L’Encyclopédie/1re édition/CONSTRUCTION

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CONSTRUCTION, s. f. terme de Grammaire ; ce mot est pris ici dans un sens métaphorique, & vient du latin construere, construire, bâtir, arranger.

La construction est donc l’arrangement des mots dans le discours. La construction est vicieuse quand les mots d’une phrase ne sont pas arrangés selon l’usage d’une langue. On dit qu’une construction est greque ou latine, lorsque les mots sont rangés dans un ordre conforme à l’usage, au tour, au génie de la langue greque, ou à celui de la langue latine.

Construction louche ; c’est lorsque les mots sont placés de façon qu’ils semblent d’abord se rapporter à ce qui précede, pendant qu’ils se rapportent réellement à ce qui suit. On a donné ce nom à cette sorte de construction, par une métaphore tirée de ce que dans le sens propre les louches semblent regarder d’un côté pendant qu’ils regardent d’un autre.

On dit construction pleine, quand on exprime tous les mots dont les rapports successifs forment le sens que l’on veut énoncer. Au contraire la construction est elliptique lorsque quelqu’un de ces mots est sous-entendu.

Je crois qu’on ne doit pas confondre construction avec syntaxe. Construction ne présente que l’idée de combinaison & d’arrangement. Cicéron a dit selon trois combinaisons différentes, accepi litteras tuas, tuas accepi litteras, & litteras accepi tuas : il y a là trois constructions, puisqu’il y a trois différens arrangemens de mots ; cependant il n’y a qu’une syntaxe ; car dans chacune de ces constructions il y a les mêmes signes des rapports que les mots ont entr’eux, ainsi ces rapports sont les mêmes dans chacune de ces phrases. Chaque mot de l’une indique également le même correlatif qui est indiqué dans chacune des deux autres ; ensorte qu’après qu’on a achevé de lire ou d’entendre quelqu’une de ces trois propositions, l’esprit voit également que litteras est le déterminant d’accepi, que tuas est l’adjectif de litteras ; ainsi chacun de ces trois arrangemens excite dans l’esprit le même sens, j’ai reçu votre lettre. Or ce qui fait en chaque langue, que les mots excitent le sens que l’on veut faire naître dans l’esprit de ceux qui savent la langue, c’est ce qu’on appelle syntaxe. La syntaxe est donc la partie de la Grammaire qui donne la connoissance des signes établis dans une langue pour exciter un sens dans l’esprit. Ces signes, quand on en sait la destination, font connoître les rapports successifs que les mots ont entr’eux ; c’est pourquoi lorsque celui qui parle ou qui écrit s’écarte de cet ordre par des transpositions que l’usage autorise, l’esprit de celui qui écoute ou qui lit rétablit cependant tout dans l’ordre en vertu des signes dont nous parlons, & dont il connoît la destination par usage.

Il y a en toute langue trois sortes de constructions qu’il faut bien remarquer.

I°. Construction nécessaire, significative ou énonciative, c’est celle par laquelle seule les mots font un sens : on l’appelle aussi construction simple & construction naturelle, parce que c’est celle qui est la plus conforme à l’état des choses, comme nous le ferons voir dans la suite, & que d’ailleurs cette construction est le moyen le plus propre & le plus facile que la nature nous ait donné pour faire connoître nos pensées par la parole ; c’est ainsi que lorsque dans un traité de Géométrie les propositions sont rangées dans un ordre successif qui nous en fait appercevoir aisément la liaison & le rapport, sans qu’il y ait aucune proposition intermédiaire à suppléer, nous disons que les propositions de ce traité sont rangées dans l’ordre naturel.

Cette construction est encore appellée nécessaire, parce que c’est d’elle seule que les autres constructions empruntent la propriété qu’elles ont de signifier, au point que si la construction nécessaire ne pouvoit pas se retrouver dans les autres sortes d’énonciations, celles-ci n’exciteroient aucun sens dans l’esprit, ou n’y exciteroient pas celui qu’on vouloit y faire naître ; c’est ce que nous ferons voir bien-tôt plus sensiblement.

II°. La seconde sorte de construction, est la construction figurée.

III°. Enfin, la troisieme est celle où les mots ne sont ni tous arrangés suivant l’ordre de la construction simple, ni tous disposés selon la construction figurée. Cette troisieme sorte d’arrangement est le plus en usage ; c’est pourquoi je l’appelle construction usuelle.

1o . De la construction simple. Pour bien comprendre ce que j’entens par construction simple & nécessaire, il faut observer qu’il y a bien de la différence entre concevoir un sens total, & énoncer ensuite par la parole ce que l’on a conçu.

L’homme est un être vivant, capable de sentir, de penser, de connoître, d’imaginer, de juger, de vouloir, de se ressouvenir, &c. Les actes particuliers de ces facultés se font en nous d’une maniere qui ne nous est pas plus connue que la cause du mouvement du cœur, ou de celui des piés & des mains. Nous savons par sentiment intérieur, que chaque acte particulier de la faculté de penser, ou chaque pensée singuliere est excitée en nous en un instant, sans division, & par une simple affection intérieure de nous-mêmes. C’est une vérité dont nous pouvons aisément nous convaincre par notre propre expérience. & sur-tout en nous rappellant ce qui se passoit en nous dans les premieres années de notre enfance : avant que nous eussions fait une assez grande provision de mots pour énoncer nos pensées, les mots nous manquoient, & nous ne laissions pas de penser, de sentir, d’imaginer, de concevoir, & de juger. C’est ainsi que nous voulons par un acte simple de notre volonté, acte dont notre sens interne est affecté aussi promptement que nos yeux le sont par les différentes impressions singulieres de la lumiere. Ainsi je crois que si après la création l’homme fût demeuré seul dans le monde, il ne se seroit jamais avisé d’observer dans sa pensée un sujet, un attribut, un substantif, un adjectif, une conjonction, un adverbe, une particule négative, &c.

C’est ainsi que souvent nous ne faisons connoître nos sentimens intérieurs que par des gestes, des mines, des regards, des soupirs, des larmes, & par tous les autres signes, qui sont le langage des passions plûtôt que celui de l’intelligence. La pensée, tant qu’elle n’est que dans notre esprit, sans aucun égard à l’énonciation, n’a besoin ni de bouche, ni de langue, ni du son des syllabes ; elle n’est ni hébraïque, ni greque, ni latine, ni barbare, elle n’est qu’à nous : intùs, in domicilio cogitationis, nec hæbrea, nec græca, nec latina, nec barbara… sine oris & linguæ organis, sine strepitu syllabarum. S. August. confes. l. XI. c. iij.

Mais dès qu’il s’agit de faire connoître aux autres les affections ou pensées singulieres, & pour ainsi dire, individuelles de l’intelligence, nous ne pouvons produire cet effet qu’en faisant en détail des impressions, ou sur l’organe de l’ouïe par des sons dont les autres hommes connoissent comme nous la destination, ou sur l’organe de la vûe, en exposant à leurs yeux par l’écriture, les signes convenus de ces mêmes sons ; or pour exciter ces impressions, nous sommes contraints de donner à notre pensée de l’étendue, pour ainsi dire, & des parties, afin de la faire passer dans l’esprit des autres, où elle ne peut s’introduire que par leurs sens.

Ces parties que nous donnons ainsi à notre pensée par la nécessité de l’élocution, deviennent ensuite l’original des signes dont nous nous servons dans l’usage de la parole ; ainsi nous divisons, nous analysons, comme par instinct, notre pensée ; nous en rassemblons toutes les parties selon l’ordre de leurs rapports ; nous lions ces parties à des signes, ce sont les mots dont nous nous servons ensuite pour en affecter les sens de ceux à qui nous voulons communiquer notre pensée : ainsi les mots sont en même tems, & l’instrument & le signe de la division de la pensée. C’est de-là que vient la différence des langues & celle des idiotismes ; parce que les hommes ne se servent pas des mêmes signes partout, & que le même fond de pensée peut être analysé & exprimé en plus d’une maniere.

Dès les premieres années de la vie, le penchant que la nature & la constitution des organes donnent aux enfans pour l’imitation, les besoins, la curiosité, & la présence des objets qui excitent l’attention, les signes qu’on fait aux enfans en leur montrant les objets, les noms qu’ils entendent en même tems qu’on leur donne, l’ordre successif qu’ils observent que l’on suit, en nommant d’abord les objets, & en énonçant ensuite les modificatifs & les mots déterminans ; l’expérience répétée à chaque instant & d’une maniere uniforme, toutes ces circonstances & la liaison qui se trouve entre tant de mouvemens excités en même tems : tout cela, dis-je, apprend aux enfans, non-seulement les sons & la valeur des mots, mais encore l’analyse qu’ils doivent faire de la pensée qu’ils ont à énoncer, & de quelle maniere ils doivent se servir des mots pour faire cette analyse, & pour former un sens dans l’esprit des citoyens parmi lesquels la providence les a fait naître.

Cette méthode dont on s’est servi à notre égard, est la même que l’on a employée dans tous les tems & dans tous les pays du monde, & c’est celle que les nations les plus policées & les peuples les plus barbares mettent en œuvre pour apprendre à parler à leurs enfans. C’est un art que la nature même enseigne. Ainsi je trouve que dans toutes les langues du monde, il n’y a qu’une même maniere nécessaire pour former un sens avec les mots : c’est l’ordre successif des relations qui se trouvent entre les mots, dont les uns sont énoncés comme devant être modifiés ou déterminés, & les autres comme modifiant ou déterminant : les premiers excitent l’attention & la curiosité, ceux qui suivent la satisfont successivement.

C’est par cette maniere que l’on a commencé dans notre enfance à nous donner l’exemple & l’usage de l’élocution. D’abord on nous a montré l’objet, ensuite on l’a nommé. Si le nom vulgaire étoit composé de lettres dont la prononciation fût alors trop difficile pour nous, on en substituoit d’autres plus aisées à articuler. Après le nom de l’objet on ajoûtoit les mots qui le modifioient, qui en marquoient les qualités ou les actions, & que les circonstances & les idées accessoires pouvoient aisément nous faire connoître.

A mesure que nous avancions en âge, & que l’expérience nous apprenoit le sens & l’usage des prépositions, des adverbes, des conjonctions, & surtout des différentes terminaisons des verbes destinées à marquer le nombre, les personnes, & les tems, nous devenions plus habiles à démêler les rapports des mots & à en appercevoir l’ordre successif, qui forme le sens total des phrases, & qu’on avoit grande attention de suivre en nous parlant.

Cette maniere d’énoncer les mots successivement selon l’ordre de la modification ou détermination que le mot qui suit donne à celui qui le précede, a fait regle dans notre esprit. Elle est devenue notre modele invariable, au point que, sans elle, ou du moins sans les secours qui nous aident à la rétablir, les mots ne présentent que leur signification absolue, sans que leur ensemble puisse former aucun sens. Par exemple :


Arma virumque cano, Trojæ qui primus ab oris,
Italiam, fato profugus, Lavinaque venit
Littora. Virg. Æneid. Liv. I. vers prem.


Otez à ces mots latins les terminaisons ou désinances, qui sont les signes de leur valeur relative, & ne leur laissez que la premiere terminaison qui n’indique aucun rapport, vous ne formerez aucun sens ; ce seroit comme si l’on disoit :


Armes, homme, je chante, Troie, qui, premier, des côtes,
Italie, destin, fugitif, Laviniens, vint, rivages.


Si ces mots étoient ainsi énoncés en latin avec leurs terminaisons absolues, quand même on les rangeroit dans l’ordre où on les voit dans Virgile, non seulement ils perdroient leur grace, mais encore ils ne formeroient aucun sens ; propriété qu’ils n’ont que par leurs terminaisons relatives, qui, après que toute la proposition est finie, nous les font regarder selon l’ordre de leurs rapports, & par conséquent selon l’ordre de la construction simple, nécessaire, & significative.

