concourir à former un sens dans la même proposition, & selon la construction pleine ; car enfin les terminaisons des mots & les autres signes que la Grammaire a trouvés établis en chaque langue, ne sont que des signes du rapport que l’esprit conçoit entre les mots, selon le sens particulier qu’on veut lui faire exprimer. Or dès que l’ensemble des mots énonce un sens, il fait une proposition ou une énonciation.

Ainsi celui qui veut faire entendre la raison grammaticale de quelque phrase, doit commencer par ranger les mots selon l’ordre successif de leurs rapports, par lesquels seuls on apperçoit, après que la phrase est finie, comment chaque mot concourt à former le sens total.

Ensuite on doit exprimer tous les mots sous-entendus. Ces mots sont la cause pourquoi un mot énoncé a une telle terminaison ou une telle position plûtôt qu’une autre. Ad Castoris, il est évident que la cause de ce génitif Castoris n’est pas ad, c’est adem qui est sous-entendu ; ad adem Castoris, au temple de Castor.

Voilà ce que j’entens par faire la construction ; c’est ranger les mots selon l’ordre par lequel seul ils sont un sens.

Je conviens que selon la construction usuelle, cet ordre est souvent interrompu ; mais observer que l’arrangement le plus élégant ne formeroit aucun sens, si après que la phrase est finie l’esprit n’appercevoit l’ordre dont nous parlons. Serpentem vidi. La terminaison de serpentem annonce l’objet que je dis avoir vû ; au lieu qu’en François la position de ce mot qui est après le verbe, est le signe qui indique ce que j’ai vû.

Observez qu’il n’y a que deux sortes de rapports entre ces mots, relativement à la construction.

I. Rapport, ou raison d’identité (R. id. le même).

II. Rapport de détermination.

1. A l’égard du rapport d’identité, il est évident que le qualificatif ou adjectif, aussi bien que le verbe, ne sont au fond que le substantif même considéré avec la qualité que l’adjectif énonce, ou avec la maniere d’être que le verbe attribue au substantif : ainsi l’adjectif & le verbe doivent énoncer les mêmes accidens de Grammaire, que le substantif a énoncé d’abord ; c’est-à-dire que si le substantif est au singulier, l’adjectif & le verbe doivent être au singulier, puisqu’ils ne sont que le substantif même considéré sous telle ou telle vûe de l’esprit.

Il en est de même du genre, de la personne, & du cas dans les langues qui ont des cas. Tel est l’effet du rapport d’identité, & c’est ce qu’on appelle concordance.

2. A l’égard du rapport de détermination, comme nous ne pouvons pas communément énoncer notre pensée tout d’un coup en une seule parole, la nécessité de l’élocution nous fait recourir à plusieurs mots, dont l’un ajoûte à la signification de l’autre, ou la restreint & la modifie ; ensorte qu’alors c’est l’ensemble qui forme le sens que nous voulons énoncer. Le rapport d’identité n’exclut pas le rapport de détermination. Quand je dis l’homme savant, ou le savant homme, savant modifié détermine homme ; cependant il y a un rapport d’identité entre homme & savant, puisque ces deux mots n’énoncent qu’un même individu, qui pourroit être exprimé en un seul mot, doctor.

Mais le rapport de détermination se trouve souvent sans celui d’identité. Diane étoit sœur d’Apollon ; il y a un rapport d’identité entre Diane & sœur : ces deux mots ne font qu’un seul & même individu ; & c’est pour cette seule raison qu’en Latin ils sont au même cas, &c. Diana erat soror. Mais il n’y a qu’un rapport de détermination entre sœur & Apollon : ce rapport est marqué en Latin par la terminaison du génitif destinée à déterminer un nom d’espece, soror Apollinis ; au lieu qu’en François le mot d’Apollon est mis en rapport avec sœur par la préposition de, c’est-à-dire que cette préposition fait connoître que le mot qui la suit détermine le nom qui la précede.

Pierre aime la vertu : il y a concordance ou rapport d’identité entre Pierre & aime ; & il y a rapport de détermination entre aime & vertu. En François, ce rapport est marqué par la place ou position du mot ; ainsi vertu est après aime : au lieu qu’en Latin ce rapport est indiqué par la terminaison virtutem, & il est indifférent de placer le mot avant ou après le verbe ; cela dépend ou du caprice & du goût particulier de l’écrivain, ou de l’harmonie, du concours plus ou moins agréables des syllabes des mots qui précedent ou qui suivent.

Il y a autant de sortes de rapports de détermination, qu’il y a de questions qu’un mot à déterminer donne lieu de faire : Par exemple le Roi a donné, hé quoi ? une pension : voilà la détermination de la cho-