Cano arma atque virum, qui vir, profugus à fato, venit primus ab oris Trojæ in Italiam, atque ad littora Lavina ; tant la suite des mots & leurs desinances ont de force pour faire entendre le sens.


Tantum series juncturaque pollet.
Hor. Art poét. v. 240.


Quand une fois cette opération m’a conduit à l’intelligence du sens, je lis & je relis le texte de l’auteur, je me livre au plaisir que me cause le soin de rétablir sans trop de peine l’ordre que la vivacité & l’empressement de l’imagination, l’élégance & l’harmonie avoient renversé ; & ces fréquentes lectures me font acquérir un goût éclairé pour la belle latinité.

La construction simple est aussi appellée construction naturelle, parce que c’est celle que nous avons apprise sans maître, par la seule constitution méchanique de nos organes, par notre attention & notre penchant à l’imitation : elle est le seul moyen nécessaire pour énoncer nos pensées par la parole, puisque les autres sortes de construction ne forment un sens, que lorsque par un simple regard de l’esprit nous y appercevons aisément l’ordre successif de la construction simple.

Cet ordre est le plus propre à faire appercevoir les parties que la nécessité de l’élocution nous fait donner à la pensée ; il nous indique les rapports que ces parties ont entr’elles ; rapports dont le concert produit l’ensemble, & pour ainsi dire, le corps de chaque pensée particuliere. Telle est la relation établie entre la pensée & les mots, c’est-à-dire, entre la chose & les signes qui la font connoître : connoissance acquise dès les premieres années de la vie, par des actes si souvent répétés, qu’il en résulte une habitude que nous regardons comme un effet naturel. Que celui qui parle employe ce que l’art a de plus séduisant pour nous plaire, & de plus propre à nous toucher, nous applaudirons à ses talens ; mais son premier devoir est de respecter les regles de la construction simple, & d’éviter les obstacles qui pourroient nous empêcher d’y réduire sans peine ce qu’il nous dit.

Comme par-tout les hommes pensent, & qu’ils cherchent à faire connoître la pensée par la parole, l’ordre dont nous parlons est au fond uniforme partout ; & c’est encore un autre motif pour l’appeller naturel.

Il est vrai qu’il y a des différences dans les langues ; différence dans le vocabulaire ou la nomenclature qui énonce les noms des objets & ceux de leurs qualificatifs ; différence dans les terminaisons qui sont les signes de l’ordre successif des correlatifs ; différence dans l’usage des métaphores, dans les idiotismes, & dans les tours de la construction usuelle : mais il y a uniformité en ce que par-tout la pensée qui est à énoncer est divisée par les mots qui en représentent les parties, & que ces parties ont des signes de leur relation.

Enfin cette construction est encore appellée naturelle, parce qu’elle suit la nature, je veux dire parce qu’elle énonce les mots selon l’état où l’esprit conçoit les choses ; le soleil est lumineux. On suit ou l’ordre de la relation des causes avec les effets, ou celui des effets avec leur cause ; je veux dire que la construction simple procede, ou en allant de la cause à l’effet, ou de l’agent au patient ; comme quand on dit, Dieu a créé le monde ; Julien Leroi a fait cette montre ; Auguste vainquit Antoine ; c’est ce que les Grammairiens appellent la voix active : ou bien la construction énonce la pensée en remontant de l’effet à la cause, & du patient à l’agent, selon le langage des philosophes ; ce que les Grammairiens appellent la voix passive : le monde a été créé par l’Etre tout-puissant ; cette montre a été faite par Julien Leroi, horloger habile ; Antoine fut vaincu par Auguste. La construction simple présente d’abord l’objet ou sujet, ensuite elle le qualifie selon les propriétés ou les accidens que les sens y découvrent, ou que l’imagination y suppose.

Or dans l’un & dans l’autre de ces deux cas, l’état des choses demande que l’on commence par nommer le sujet. En effet, la nature & la raison ne nous apprennent-elles pas, 1°. qu’il faut être avant que d’operer, prius est esse quam operari ; 2°. qu’il faut exister avant que de pouvoir être l’objet de l’action d’un autre ; 3°. enfin qu’il faut avoir une existence réelle ou imaginée, avant que de pouvoir être qualifié, c’est-à-dire avant que de pouvoir être considéré comme ayant telle ou telle modification propre, ou bien tel ou tel de ces accidens qui donnent lieu à ce que les Logiciens appellent des dénominations externes : il est aimé, il est haï, il est loüé, il est blâmé.

On observe la même pratique par imitation, quand on parle de noms abstraits & d’êtres purement métaphysiques : ainsi on dit que la vertu a des charmes, comme l’on dit que le roi a des soldats.

La construction simple, comme nous l’avons déjà remarqué, énonce d’abord le sujet dont on juge, après quoi elle dit, ou qu’il est, ou qu’il fait, ou qu’il souffre, ou qu’il a, soit dans le sens propre, soit au figuré.

Pour mieux faire entendre ma pensée, quand je dis que la construction simple suit l’état des choses, j’observerai que dans la réalité l’adjectif n’énonce qu’une qualification du substantif ; l’adjectif n’est donc que le substantif même considéré avec telle ou telle modification ; tel est l’état des choses : aussi la construction simple ne sépare-t-elle jamais l’adjectif du substantif. Ainsi quand Virgile a dit,


Frigidus, agricolam, si quando continet imber.

Géorg. liv. I. v. 259.


l’adjectif frigidus étant séparé par plusieurs mots de son substantif imber, cette construction sera, tant qu’il vous plaira, une construction élégante, mais jamais une phrase de la construction simple, parce qu’on n’y suit pas l’ordre de l’état des choses, ni du rapport immédiat qui est entre les mots en conséquence de cet état.

Lorsque les mots essentiels à la proposition ont des modificatifs qui en étendent ou qui en restraignent la valeur, la construction simple place ces modificatifs à la suite des mots qu’ils modifient : ainsi tous les mots se trouvent rangés successivement selon le rapport immédiat du mot qui suit avec celui qui le précede : par exemple, Alexandre vainquit Darius, voilà une simple proposition ; mais si j’ajoûte des modificatifs ou adjoints à chacun de ses termes, la construction simple les placera successivement selon l’ordre de leur relation. Alexandre fils de Philippe & roi de Macédoine vainquit avec peu de troupes Darius roi des Perses qui étoit à la tête d’une armée nombreuse.

Si l’on énonce des circonstances dont le sens tombe sur toute la proposition, on peut les placer ou au commencement ou à la fin de la proposition : par ex. en la troisieme année de la cxij. olympiade, 330 ans avant Jesus-Christ, onze jours après une éclipse de lune, Alexandre vainquit Darius ; ou bien Alexandre vainquit Darius en la troisieme année, &c.

Les liaisons des différentes parties du discours, telles que cependant, sur ces entrefaites, dans ces circonstances, mais, quoique, après que, avant que, &c. doivent précéder le sujet de la proposition où elles se trouvent, parce que ces liaisons ne sont pas des parties nécessaires de la proposition ; elles ne sont que des adjoints, ou des transitions, ou des conjonctions particulieres qui lient les propositions partielles dont les périodes sont composées.

Par la même raison, le relatif qui, quæ, quod, & nos qui, que, dont, précedent tous les mots de la proposition à laquelle ils appartiennent ; parce qu’ils servent à lier cette proposition à quelque mot d’une autre, & que ce qui lie doit être entre deux termes : ainsi dans cet exemple vulgaire, Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est tout-puissant, quem précede adoramus, & que est avant nous adorons, quoique l’un dépende d’adoramus, & l’autre de nous adorons, parce que quem détermine Deus. Cette place du relatif entre les deux propositions correlatives, en fait appercevoir la liaison plus aisément, que si le quem ou le que étoient placés après les verbes qu’ils déterminent.

Je dis donc que pour s’exprimer selon la construction simple, on doit 1°. énoncer tous les mots qui sont les signes des différentes parties que l’on est obligé de donner à la pensée, par la nécessité de l’élocution, & selon l’analogie de la langue en laquelle on a à s’énoncer.

2°. En second lieu la construction simple exige que les mots soient énoncés dans l’ordre successif des rapports qu’il y a entr’eux, ensorte que le mot qui est à modifier ou à déterminer précede celui qui le modifie ou le détermine.

3°. Enfin dans les langues où les mots ont des terminaisons qui sont les signes de leur position & de leurs relations, ce seroit une faute si l’on se contentoit de placer un mot dans l’ordre où il doit être selon la construction simple, sans lui donner la terminaison destinée à indiquer cette position : ainsi on ne dira pas en latin, diliges Dominus Deus tuus, ce qui seroit la terminaison de la valeur absolue, ou celle du sujet de la proposition ; mais on dira, diliges Dominum Deum tuum, ce qui est la terminaison de la valeur relative de ces trois derniers mots. Tel est dans ces langues le service & la destination des terminaisons ; elles indiquent la place & les rapports des mots ; ce qui est d’un grand usage lorsqu’il y a inversion, c’est-à-dire lorsque les mots ne sont pas énoncés dans l’ordre de la construction simple ; ordre toûjours indiqué, mais rarement observé dans la construction usuelle des langues dont les noms ont des cas, c’est-à-dire des terminaisons particulieres destinées en toute construction à marquer les différentes relations ou les différentes sortes de valeurs relatives des mots.

II. De la construction figurée. L’ordre successif des rapports des mots n’est pas toûjours exactement suivi dans l’exécution de la parole : la vivacité de l’imagination, l’empressement à faire connoître ce qu’on pense, le concours des idées accessoires, l’harmonie, le nombre, le rythme, &c. font souvent que l’on supprime des mots, dont on se contente d’énoncer les correlatifs. On interrompt l’ordre de l’analyse ; on donne aux mots une place ou une forme, qui au premier aspect ne paroît pas être celle qu’on auroit dû leur donner. Cependant celui qui lit ou qui écoute, ne laisse pas d’entendre le sens de ce qu’on lui dit, parce que l’esprit rectifie l’irrégularité de l’énonciation, & place dans l’ordre de l’analyse les divers sens particuliers, & même le sens des mots qui ne sont pas exprimés.

C’est en ces occasions que l’analogie est d’un grand usage : ce n’est alors que par analogie, par imitation, & en allant du connu à l’inconnu, que nous pouvons concevoir ce qu’on nous dit. Si cette analogie nous manquoit, que pourrions-nous comprendre dans ce que nous entendrions dire ? ce seroit pour nous un langage inconnu & inintelligible. La connoissance & la pratique de cette analogie ne s’acquiert que par imitation, & par un long usage commencé dès les premieres années de notre vie.

Les façons de parler dont l’analogie est pour ainsi dire l’interprete, sont des phrases de la construction figurée.

La construction figurée est donc celle où l’ordre & le procédé de l’analyse énonciative ne sont pas suivis, quoiqu’ils doivent toûjours être apperçûs, rectifiés, ou suppléés.

Cette seconde sorte de construction est appellée construction figurée, parce qu’en effet elle prend une figure, une forme, qui n’est pas celle de la construction simple. La construction figurée est à la vérité autorisée par un usage particulier ; mais elle n’est pas conforme à la maniere de parler la plus réguliere, c’est-à-dire à cette construction pleine & suivie dont nous avons parlé d’abord. Par exemple, selon cette premiere sorte de construction, on dit, la foiblesse des hommes est grande ; le verbe est s’accorde en nombre & en personne avec son sujet la foiblesse, & non avec des hommes. Tel est l’ordre significatif ; tel est l’usage général. Cependant on dit fort bien la plûpart des hommes se persuadent, &c. où vous voyez que le verbe s’accorde avec des hommes, & non avec la plûpart : les savans disent, les ignorans s’imaginent, &c. telle est la maniere de parler générale ; le nominatif pluriel est annoncé par l’article les. Cependant on dit fort bien, des savans m’ont dit, &c. des ignorans s’imaginent, &c. du pain & de l’eau suffisent, &c.

Voilà aussi des nominatifs, selon nos Grammairiens ; pourquoi ces prétendus nominatifs ne sont-ils point analogues aux nominatifs ordinaires ? Il en est de même en latin, & en toutes les langues. Je me contenterai de ces deux exemples.

1°. La préposition ante se construit avec l’accusatif ; tel est l’usage ordinaire : cependant on trouve cette préposition avec l’ablatif dans les meilleurs auteurs, multis ante annis.

2°. Selon la pratique ordinaire, quand le nom de la personne ou celui de la chose est le sujet de la proposition, ce nom est au nominatif. Il faut bien en effet nommer la personne ou la chose dont on juge, afin qu’on puisse entendre ce qu’on en dit. Cependant on trouve des phrases sans nominatif ; & ce qui est plus irrégulier encore, c’est que le mot qui, selon la regle, devroit être au nominatif, se trouve au contraire en un cas oblique : pœnitet me peccati, je me repens de mon péché ; le verbe est ici à la troisieme personne en latin, & à la premiere en françois.

Qu’il me soit permis de comparer la construction simple au droit commun, & la figurée au droit privilégié. Les jurisconsultes habiles ramenent les priviléges aux lois supérieures du droit commun, & regardent comme des abus que les législateurs devroient réformer, les priviléges qui ne sauroient être réduits à ces lois.

Il en est de même des phrases de la construction figurée ; elles doivent toutes être rapportées aux lois générales du discours, entant qu’il est signe de l’analyse des pensées & des différentes vûes de l’esprit. C’est une opération que le peuple fait par sentiment, puisqu’il entend le sens de ces phrases. Mais le Grammairien philosophe doit pénétrer le mystere de leur irrégularité, & faire voir que malgré le masque qu’elles portent de l’anomalie, elles sont pourtant analogues à la construction simple.

C’est ce que nous tâcherons de faire voir dans les exemples que nous venons de rapporter. Mais pour y procéder avec plus de clarté, il faut observer qu’il y a six sortes de figures qui sont d’un grand usage dans l’espece de construction dont nous parlons, & auxquelles on peut réduire toutes les autres.

1°. L’ellipse, c’est-à-dire manquement, défaut, suppression ; ce qui arrive lorsque quelque mot nécessaire pour réduire la phrase à la construction simple n’est pas exprimé ; cependant ce mot est la seule cause de la modification d’un autre mot de la phrase. P. ex. ne sus Mivervam ; Minervam n’est à l’accusatif, que parce que ceux qui entendent le sens de ce proverbe se rappellent aisément dans l’esprit le verbe doceat. Ciceron l’a exprimé (Cic. acad. i. c. jv.) ; ainsi le sens est sus non doceat Minervam, qu’un cochon, qu’une bête, qu’un ignorant ne s’avise pas de vouloir donner des leçons à Minerve déesse de la science & des beaux arts. Triste lupus stabulis, c’est-à-dire lupus est negotium triste stabulis. Ad Castoris, supplée ad ædem ou ad templum Castoris. Sanctius & les autres analogistes ont recueilli un grand nombre d’exemples où cette figure est en usage : mais comme les auteurs latins employent souvent cette figure, & que la langue latine est pour ainsi dire toute elliptique, il n’est pas possible de rapporter toutes les occasions où cette figure peut avoir lieu ; peut-être même n’y a-t-il aucun mot latin qui ne soit sousentendu en quelque phrase. Vulcani item complures, suppléez fuerunt ; primus cælo natus, ex quo Minerva Apollinem, où l’on sousentend peperit (Cic. de nat. deor. liv. III. c. xxij.) & dans Térence (eunuc. act. I. sc. I.), ego ne illam ? quæ illum ? quæ me ? quæ non ? Sur quoi Donat observe que l’usage de l’ellipse est fréquent dans la colere, & qu’ici le sens est, ego ne illam non ulciscar ? quæ illum recepit ? quæ exclusit me ? quæ non admisit ? Priscien remplit ces ellipses de la maniere suivante : ego ne illam dignor adventu meo ? quæ illum præposuit mihi ? quæ me sprevit ? quæ non suscepit heri ? Quoi j’irois la voir, elle qui a préféré Thrason, elle qui m’a hier fermé la porte ?

Il est indifférent que l’ellipse soit remplie par tel ou tel mot, pourvû que le sens indiqué par les adjoints & par les circonstances soit rendu.

Ces sousententes, dit M. Patru (notes sur les remarques de Vaugelas, tome I. page 291. édit. de 1738.) sont fréquentes en notre langue comme en toutes les autres. Cependant elles y sont bien moins ordinaires qu’elles ne le sont dans les langues qui ont des cas ; parce que dans celles-ci le rapport du mot exprimé avec le mot sousentendu, est indiqué par une terminaison relative ; au lieu qu’en françois & dans les langues, dont les mots gardent toûjours leur terminaison absolue, il n’y a que l’ordre, ou observé, ou facilement apperçû & rétabli par l’esprit, qui puisse faire entendre le sens des mots énoncés. Ce n’est qu’à cette condition que l’usage authorise les transpositions & les ellipses. Or cette condition est bien plus facile à remplir dans les langues qui ont des cas : ce qui est sensible dans l’exemple que nous avons rapporté, sus Minervam ; ces deux mots rendus en françois n’indiqueroient pas ce qu’il y a à suppléer. Mais quand la condition dont nous venons de parler peut aisément être remplie, alors nous faisons usage de l’ellipse, sur-tout quand nous sommes animés par quelque passion.


Je t’aimois inconstant ; qu’aurois-je fait fidele ?

Racine, Androm. act. IV. sc. v.


On voit aisément que le sens est, que n’aurois-je pas fait si tu avois été fidele ? avec quelle ardeur ne t’aurois-je pas aimé si tu avois été fidele ? Mais l’ellipse rend l’expression de Racine bien plus vive, que si ce poëte avoit fait parler Hermione selon la construction pleine. C’est ainsi que lorsque dans la conversation on nous demande quand reviendrez-vous, nous répondons la semaine prochaine, c’est-à-dire je reviendrai dans la semaine prochaine ; à la mi-Août, c’est-à-dire à la moitié du mois d’Août ; à la S. Martin, à la Toussaint, au lieu de à la fete de S. Martin, à celle de tous les SS. Dem. Que vous a-t-il dit ? R. rien ; c’est-à-dire il ne m’a rien dit, nullam rem ; on sousentend la négation ne. Qu’il fasse ce qu’il voudra, ce qu’il lui plaira ; on sousentend faire, & c’est de ce mot sousentendu que dépend le que apostrophé devant il. C’est par l’ellipse que l’on doit rendre raison d’une façon de parler qui n’est plus aujourd’hui en usage dans notre langue, mais qu’on trouve dans les livres mêmes du siecle passé, c’est & qu’ainsi ne soit, pour dire ce que je vous dis est si vrai que, &c. cette maniere de parler, dit Danet (verbo ainsi), se prend en un sens tout contraire à celui qu’elle semble avoir ; car, dit-il, elle est affirmative nonobstant la négation. J’étois dans ce jardin, & qu’ainsi ne soit, voila une fleur que j’y ai cueillie ; c’est comme si je disois, & pour preuve de cela voilà une fleur que j’y ai cueillie, atque ut rem ita esse intelligas. Joubert dit aussi & qu’ainsi ne soit, c’est-à-dire pour preuve que cela est, argumento est quod, au mot ainsi. Moliere, dans Pourceaugnac, act. I. sc. xj. fait dire à un medecin que M. de Pourceaugnac est atteint & convaincu de la maladie qu’on appelle mélancholie hypochondriaque ; & qu’ainsi ne soit, ajoûte le medecin, pour diagnostic incontestable de ce que je dis, vous n’avez qu’à considérer ce grand sérieux, &c.

M. de la Fontaine, dans son Belphégor qui est imprimé à la fin du XII. livre des fables, dit :


C’est le cœur seul qui peut rendre tranquille ;
Le cœur fait tout, le reste est inutile.
Qu’ainsi ne soit, voyons d’autres états, &c.


L’ellipse explique cette façon de parler : en voici la construction pleine, & afin que vous ne disiez point que cela ne soit pas ainsi, c’est que, &c.

Passons aux exemples que nous avons rapportés plus haut : des savans m’ont dit, des ignorans s’imaginent : quand je dis les savans disent, les ignorans s’imaginent, je parle de tous les savans & de tous les ignorans ; je prens savans & ignorans dans un sens appellatif, c’est-à-dire dans une étendue qui comprend tous les individus auxquels ces mots peuvent être appliqués : mais quand je dis des savans m’ont dit, des ignorans s’imaginent, je ne veux parler que de quelquesuns d’entre les savans ou d’entre les ignorans ; c’est une façon de parler abregée. On a dans l’esprit quelques-uns ; c’est ce pluriel qui est le vrai sujet de la proposition ; de ou des ne sont en ces occasions que des prépositions extractives ou partitives. Sur quoi je ferai en passant une legere observation ; c’est qu’on dit qu’alors savans ou ignorans sont pris dans un sens partitif : je crois que le partage ou l’extraction n’est marqué que par la préposition & par le mot sousentendu, & que le mot exprimé est dans toute sa valeur, & par conséquent dans toute son étendue, puisque c’est de cette étendue ou généralité que l’on tire les individus dont on parle ; quelques-uns de les savans.

Il en est de même de ces phrases, du pain & de l’eau suffisent, donnez-moi du pain & de l’eau, &c. c’est-à-dire quelque chose de, une portion de, ou du, &c. Il y a dans ces façons de parler syllepse & ellipse : il y a syllepse, puisqu’on fait la construction selon le sens que l’on a dans l’esprit, comme nous le dirons bientot : & il y a ellipse, c’est-à-dire suppression, manquement de quelques mots, dont la valeur ou le sens est dans l’esprit. L’empressement que nous avons à énoncer notre pensée, & à savoir celle de ceux qui nous parlent, est la cause de la suppression de bien des mots qui seroient exprimés, si l’on suivoit exactement le détail de l’analyse énonciative des pensées.

3°. Multis ante annis. Il y a encore ici une ellipse : ante n’est pas le correlatif de annis ; car on veut dire que le fait dont il s’agit s’est passé dans un tems qui est bien antérieur au tems où l’on parle : illud fuit gestum in annis multis ante hoc tempus. Voici un exemple de Cicéron, dans l’oraison pro L. Corn. Balbo, qui justifie bien cette explication : Hospitium, multis annis ante hoc tempus, Gaditani cum Lucio Cornelio Balbo fecerant, où vous voyez que la construction selon l’ordre de l’analyse énonciative est Gaditani fecerunt hospitium cum Lucio Cornelio Balbo in multis annis ante hoc tempus.

4°. Pænitet me peccati, je me repens de mon péché. Voilà sans doute une proposition en latin & en françois. Il doit donc y avoir un sujet & un attribut exprimé ou sousentendu. J’apperçois l’attribut, car je vois le verbe pœnitet me ; l’attribut commence toûjours par le verbe, & ici pœnitet me est tout l’attribut. Cherchons le sujet, je ne vois d’autre mot que peccati : mais ce mot étant au génitif, ne sauroit être le sujet de la proposition ; puisque selon l’analogie de la construction ordinaire, le génitif est un cas oblique qui ne sert qu’à déterminer un nom d’espece. Quel est ce nom que peccati détermine ? Le fond de la pensée & l’imitation doivent nous aider à le trouver. Commençons par l’imitation. Plaute fait dire à une jeune mariée (Stich. act. I. sc. j. v. 50.), & me quidem hæc conditio nunc non pœnitet. Cette condition, c’est-à-dire ce mariage ne me fait point de peine, ne m’affecte pas de repentir ; je ne me repens point d’avoir épousé le mari que mon pere m’a donné : où vous voyez que conditio est le nominatif de pœnitet. Et Ciceron, sapientis est proprium, nihil quod pœnitere possit, facere (Tusc. liv. V. c. 28.), c’est-à-dire non facere hilum quod possit pœnitere sapientem est proprium sapientis ; où vous voyez que quod est le nominatif de possit pœnitere : rien qui puisse affecter le sage de repentir. Accius (apud Gall. n. A. l. XIII. c. ij.) dit que, neque id sane me pœnitet ; cela ne m’affecte point de repentir.

Voici encore un autre exemple : Si vous aviez eû un peu plus de déférence pour mes avis, dit Cicéron à son frere ; si vous aviez sacrifié quelques bons mots, quelques plaisanteries, nous n’aurions pas lieu aujourd’hui de nous repentir. Si apud te plus autoritas mea, quam dicendi sal facetiæque valuisset, nihil sane esset quod nos pœniteret ; il n’y auroit rien qui nous affectât de repentir. Cic. ad Quint. Fratr. l. I. ep. ij.

Souvent, dit Faber dans son thrésor au mot pœnitet, les anciens ont donné un nominatif à ce verbe : veteres & cum nominativo copularunt.

Poursuivons notre analogie. Ciceron a dit, conscientia peccatorum timore nocentes afficit (Parad. V.) ; & Parad. II. tuæ libines torquent te, conscientiæ maleficiorum tuorum stimulant se ; vos remords vous tourmentent : & ailleurs on trouve, conscientia scelerum improbos in morte vexat ; à l’article de la mort les méchans sont tourmentés par leur propre conscience.

Je dirai donc par analogie, par imitation, conscientia peccati pœnitet me, c’est-à-dire afficit me pæna ; comme Ciceron a dit, afficit timore, stimulat, vexat, torquet, mordet ; le remords, le souvenir, la pensée de ma faute m’affecte de peine, m’afflige, me tourmente ; je m’en afflige, je m’en peine, je m’en repens. Notre verbe repentir est formé de la préposition inséparable, re, retro, & de peine, se peiner du passe : Nicot écrit se pèner de ; ainsi se repentir, c’est s’affliger, se punir soi-même de ; quem pœnitet, is, dolendo, a se, quasi pœna suæ temeritatis exigit. Martinius V. pœnitet.

Le sens de la période entiere fait souvent entendre le mot qui est sousentendu : par exemple, Felix qui potuit rerum cognoscere causas (Virg. Georg. l. II. vers. 490.), l’antécédent de qui n’est point exprimé ; cependant le sens nous fait voir que l’ordre de la construction est ille qui potuit cognoscere causas rerum est felix.

Il y a une sorte d’ellipse qu’on appelle zeugma, mot grec qui signifie connexion, assemblage. Cette figure fera facilement entendue par les exemples. Salluste a dit, non de tyranno, sed de cive : non de domino, sed de parente loquimur ; où vous voyez que ce mot loquimur lie tous ces divers sens particuliers, & qu’il est sousentendu en chacun. Voilà l’ellipse qu’on appelle zeugma. Ainsi le zeugma se fait lorsqu’un mot exprime dans quelque membre d’une période, est sousentendu dans un autre membre de la même période. Souvent le mot est bien le même, eu égard à la signification ; mais il est différent par rapport au nombre ou au genre. Aquilæ volarunt, hæc ob oriente, illa ab occidente : la construction pleine est hæc volavit ab oriente, illa volavit ab occidente ; où vous voyez que volavit qui est sousentendu, differe de volarunt par le nombre : & de même dans Virgile (Æn. l. I.) hic illius arma, hic currus fuit ; où vous voyez qu’il faut sousentendre fuerunt dans le premier membre. Voici une différence par rapport au genre : utinam aut hic surdus, aut hæc muta facta sit (Ter. And. act. III. sc. j.) ; dans le premier sens on sousentend factus sit, & il y a facta dans le second. L’usage de cette sorte de zeugma est souffert en latin ; mais la langue Françoise est plus délicate & plus difficile à cet égard. Comme elle est plus assujettie à l’ordre significatif, on n’y doit sousentendre un mot déjà exprimé, que quand ce mot peut convenir également au membre de phrase où il est sousentendu. Voici un exemple qui fera entendre ma pensée : Un auteur moderne a dit, cette histoire achevera de desabuser ceux qui méritent de l’être ; on sousentend desabusés dans ce dernier membre ou incise, & c’est desabuser qui est exprimé dans le premier. C’est une négligence dans laquelle de bons auteurs sont tombés.

II. La seconde sorte de figure est le contraire de l’ellipse ; c’est lorsqu’il y a dans la phrase quelque mot superflu qui pourroit en être retranché sans rien faire perdre du sens ; lorsque ces mots ajoûtés donnent au discours ou plus de grace ou plus de netteté, ou enfin plus de force ou d’énergie, ils font une figure approuvée. Par ex. quand en certaines occasions on dit, je l’ai vû de mes yeux, je l’ai entendu de mes propres oreilles, &c. je me meurs ; ce me n’est-là que par énergie. C’est peut-être cette raison de l’énergie qui a consacré le pléonasme en certaines façons de parler : comme quand on dit, c’est une affaire où il y va du salut de l’état ; ce qui est mieux que si l’on disoit, c’est une affaire où il va, &c. en supprimant y qui est inutile à cause de . Car, comme on l’a observé dans les remarques & décisions de l’académie Francoise, 1698, p. 39. il y va, il y a, il en est, sont des formules autorisées dont on ne peut rien ôter.

La figure dont nous parlons est appellée pléonasme, mot grec qui signifie surabondance. Au reste la surabondance qui n’est pas consacrée par l’usage, & qui n’apporte ni plus de netteté, ni plus de grace, ni plus d’énergie, est un vice, ou du moins une négligence qu’on doit éviter : ainsi on ne doit pas joindre à un substantif une épithete qui n’ajoûte rien au sens, & qui n’excite que la même idée ; par ex. une tempête orageuse. Il en est de même de cette façon de parler, il est vrai de dire que ; de dire est entierement inutile. Un de nos auteurs a dit que Cicéron avoit étendu les bornes & les limites de l’éloquence. Défense de Voiture, pag. 1. Limites n’ajoûte rien à l’idée de bornes ; c’est un pléonasme.

III. La troisiéme sorte de figure est celle qu’on appelle syllepse ou synthese : c’est lorsque les mots sont construits selon le sens & la pensée, plûtôt que selon l’usage de la construction ordinaire ; par exemple, monstrum étant du genre neutre, le relatif qui suit ce mot doit aussi être mis au genre neutre, monstrum quod. Cependant Horace, lib. I. od. 37. a dit, fatale monstrum, quæ generosius perire quærens : mais ce prodige, ce monstre fatal, c’est Cléopatre ; ainsi Horace a dit quæ au féminin, parce qu’il avoit Cléopatre dans l’esprit. Il a donc fait la construction selon la pensée, & non selon les mots. Ce sont des hommes qui ont, &c. sont est au pluriel aussi-bien que ont, parce que l’objet de la pensée c’est des hommes plûtôt que ce, qui est ici pris collectivement.

On peut aussi résoudre ces façons de parler par l’ellipse ; car ce sont des hommes qui ont, &c. ce, c’est-à-dire les personnes qui ont, &c. sont du nombre des hommes qui, &c. Quand on dit la foiblesse des hommes est grande, le verbe est étant au singulier, s’accorde avec son nominatif la foiblesse ; mais quand on dit la plûpart des hommes s’imaginent, &c. ce mot la plûpart présente une pluralité à l’esprit ; ainsi le verbe répond à cette pluralité, qui est son correlatif. C’est encore ici une syllepse ou synthese, c’est-à-dire une figure, selon laquelle les mots sont construits selon la pensée & la chose, plûtôt que selon la lettre & la forme grammaticale : c’est par la même figure que le mot de personne, qui grammaticalement est du genre féminin, se trouve souvent suivi de il ou ils au masculin ; parce qu’alors on a dans l’esprit l’homme ou les hommes dont on parle qui sont physiquement du genre masculin. C’est par cette figure que l’on peut rendre raison de certaines phrases où l’on exprime la particule ne, quoiqu’il semble qu’elle dût être supprimée, comme lorsqu’on dit, je crains qu’il ne vienne, j’empêcherai qu’il ne vienne, j’ai peur qu’il n’oublie, &c. En ces occasions on est occupé du desir que la chose n’arrive pas ; on a la volonté de faire tout ce qu’on pourra, afin que rien n’apporte d’obstacle à ce qu’on souhaite : voilà ce qui fait énoncer la négation.

IV. La quatrieme sorte de figure, c’est l’hyperbate, c’est-à-dire confusion, mêlange de mots : c’est lorsque l’on s’écarte de l’ordre successif de la construction simple ; Saxa vocant Itali, mediis, quæ in fluctibus, aras (Virg. Æneid. l. I. v. 113.) ; la construction est Itali vocant aras illa saxa quæ sunt in fluctibus mediis. Cette figure étoit, pour ainsi dire, naturelle au latin ; comme il n’y avoit que les terminaisons des mots, qui dans l’usage ordinaire fussent les signes de la relation que les mots avoient entre eux, les Latins n’avoient égard qu’à ces terminaisons, & ils plaçoient les mots selon qu’ils étoient présentés à l’imagination, ou selon que cet arrangement leur paroissoit produire une cadence & une harmonie plus agréable ; mais parce qu’en françois les noms ne changent point de terminaison, nous sommes obligés communément de suivre l’ordre de la relation que les mots ont entre eux. Ainsi nous ne saurions faire usage de cette figure, que lorsque le rapport des correlatifs n’est pas difficile à appercevoir ; nous ne pourrions pas dire comme Virgile :

Frigidus, ô pueri, fagite hinc, latet anguis in herbâ.

Eccl. III. v. 93.


L’adjectif frigidus commence le vers, & le substantif anguis en est séparé par plusieurs mots, sans que cette séparation apporte la moindre confusion. Les terminaisons font aisément rapprocher l’un de l’autre à ceux qui savent la langue : mais nous ne serions pas entendus en françois, si nous mettions un si grand intervalle entre le substantif & l’adjectif ; il faut que nous disions fuyez, un froid serpent est caché sous l’herbe.

Nous ne pouvons donc faire usage des inversions, que lorsqu’elles sont aisées à ramener à l’ordre significatif de la construction simple ; ce n’est que relativement à cet ordre, que lorsqu’il n’est pas suivi, on dit en toute langue qu’il y a inversion, & non par rapport à un prétendu ordre d’intérêt ou de passions qui ne sauroit jamais être un ordre certain, auquel on peut opposer le terme d’inversion : incerta hæc si tu postules ratione certa facere, nihilo plus agas, quam si des operam ut cum ratione insanias. Ter. Eun. act. I. sc. j. v. 16.

En effet on trouve dans Cicéron & dans chacun des auteurs qui ont beaucoup écrit ; on trouve, dis-je, en différens endroits, le même fond de pensée énoncé avec les mêmes mots, mais toûjours disposés dans un ordre différent. Quel est celui de ces divers arrangemens par rapport auquel on doit dire qu’il y a inversion ? Ce ne peut jamais être que relativement à l’ordre de la construction simple. Il n’y a inversion que lorsque cet ordre n’est pas suivi. Toute autre idée est sans fondement, & n’oppose inversion qu’au caprice ou à un goût particulier & momentanée.

Mais revenons à nos inversions françoises. Madame Deshoulieres dit :

Que les fougueux aquilons,
Sous sa nef, ouvrent de l’onde
Les gouffres les plus profonds. Deshoul. Ode.


La construction simple est, que les aquilons fougueux ouvrent sous sa nef les gouffres les plus profonds de l’onde. M. Fléchier, dans une de ses oraisons funebres, a dit, sacrifice où coula le sang de mille victimes ; la construction est, sacrifice où le sang de mille victimes coula.

Il faut prendre garde que les transpositions & le renversement d’ordre ne donnent pas lieu à des phrases louches, équivoques, & où l’esprit ne puisse pas aisément rétablir l’ordre significatif ; car on ne doit jamais perdre de vûe, qu’on ne parle que pour être entendu : ainsi lorsque les transpositions même servent à la clarté, on doit, dans le discours ordinaire, les préférer à la construction simple. Madame Deshoulieres a dit :

Dans les transports qu’inspire
Cette agréable saison,
Où le cœur, à son empire
Assujettit la raison.


L’esprit saisit plus aisément la pensée, que si cette illustre dame avoit dit : dans les transports, que cette agréable saison, où le cœur assujettit la raison à son empire, inspire. Cependant en ces occasions-là mêmes l’esprit apperçoit les rapports des mots, selon l’ordre de la construction significative.

V. La cinquieme sorte de figure, c’est l’imitation de quelque façon de parler d’une langue étrangere, ou même de la langue qu’on parle. Le commerce & les relations qu’une nation a avec les autres peuples, font souvent passer dans une langue non seulement des mots, mais encore des façons de parler, qui ne sont pas conformes à la construction ordinaire de cette langue. C’est ainsi que dans les meilleurs auteurs Latins on observe des phrases greques, qu’on appelle des hellenismes : c’est par une telle imitation qu’Horace a dit (l. III. ode 30. v. 12.) Daunus agrestium regnavit populorum. Les Grecs disent ἐϐασίλευσε τῶν λαῶν. Il y en a plusieurs autres exemples ; mais dans ces façons de parler greques, il y a ou un nom substantif sousentendu, ou quelqu’une de ces prépositions greques qui se construisent avec le génitif : ici on sousentend βασιλώαν, comme M. Dacier l’a remarqué, regnavit regnum populorum : Horace a dit ailleurs, regnata rura. (l. II. od. vj. v. 11.) Ainsi quand on dit que telle façon de parler est une phrase greque, cela veut dire que l’ellipse d’un certain mot est en usage en grec dans ces occasions, & que cette ellipse n’est pas en usage en latin dans la construction usuelle ; qu’ainsi on ne l’y trouve que par imitation des Grecs. Les Grecs ont plusieurs prépositions qu’ils construisent avec le génitif ; & dans l’usage ordinaire ils suppriment les prépositions, ensorte qu’il ne reste que le génitif. C’est ce que les Latins ont souvent imité. (Voyez Sanctius, & la méthode de P. R. de l’hellenisme, page 559.) Mais soit en latin, soit en grec, on doit toûjours tout réduire à la construction pleine & à l’analogie ordinaire. Cette figure est aussi usitée dans la même langue, sur-tout quand on passe du sens propre au sens figuré. On dit au sens propre, qu’un homme a de l’argent, une montre, un livre ; & l’on dit par imitation, qu’il a envie, qu’il a peur, qu’il a besoin, qu’il a faim, &c.

L’imitation a donné lieu à plusieurs façons de parler, qui ne sont que des formules que l’usage a consacrées. On se sert si souvent du pronom il pour rappeller dans l’esprit la personne déjà nommée, que ce pronom a passé ensuite par imitation dans plusieurs façons de parler, où il ne rappelle l’idée d’aucun individu particulier. Il est plûtôt une sorte de nom métaphysique idéal ou d’imitation ; c’est ainsi que l’on dit, il pleut, il tonne, il faut, il y a des gens qui s’imaginent, &c. Ce il, illud, est un mot qu’on employe par analogie, à l’imitation de la construction usuelle qui donne un nominatif à tout verbe au mode fini. Ainsi il pleut, c’est le ciel ou le tems qui est tel, qu’il fait tomber la pluie ; il faut, c’est-à-dire cela, illud, telle chose est nécessaire, savoir, &c.

VI. On rapporte à l’hellenisme une figure remarquable, qu’on appelle attraction : en effet cette figure est fort ordinaire aux Grecs, mais parce qu’on en trouve aussi des exemples dans les autres langues, j’en fais ici une figure particuliere.

Pour bien comprendre cette figure, il faut observer que souvent le méchanisme des organes de la parole apporte des changemens dans les lettres des mots qui précedent, ou qui suivent d’autres mots ; ainsi au lieu de dire régulierement ad-loqui aliquem, parler à quelqu’un, on change le d de la préposition ad en l, à cause de l’l qu’on va prononcer, & l’on dit al-loqui aliquem plûtôt que ad-loqui ; & de même ir-ruere au lieu de in-ruere, col-loqui au lieu de cum ou con-loqui, &c. ainsi l’l attire une autre l, &c.

Ce que le méchanisme de la parole fait faire à l’égard des lettres, la vûe de l’esprit tournée vers un mot principal le fait pratiquer à l’égard de la terminaison des mots. On prend un mot selon sa signification, on n’en change point la valeur : mais à cause du cas, ou du genre, ou du nombre, ou enfin de la terminaison d’un autre mot dont l’imagination est occupée, on donne à un mot voisin de celui-là une terminaison différente de celle qu’il auroit eu selon la construction ordinaire ; ensorte que la terminaison du mot dont l’esprit est occupé, attire une terminaison semblable, mais qui n’est pas la réguliere. Urbem quam statuo, vestra est (Æneid. l. I.) ; quam statuo a attiré urbem au lieu de urbs : & de même populo ut placerent quas fecisset fabulas, au lieu de fabulæ. (Ter. And. prol.)

Je sai bien qu’on peut expliquer ces exemples par l’ellipse ; hæc urbs, quam urbem statuo, &c. illæ fabulæ, quas fabulas fecisset : mais l’attraction en est peut-être la véritable raison. Dii non concessere poetis esse mediocribus (Hor. de arte poetica.) ; mediocribus est attiré par poetis. Animal providum & sagax quem vocamus hominem (Cic. leg. I. 7.), où vous voyez que hominem a attiré quem ; parce qu’en effet hominem étoit dans l’esprit de Ciceron dans le tems qu’il a dit animal providum. Benevolentia qui est amicitiæ fons (Ciceron) ; fons a attiré qui au lieu de quæ. Benevolentia est fons, qui est fons amicitiæ. Il y a un grand nombre d’exemples pareils dans Sanctius, & dans la méthode latine de P. R. on doit en rendre raison par la direction de la vûe de l’esprit qui se porte plus particulierement vers un certain mot, ainsi que nous venons de l’observer. C’est le ressort des idées accessoires.

De la construction usuelle. La troisieme sorte de construction est composée des deux précédentes. Je l’appelle construction usuelle, parce que j’entens par cette construction l’arrangement des mots qui est en usage dans les livres, dans les lettres, & dans la conversation des honnêtes gens. Cette construction n’est souvent ni toute simple, ni toute figurée. Les mots doivent être, simples, clairs, naturels, & exciter dans l’esprit plus de sens, que la lettre ne paroît en exprimer ; les mots doivent être énoncés dans un ordre qui n’excite pas un sentiment desagréable à l’oreille ; on doit y observer autant que la convenance des différens styles le permet, ce qu’on appelle le nombre, le rythme, l’harmonie, &c. Je ne m’arrêterai point à recueillir les différentes remarques que plusieurs bons auteurs ont faites au sujet de cette construction. Telles sont celles de MM. de l’académie Françoise, de Vaugelas, de M. l’abbé d’Olivet, du P. Bouhours, de l’abbé de Bellegarde, de M. de Gamaches, &c. Je remarquerai seulement que les figures dont nous avons parlé, se trouvent souvent dans la construction usuelle, mais elles n’y sont pas nécessaires ; & même communément l’élégance est jointe à la simplicité ; & si elle admet des transpositions, des ellipses, ou quelque autre figure, elles sont aisées à ramener à l’ordre de l’analyse énonciative. Les endroits qui sont les plus beaux dans les anciens, sont aussi les plus simples & les plus faciles.

Il y a donc 1°. une construction simple, nécessaire, naturelle, où chaque pensée est analysée relativement à l’énonciation. Les mots forment un tout qui a des parties ; or la perception du rapport que ces parties ont l’une à l’autre, & qui nous en fait concevoir l’ensemble, nous vient uniquement de la construction simple, qui, énonçant les mots suivant l’ordre successif de leurs rapports, nous les présente de la maniere la plus propre à nous faire appercevoir ces rapports & à faire naître la pensée totale.

Cette premiere sorte de construction est le fondement de toute énonciation. Si elle ne sert de base à l’orateur, la chûte du discours est certaine, dit Quint. nisi oratori fundamenta fideliter jecerit, quidquid superstruxerit corruet. (Quint. Inst. or. l. I. c. jv. de gr.) Mais il ne faut pas croire, avec quelques grammairiens, que ce soit par cette maniere simple que quelque langue ait jamais été formée ; ç’a été après des assemblages sans ordre de pierres & de matériaux, qu’ont été faits les édifices les plus réguliers ; sont-ils élevés, l’ordre simple qu’on y observe cache ce qu’il en a coûté à l’art. Comme nous saisissons aisément ce qui est simple & bien ordonné, & que nous appercevons sans peine les rapports des parties qui font l’ensemble, nous ne faisons pas assez d’attention que ce qui nous paroît avoir été fait sans peine est le fruit de la réflexion, du travail, de l’expérience, & de l’exercice. Rien de plus irrégulier qu’une langue qui se forme ou qui se perd.

Ainsi, quoique dans l’état d’une langue formée, la construction dont nous parlons soit la premiere à cause de l’ordre qui fait appercevoir la liaison, la dépendance, la suite, & les rapports des mots ; cependant les langues n’ont pas eu d’abord cette premiere sorte de construction. Il y a une espece de métaphysique d’instinct & de sentiment qui a présidé à la formation des langues ; surquoi les Grammairiens ont fait ensuite leurs observations, & ont apperçû un ordre grammatical, fondé sur l’analyse de la pensée, sur les parties que la nécessité de l’élocution fait donner à la pensée, sur les signes de ces parties, & sur le rapport & le service de ces signes. Ils ont observé encore l’ordre pratique & d’usage.

2°. La seconde sorte de construction est appellée construction figurée ; celle-ci s’écarte de l’arrangement de la construction simple, & de l’ordre de l’analyse énonciative.

3°. Enfin il y a une construction usuelle, où l’on suit la maniere ordinaire de parler des honnêtes gens de la nation dont on parle la langue, soit que les expressions dont on se sert se trouvent conformes à la construction simple, ou qu’on s’énonce par la figurée. Au reste, par les honnêtes gens de la nation, j’entens les personnes que la condition, la fortune ou le mérite élevent au-dessus du vulgaire, & qui ont l’esprit cultivé par la lecture, par la réflexion, & par le commerce avec d’autres personnes qui ont ces mêmes avantages. Trois points qu’il ne faut pas séparer : 1° distinction au-dessus du vulgaire, ou par la naissance & la fortune, ou par le mérite personnel ; 2° avoir l’esprit cultivé ; 3° être en commerce avec des personnes qui ont ces mêmes avantages.

Toute construction simple n’est pas toûjours conforme à la construction usuelle : mais une phrase de la construction usuelle, même de la plus élégante, peut être énoncée selon l’ordre de la construction simple. Turenne est mort ; la fortune chancelle ; la victoire s’arrête ; le courage des troupes est abattu par la douleur, & ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile : (Fléch. or. fun. de M. de Tur.) Quoi de plus simple dans la construction ? quoi de plus éloquent & de plus élégant dans l’expression ?

Il en est de même de la construction figurée ; une construction figurée peut être ou n’être pas élégante. Les ellipses, les transpositions, & les autres figures se trouvent dans les discours vulgaires, comme elles se trouvent dans les plus sublimes. Je fais ici cette remarque, parce que la plûpart des grammairiens confondent la construction élégante avec la construction figurée, & s’imaginent que toute construction figurée est élégante, & que toute construction simple ne l’est pas.

Au reste, la construction figurée est défectueuse quand elle n’est pas autorisée par l’usage. Mais quoique l’usage & l’habitude nous fassent concevoir aisément le sens de ces constructions figurées, il n’est pas toujours si facile d’en réduire les mots à l’ordre de la construction simple. C’est pourtant à cet ordre qu’il faut tout ramener, si l’on veut pénétrer la raison des différentes modifications que les mots reçoivent dans le discours. Car, comme nous l’avons déjà remarqué, les constructions figurées ne sont entendues que parce que l’esprit en rectifie l’irrégularité par le secours des idées accessoires, qui font concevoir ce qu’on lit & ce qu’on entend, comme si le sens étoit énoncé dans l’ordre de la construction simple.

C’est par ce motif, sans doute, que dans les écoles où l’on enseigne le latin, sur-tout selon la méthode de l’explication, les maîtres habiles commencent par arranger les mots selon l’ordre dont nous parlons, & c’est ce qu’on appelle faire la construction ; après quoi on accoûtume les jeunes gens à l’élégance, par de fréquentes lectures du texte dont ils entendent alors le sens, bien mieux & avec plus de fruit que si l’on avoit commencé par le texte sans le réduire à la construction simple.

Hé, n’est-ce pas ainsi que quand on enseigne quelqu’un des Arts libéraux, tel que la Danse, la Musique, la Peinture, l’Écriture, &c. on mene long-tems les jeunes éleves comme par la main, on les fait passer par ce qu’il y a de plus simple & de plus facile ; on leur montre les fondemens & les principes de l’art, & on les mene ensuite sans peine à ce que l’art a de plus sublime.

Ainsi, quoi qu’en puissent dire quelques personnes peu accoûtumées à l’exactitude du raisonnement, & à remonter en tout aux vrais principes, la méthode dont je parle est extrèmement utile. Je vais en exposer ici les fondemens, & donner les connoissances nécessaires pour la pratiquer avec succès.

Du discours consideré grammaticalement, & des parties qui le composent. Le discours est un assemblage de propositions, d’énonciations, & de périodes, qui toutes doivent se rapporter à un but principal.

La proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différens rapports qu’ils ont entr’eux, énoncent un jugement ou quelque considération particuliere de l’esprit, qui regarde un objet comme tel.

Cette considération de l’esprit peut se faire en plusieurs manieres différentes, & ce sont ces différentes manieres qui ont donné lieu aux modes des verbes.

Les mots, dont l’assemblage forme un sens, sont donc ou le signe d’un jugement, ou l’expression d’un simple regard de l’esprit qui considere un objet avec telle ou telle modification : ce qu’il faut bien distinguer.

Juger, c’est penser qu’un objet est de telle ou telle façon ; c’est affirmer ou nier ; c’est décider relativement à l’état où l’on suppose que les objets sont en eux-mêmes. Nos jugemens sont donc ou affirmatifs ou négatifs. La terre tourne autour du soleil ; voilà un jugement affirmatif. Le soleil ne tourne point autour de la terre ; voilà un jugement négatif. Toutes les propositions exprimées par le mode indicatif énoncent autant de jugemens : je chante, je chantois, j’ai chanté, j’avois chanté, je chanterai ; ce sont là autant de propositions affirmatives, qui deviennent négatives par la seule addition des particules ne, non, ne pas, &c.

Ces propositions marquent un état réel de l’objet dont on juge : je veux dire que nous supposons alors que l’objet est ou qu’il a été, ou enfin qu’il sera tel que nous le disons indépendamment de notre maniere de penser.

Mais quand je dis soyez sage, ce n’est que dans mon esprit que je rapporte à vous la perception ou idée d’être sage, sans rien énoncer, au moins directement, de votre état actuel ; je ne fais que dire ce que je souhaite que vous soyez : l’action de mon esprit n’a que cela pour objet, & non d’énoncer que vous êtes sage ni que vous ne l’êtes point. Il en est de même de ces autres phrases, si vous étiez sage, afin que vous soyez sage ; & même des phrases énoncées dans un sens abstrait par l’infinitif, Pierre être sage. Dans toutes ces phrases il y a toujours le signe de l’action de l’esprit qui applique, qui rapporte, qui adapte une perception ou une qualification à un objet, mais qui l’adapte, ou avec la forme de commandement, ou avec celle de condition, de souhait, de dépendance, &c. mais il n’y a point là de décision qui affirme ou qui nie relativement à l’état positif de l’objet.

Voilà une différence essentielle entre les propositions : les unes sont directement affirmatives ou négatives, & énoncent des jugemens ; les autres n’entrent dans le discours que pour y énoncer certaines vûes de l’esprit ; ainsi elles peuvent être appellées simplement énonciations.

Tous les modes du verbe, autre que l’indicatif, nous donnent de ces sortes d’énonciations, même l’infinitif, sur-tout en latin ; ce que nous expliquerons bien-tôt plus en détail. Il suffit maintenant d’observer cette premiere division générale de la proposition.

Proposition directe énoncée par le mode indicatif.

Proposition oblique ou simple énonciation exprimée par quelqu’un des autres modes du verbe.

Il ne sera pas inutile d’observer que les propositions & les énonciations sont quelquefois appellées phrases : mais phrase est un mot générique qui se dit de tout assemblage de mots liés entr’eux, soit qu’ils fassent un sens fini, ou que ce sens ne soit qu’incomplet.

Ce mot phrase se dit plus particulierement d’une façon de parler, d’un tour d’expression, entant que les mots y sont construits & assemblés d’une maniere particuliere. Par exemple, on dit est une phrase françoise ; hoc dicitur est une phrase latine : si dice est une phrase italienne : il y a long-tems est une phrase françoise ; e molto tempo est une phrase italienne : voilà autant de manieres différentes d’analyser & de rendre la pensée. Quand on veut rendre raison d’une phrase, il faut toujours la réduire à la proposition, & en achever le sens, pour démêler exactement les rapports que les mots ont entr’eux selon l’usage de la langue dont il s’agit.

Des parties de la proposition & de l’énonciation. La proposition a deux parties essentielles : 1°. le sujet : 2°. l’attribut. Il en est de même de l’énonciation.

1°. Le sujet ; c’est le mot qui marque la personne ou la chose dont on juge, ou que l’on regarde avec telle ou telle qualité ou modification.

2°. L’attribut ; ce sont les mots qui marquent ce que l’on juge du sujet, ou ce que l’on regarde comme mode du sujet.

L’attribut contient essentiellement le verbe, parce que le verbe est dit du sujet, & marque l’action de l’esprit qui considere le sujet comme étant de telle ou telle façon, comme ayant ou faisant telle ou telle chose. Observez donc que l’attribut commence toujours par le verbe.

Différentes sortes de sujets. Il y a quatre sortes de sujets : 1°. sujet simple, tant au singulier qu’au pluriel : 2°. sujet multiple : 3°. sujet complexe : 4°. sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

1°. Sujet simple, énoncé en un seul mot : le soleil est levé, le soleil est le sujet simple au singulier. Les astres brillent, les astres sont le sujet simple au pluriel.

2°. Sujet multiple ; c’est lorsque pour abreger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens : la foi, l’espérance, & la charité sont trois vertus théologales ; ce qui est plus court que si l’on disoit la foi est une vertu théologale, l’espérance est une vertu théologale, la charité est une vertu théologale ; ces trois mots, la foi, l’espérance, la charité sont le sujet multiple. Et de même, S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, &c. étoient apôtres : S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, voilà le sujet multiple ; étoient apôtres, en est l’attribut commun.

3°. Sujet complexe ; ce mot complexe vient du latin complexus, qui signifie embrassé, composé. Un sujet est complexe, lorsqu’il est accompagné de quelque adjectif ou de quelqu’autre modificatif : Alexandre vainquit Darius, Alexandre est un sujet simple ; mais si je dis Alexandre fils de Philippe, ou Alexandre roi de Macédoine, voilà un sujet complexe. Il faut bien distinguer, dans le sujet complexe, le sujet personnel ou individuel, & les mots qui le rendent sujet complexe. Dans l’exemple ci-dessus, Alexandre est le sujet personnel ; fils de Philippe ou roi de Macedoine, ce sont les mots qui n’étant point séparés d’Alexandre, rendent ce mot sujet complexe.

On peut comparer le sujet complexe à une personne habillée. Le mot qui énonce le sujet est pour ainsi dire la personne, & les mots qui rendent le sujet complexe, ce sont comme les habits de la personne. Observez que lorsque le sujet est complexe, on dit que la proposition est complexe ou composée.

L’attribut peut aussi être complexe ; si je dis qu’Alexandre vainquit Darius roi de Perse, l’attribut est complexe ; ainsi la proposition est composée par rapport à l’attribut. Une proposition peut aussi être complexe par rapport au sujet & par rapport à l’attribut.

4°. La quatrieme sorte de sujet, est un sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

Il n’y a point de langue qui ait un assez grand nombre de mots, pour suffire à exprimer par un nom particulier chaque idée ou pensée qui peut nous venir dans l’esprit : alors on a recours à la périphrase ; par exemple, les Latins n’avoient point de mot pour exprimer la durée du tems pendant lequel un prince exerce son autorité : ils ne pouvoient pas dire comme nous sous le regne d’Auguste ; ils disoient alors, dans le tems qu’Auguste étoit empereur, imperante Cæsare Augusto ; car regnum ne signifie que royaume.

Ce que je veux dire de cette quatrieme sorte de sujets, s’entendra mieux par des exemples. Differer de profiter de l’occasion, c’est souvent la laisser échapper sans retour. Differer de profiter de l’occasion, voilà le sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, dont on dit que c’est souvent laisser échapper l’occasion sans retour. C’est un grand art de cacher l’art : ce hoc, à savoir, cacher l’art, voilà le sujet, dont on dit que c’est un grand art. Bien vivre est un moyen sûr de desarmer la médisance : bien vivre est le sujet ; est un moyen sûr de desarmer la médisance, c’est l’attribut. Il vaut mieux être juste que d’être riche, être raisonnable que d’être savant. Il y a là quatre propositions selon l’analyse grammaticale, deux affirmatives & deux négatives, du moins en françois.

1°. Il, illud, ceci, à savoir être juste, vaut mieux que l’avantage d’être riche ne vaut. Etre juste est le sujet de la premiere proposition, qui est affirmative ; être riche est le sujet de la seconde proposition, qui est négative en françois, parce qu’on sous-entend ne vaut ; être riche ne vaut pas tant.

2°. Il en est de même de la suivante, être raisonnable vaut mieux que d’être savant : être raisonnable est le sujet dont on dit vaut mieux, & cette premiere proposition est affirmative : dans la correlative être savant ne vaut pas tant, être savant est le sujet. Majus est certeque gratius prodesse hominibus, quam opes magnas habere. (Cicér. de nat. deor. l. II. c. xxv.) Prodesse hominibus, être utile aux hommes, voilà le sujet, c’est de quoi on affirme que c’est une chose plus grande, plus loüable, & plus satisfaisante, que de posseder de grands biens. Remarquez, 1°. que dans ces sortes de sujets il n’y a point de sujet personnel que l’on puisse séparer des autres mots. C’est le sens total, qui résulte des divers rapports que les mots ont entr’eux, qui est le sujet de la proposition ; le jugement ne tombe que sur l’ensemble, & non sur aucun mot particulier de la phrase. 2°. Observez que l’on n’a recours à plusieurs mots pour énoncer un sens total, que parce qu’on ne trouve pas dans la langue un nom substantif destiné à l’exprimer. Ainsi les mots qui énoncent ce sens total suppléent à un nom qui manque : par exemple, aimer à obliger & à faire du bien, est une qualité qui marque une grande ame ; aimer à obliger & à faire du bien, voilà le sujet de la proposition. M. l’abbé de S. Pierre a mis en usage le mot de bienfaisance, qui exprime le sens d’aimer à obliger & à faire du bien : ainsi au lieu de ces mots, nous pouvons dire la bienfaisance est une qualité, &c. Si nous n’avions pas le mot de nourrice, nous dirions une femme qui donne à teter à un enfant, & qui prend soin de la premiere enfance.

Autres sortes de propositions à distinguer pour bien faire la construction.

II. Proposition absolue ou complette : proposition relative ou partielle.

1°. Lorsqu’une proposition est telle, que l’esprit n’a besoin que des mots qui y sont énoncés pour en entendre le sens, nous disons que c’est là une proposition absolue ou complette.

2°. Quand le sens d’une proposition met l’esprit dans la situation d’exiger ou de supposer le sens d’une autre proposition, nous disons que ces propositions sont relatives, & que l’une est la correlative de l’autre. Alors ces propositions sont liées entr’elles par des conjonctions ou par des termes relatifs. Les rapports mutuels que ces propositions ont alors entre elles, forment un sens total que les Logiciens appellent proposition composée ; & ces propositions qui forment le tout, sont chacune des propositions partielles.

L’assemblage de différentes propositions liées entr’elles par des conjonctions ou par d’autres termes relatifs, est appellé période par les Rhéteurs. Il ne sera pas inutile d’en dire ici ce que le grammairien en doit savoir.

De la période. La période est un assemblage de propositions liées entr’elles par des conjonctions, & qui toutes ensemble font un sens fini : ce sens fini est aussi appellé sens complet. Le sens est fini lorsque l’esprit n’a pas besoin d’autres mots pour l’intelligence complette du sens, ensorte que toutes les parties de l’analyse de la pensée sont énoncées. Je suppose qu’un lecteur entende sa langue ; qu’il soit en état de démêler ce qui est sujet & ce qui est attribut dans une proposition, & qu’il connoisse les signes qui rendent les propositions correlatives. Les autres connoissances sont étrangeres à la Grammaire.

Il y a dans une période autant de propositions qu’il y a de verbes, sur-tout à quelque mode fini ; car tout verbe employé dans une période marque ou un jugement ou un regard de l’esprit qui applique un qualificatif à un sujet. Or tout jugement suppose un sujet, puisqu’on ne peut juger qu’on ne juge de quelqu’un ou de quelque chose. Ainsi le verbe m’indique nécessairement un sujet & un attribut : par conséquent il m’indique une proposition, puisque la proposition n’est qu’un assemblage de mots qui énoncent un jugement porté sur quelque sujet. Ou bien le verbe m’indique une énonciation, puisque le verbe marque l’action de l’esprit qui adapte ou applique un qualificatif à un sujet, de quelque maniere que cette application se fasse.

J’ai dit sur-tout à quelque mode fini ; car l’infinitif est souvent pris pour un nom, je veux lire : & lors même qu’il est verbe, il forme un sens partiel avec un nom, & ce sens est exprimé par une énonciation qui est ou le sujet d’une proposition logique, ou le terme de l’action d’un verbe, ce qui est très-ordinaire en latin. Voici des exemples de l’un & de l’autre ; & premierement d’une énonciation, qui est le sujet d’une proposition logique. Ovide fait dire au noyer, qu’il est bien fâcheux pour lui de porter des fruits, nocet esse feracem ; mot à mot, être fertile est nuisible à moi, où vous voyez que ces mots, être fertile, font un sens total qui est le sujet de est nuisible, nocet. Et de même, magna ars est, non apparere artem ; mot à mot, l’art ne point paroître est un grand art : c’est un grand art de cacher l’art, de travailler de façon qu’on ne reconnoisse pas la peine que l’ouvrier a eue ; il faut qu’il semble que les choses se soient faites ainsi naturellement. Dans un autre sens cacher l’art, c’est ne pas donner lieu de se défier de quelque artifice ; ainsi l’art ne point paroître, voilà le sujet dont on dit que c’est un grand art. Te duci ad mortem, Catilina, jam pridem oportebat. (Cic. primo Catil.) mot à mot, toi être mené à la mort, est ce qu’on auroit dû faire il y a long-tems. Toi être mené à la mort, voilà le sujet : & quelques lignes après Cicéron ajoûte, interfectum te esse Catilina convenit : toi être tué Catilina convient à la république : toi être tué, voilà le sujet ; convient à la république, c’est l’attribut. Hominem esse solum, non est bonum hominem esse solum ; voilà le sujet, non est bonum, c’est l’attribut.

2°. Ce sens formé par un nom avec un infinitif, est aussi fort souvent le terme de l’action d’un verbe : cupio me esse clementem : Cic. prim. Catil. sub initio. Cupio, je desire : & quoi ? me esse clementem, moi être indulgent : où vous voyez que me esse clementem fait un sens total qui est le terme de l’action de cupio. Cupio hoc nempe, me esse clementem. Il y a en latin un très-grand nombre d’exemples de ce sens total, formé par un nom avec un infinitif ; sens, qui étant équivalent à un nom, peut également être ou le sujet d’une proposition, ou le terme de l’action d’un verbe.

Ces sortes d’énonciations qui déterminent un verbe, & qui en font une application, comme quand on dit je veux être sage ; être sage, détermine je veux : ces sortes d’énonciations, dis-je, ou de déterminations ne se font pas seulement par des infinitifs, elles se font aussi quelquefois par des propositions même, comme quand on dit, je ne sai qui a fait cela ; & en latin nescio quis fecit, nescio uter, &c.

Il y a donc des propositions ou énonciations qui ne servent qu’à expliquer ou à déterminer un mot d’une proposition précédente : mais avant que de parler de ces sortes de propositions, & de quitter la période, il ne sera pas inutile de faire les observations suivantes.

Chaque phrase ou assemblage de mots qui forme un sens partiel dans une période, & qui a une certaine étendue, est appellée membre de la période, χῶλον. Si le sens est énoncé en peu de mots, on l’appelle incise, χόμμα, segmen, incisum. Si tous les sens particuliers qui composent la période sont ainsi énoncés en peu de mots ; c’est le style coupé : c’est ce que Cicéron appelle incisim dicere, parler par incise. C’est ainsi, comme nous l’avons déjà vû, que M. Fléchier a dit : Turenne est mort ; la victoire s’arrête ; la fortune chancelle : tout le camp demeure immobile : voilà quatre propositions qui ne sont regardées que comme des incises, parce qu’elles sont courtes ; le style périodique employe des phrases plus longues.

Ainsi une période peut être composée, ou seulement de membres, ce qui arrive lorsque chaque membre a une certaine étendue ; ou seulement d’incises, lorsque chaque sens particulier est énoncé en peu de mots ; ou enfin une période est composée de membres & d’incises.

III. Proposition explicative, proposition déterminative. La proposition explicative est différente de la déterminative, en ce que celle qui ne sert qu’à expliquer un mot, laisse le mot dans toute sa valeur sans aucune restriction ; elle ne sert qu’à faire remarquer quelque propriété, quelque qualité de l’objet : par exemple, l’homme, qui est un animal raisonnable, devroit s’attacher à regler ses passions ; qui est un animal raisonnable, c’est une proposition explicative qui ne restreint point l’étendue du mot d’homme. L’on pourroit dire également, l’homme devroit s’attacher à regler ses passions : cette proposition explicative fait seulement remarquer en l’homme une propriété, qui est une raison qui devroit le porter à regler ses passions.

Mais si je dis, l’homme qui m’est venu voir ce matin, ou l’homme que nous venons de rencontrer, ou dont vous m’avez parlé, est fort savant ; ces trois propositions sont déterminatives ; chacune d’elles restreint la signification d’homme à un seul individu de l’espece humaine ; & je ne puis pas dire simplement l’homme est fort savant, parce que l’homme seroit pris alors dans toute son étendue, c’est-à-dire qu’il seroit dit de tous les individus de l’espece humaine. Les hommes qui sont créés pour aimer Dieu, ne doivent point s’attacher aux bagatelles ; qui sont créés pour aimer Dieu, voilà une proposition explicative, qui ne restreint point l’étendue du mot d’hommes. Les hommes qui sont complaisans se font aimer ; qui sont complaisans, c’est une proposition déterminative, qui restreint l’étendue d’hommes à ceux qui sont complaisans ; ensorte que l’attribut se font aimer n’est pas dit de tous les hommes, mais seulement de ceux qui sont complaisans.

Ces énonciations ou propositions, qui ne sont qu’explicatives ou déterminatives, sont communément liées aux mots qu’elles expliquent ou à ceux qu’elles déterminent par qui, ou par que, ou par dont, duquel, &c.

Elles sont liées par qui, lorsque ce mot est le sujet de la proposition explicative ou déterminative ; celui qui craint le Seigneur, &c. les jeunes gens qui étudient, &c.

Elles sont liées par que ; ce qui arrive en deux manieres.

1°. Ce mot que est souvent le terme de l’action du verbe qui suit : par exemple, le livre que je lis ; que est le terme de l’action de lire. C’est ainsi que dont, duquel, desquels, à qui, auquel, auxquels, servent aussi à lier les propositions, selon les rapports que ces pronoms relatifs ont avec les mots qui suivent.

2°. Ce mot que est encore souvent le représentatif de la proposition déterminative qui va suivre un verbe : je dis que ; que est d’abord le terme de l’action je dis, dico quod ; la proposition qui le suit est l’explication de que ; je dis que les gens de bien sont estimés. Ainsi il y a des propositions qui servent à expliquer ou à déterminer quelque mot avec lequel elles entrent ensuite dans la composition d’une période.

IV. Proposition principale, proposition incidente. Un mot n’a de rapport grammatical avec un autre mot, que dans la même proposition : il est donc essentiel de rapporter chaque mot à la proposition particuliere dont il fait partie, sur-tout quand le rapport des mots se trouve interrompu par quelque proposition incidente, ou par quelqu’incise ou sens détaché.

La proposition incidente est celle qui se trouve entre le sujet personnel & l’attribut d’une autre proposition qu’on appelle proposition principale, parce que celle-ci contient ordinairement ce que l’on veut principalement faire entendre.

Ce mot incidente vient du latin incidere, tomber dans : par exemple, Alexandre, qui étoit roi de Macédoine, vainquit Darius ; Alexandre vainquit Darius, voilà la proposition principale ; Alexandre en est le sujet ; vainquit Darius, c’est l’attribut : mais entre Alexandre & vainquit il y a une autre proposition, qui étoit le roi de Macédoine ; comme elle tombe entre le sujet & l’attribut de la proposition principale, on l’appelle proposition incidente ; qui en est le sujet : ce qui rappelle l’idée d’Alexandre qui, c’est-à-dire lequel Alexandre ; étoit roi de Macédoine, c’est l’attribut. Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est tout-puissant : Deus est omnipotens, voilà la proposition principale ; quem adoramus, c’est la proposition incidente ; nos adoramus quem Deum, nous adorons lequel Dieu.

Ces propositions incidentes sont aussi des propositions explicatives ou des propositions déterminatives.

V. Proposition explicite, proposition implicite ou elliptique. Une proposition est explicite, lorsque le sujet & l’attribut y sont exprimés.

Elle est implicite, imparfaite, ou elliptique, lorsque le sujet ou le verbe ne sont pas exprimés, & que l’on se contente d’énoncer quelque mot qui par la liaison que les idées accessoires ont entr’elles, est destiné à réveiller dans l’esprit de celui qui lit le sens de toute la proposition.

Ces propositions elliptiques sont fort en usage dans les devises & dans les proverbes : en ces occasions les mots exprimés doivent réveiller aisément l’idée des autres mots que l’ellipse supprime.

Il faut observer que les mots énoncés doivent être présentés dans la forme qu’ils le seroient si la proposition étoit explicite ; ce qui est sensible en latin : par exemple, dans le proverbe dont nous avons parlé, ne sus Minervam ; Minervam n’est à l’accusatif, que parce qu’il y seroit dans la proposition explicite, à laquelle ces mots doivent être rapportés ; sus non doceat Minervan, qu’un ignorant ne se mêle point de vouloir instruire Minerve. Et de même ces trois mots Deo optimo maximo, qu’on ne désigne souvent que par les lettres initiales D. O. M. font une proposition implicite dont la construction pleine est, hoc monumentum, ou thesis hæc, dicatur, vovetur, consecratur Deo optimo maximo.

Sur le rideau de la comédie Italienne on lit ces mots tirés de l’art poétique d’Horace, sublato jure nocendi, le droit de nuire ôté. Les circonstances du lieu doivent faire entendre au lecteur intelligent, que celui qui a donné cette inscription a eu dessein de faire dire aux comédiens, ridemus vitia, sublato jure nocendi, nous rions ici des défauts d’autrui, sans nous permettre de blesser personne.

La devise est une représentation allégorique, dont on se sert pour faire entendre une pensée par une comparaison. La devise doit avoir un corps & une ame. Le corps de la devise, c’est l’image ou représentation ; l’ame de la devise, sont les paroles qui doivent s’entendre d’abord littéralement de l’image ou corps symbolique ; & en même tems le concours du corps & de l’ame de la devise doit porter l’esprit à l’application que l’on veut faire, c’est-à-dire à l’objet de la comparaison.

L’ame de la devise est ordinairement une proposition elliptique. Je me contenterai de seul exemple : on a représenté le soleil au milieu d’un cartouche, & autour du soleil on a peint d’abord les planetes ; ce qu’on a négligé de faire dans la suite : l’ame de cette devise est nec pluribus impar ; mot à mot, il n’est pas insuffisant pour plusieurs. Le roi Louis XIV. fut l’objet de cette allégorie : le dessein de l’auteur fut de faire entendre que comme le soleil peut fournir assez de lumiere pour éclairer ces différentes planetes, & qu’il a assez de force pour surmonter tous les obstacles, & produire dans la nature les différens effets que nous voyons tous les jours qu’il produit ; ainsi le Roi est doüé de qualités si éminentes, qu’il seroit capable de gouverner plusieurs royaumes ; il a d’ailleurs tant de ressources & tant de forces, qu’il peut résister à ce grand nombre d’ennemis ligués contre lui & les vaincre : de sorte que la construction pleine est, sicut sol non est impar pluribus orbibus illuminandis, ita Ludovicus decimus quartus non est impar pluribus regnis regendis, nec pluribus hostibus profligandis. Ce qui fait bien voir que lorsqu’il s’agit de construction, il faut toûjours réduire toutes les phrases & toutes les propositions à la construction pleine.

VI. Proposition considérée grammaticalement, proposition considérée logiquement. On peut considérer une proposition ou grammaticalement ou logiquement : quand on considere une proposition grammaticalement, on n’a égard qu’aux rapports réciproques qui sont entre les mots ; au lieu que dans la proposition logique, on n’a égard qu’au sens total qui résulte de l’assemblage des mots : ensorte que l’on pourroit dire que la proposition considérée grammaticalement est la proposition de l’élocution ; au lieu que la proposition considérée logiquement est celle de l’entendement, qui n’a égard qu’aux différentes parties, je veux dire aux différens points de vûe de sa pensée : il en considere une partie comme sujet, l’autre comme attribut, sans avoir égard aux mots ; ou bien il en regarde une comme cause, l’autre comme effet ; ainsi des autres manieres qui sont l’objet de la pensée : c’est ce qui va être éclairci par des exemples.

Celui qui me suit, dit Jesus-Christ, ne marche point dans les ténebres : considérons d’abord cette phrase ou cet assemblage de mots grammaticalement, c’est-à-dire selon les rapports que les mots ont entr’eux ; rapports d’où résulte le sens : je trouve que cette phrase, au lieu d’une seule proposition, en contient trois.

1°. Celui est le sujet de ne marche point dans les tenebres ; & voilà une proposition principale ; celui étant le sujet, est ce que les Grammairiens appellent le nominatif du verbe.

Ne marche point dans les ténebres, c’est l’atribut ; marche est le verbe qui est au singulier, & à la troisieme personne, parce que le sujet est au singulier, & est un nom de la troisieme personne, puisqu’il ne marque ni la personne qui parle, ni celle à qui l’on parle ; ne point est la négation, qui nie du sujet l’action de marcher dans les ténebres.

Dans les ténebres, est une modification de l’action de celui qui marche, il marche dans les ténebres ; dans est une préposition qui ne marque d’abord qu’une modification ou maniere incomplete ; c’est-à-dire que dans étant une préposition, n’indique d’abord qu’une espece, une sorte de modification, qui doit être ensuite singularisée, appliquée, déterminée par un autre mot, qu’on appelle par cette raison le complément de la préposition : ainsi les ténebres est le complément de dans ; & alors ces mots, dans les ténebres, forment un sens particulier qui modifie marche, c’est-à-dire qui énonce une maniere particuliere de marcher.

2°. Qui me suit, ces trois mots font une proposition incidente qui détermine celui, & le restreint à ne signifier que le disciple de Jesus-Christ, c’est-à-dire celui qui regle sa conduite & ses mœurs sur les maximes de l’Evangile : ces propositions incidentes énoncées par qui, sont équivalentes à un adjectif.

Qui est le sujet de cette proposition incidente ; me suit est l’attribut ; suit est le verbe ; me est le déterminant ou terme de l’action de suit : car selon l’ordre de la pensée & des rapports, me est après suit ; mais selon l’élocution ordinaire ou construction usuelle, ces sortes de pronoms précedent le verbe. Notre langue a conservé beaucoup plus d’inversions latines qu’on ne pense.

3°. Dit Jesus-Christ, c’est une troisieme proposition qui fait une incise ou sens détaché ; c’est un adjoint : en ces occasions la construction usuelle met le sujet de la proposition après le verbe : Jesus-Christ est le sujet, & dit est l’attribut.

Considérons maintenant cette proposition à la maniere des Logiciens : commençons d’abord à en séparer l’incise dit Jesus-Christ ; il ne nous restera plus qu’une seule proposition, celui qui me suit : ces mots ne forment qu’un sens total ; qui est le sujet de la proposition logique, sujet complexe ou composé ; car on ne juge de celui, qu’entant qu’il est celui qui me suit : voilà le sujet logique ou de l’entendement. C’est de ce sujet que l’on pense & que l’on dit qu’il ne marche point dans les ténebres.

Il en est de même de cette autre proposition : Alexandre, qui étoit roi de Macédoine, vainquit Darius. Examinons d’abord cette phrase grammaticalement. J’y trouve deux propositions : Alexandre vainquit Darius, voilà une proposition principale ; Alexandre en est le sujet ; vainquit Darius, c’est l’attribut. Qui étoit roi de Macédoine, c’est une proposition incidente ; qui en est le sujet, & étoit roi de Macédoine, l’attribut. Mais logiquement ces mots, Alexandre qui étoit roi de Macédoine, forment un sens total équivalent à Alexandre roi de Macédoine : ce sens total est le sujet complexe de la proposition ; vainquit Darius, c’est l’attribut.

Je crois qu’un Grammairien ne peut pas se dispenser de connoître ces différentes sortes de propositions, s’il veut faire la construction d’une maniere raisonnable.

Les divers noms que l’on donne aux différentes propositions, & souvent à la même, sont tirés des divers points de vûe sous lesquels on les considere : nous allons rassembler ici celles dont nous venons de parler, & que nous croyons qu’un Grammairien doit connoître.

Table des divers noms que l’on donne aux propositions, aux sujets, & aux attributs.
I.
Division
Proposition directe énoncée par le mode indicatif.
Elle marque un jugement.


Proposition oblique exprimée par quelqu’autre mode du verbe.
Elle marque non un jugement, mais quelque considération particuliere de l’esprit. On l’appelle énonciation
Les propositions
et les
énonciations
sont
composées
d’un sujet
et d’un
attribut.
Le sujet
est, ou
1. Simple tant au pluriel qu’au singulier.
2. Multiple, lorsqu’on applique le même attribut à différens individus.
3. Complexe.
4. Enoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.
L’attribut
est, ou
Simple.
Composé, c’est-à-dire, énoncé par plusieurs mots.
II.
Division
Proposition absolue ou complette,
Proposition relative ou partielle.
On les appelle aussi correlatives.
L’ensemble des propositions correlatives ou partielles forme la période. La période est composée, ou De membres seulement.
D’incises seulement.
De membres & d’incises.


III.
Division.
Proposition explicative. V.
Division.
Proposition explicite.
Proposition déterminative. Proposition implicite ou elliptique.
IV.
Division.
Proposition principale. VI.
Division.
Proposition considérée grammaticalement.
Proposition incidente. Proposition considérée logiquement.



Il faut observer que les Logiciens donnent le nom de proposition composée à tout sens total qui résulté du rapport que deux propositions grammaticales ont entr’elles ; rapports qui sont marqués par la valeur des différentes conjonctions qui unissent les propositions grammaticales.

Ces propositions composées ont divers noms selon la valeur de la conjonction ou de l’adverbe conjonctif, ou du relatif qui unit les simples propositions partielles, & en fait un tout. Par exemple, ou, aut, vel, est une conjonction disjonctive ou de division. On rassemble d’abord deux objets pour donner ensuite l’alternative de l’un ou celle de l’autre. Ainsi après avoir d’abord rassemblé dans mon esprit l’idée du soleil & celle de la terre, je dis que c’est ou le soleil qui tourne, ou que c’est la terre : voilà deux propositions grammaticales relatives dont les Logiciens ne font qu’une proposition composée, qu’ils appellent proposition disjonctive.

Telles sont encore les propositions conditionnelles qui résultent du rapport de deux propositions par la conjonction conditionnelle si ou pourvû que : si vous étudiez bien, vous deviendrez savant ; voilà une proposition composée qu’on appelle conditionnelle. Ces propositions sont composées de deux propositions particulieres, dont l’une exprime une condition d’où dépend un effet que l’autre énonce. Celle où est la condition s’appelle l’antécédent, si vous étudiez bien ; celle qui énonce l’effet qui suivra la condition, est appellée le conséquent, vous deviendrez savant.

Il est estimé parce qu’il est savant & vertueux. Voilà une proposition composée que les Logiciens appellent causale, du mot parce que qui sert à exprimer la cause de l’effet que la premiere proposition énonce. Il est estimé, voilà l’effet ; & pourquoi ? parce qu’il est savant & vettueux, voilà la cause de l’estime.

La fortune peut bien ôter les richesses, mais elle ne peut pas ôter la vertu : voilà une proposition composée qu’on appelle adversative ou discrétive, du latin discretivus (Donat), qui sert à séparer, à distinguer, parce qu’elle est composée de deux propositions dont la seconde marque une distinction, une séparation, une sorte de contrariété & d’opposition, par rapport à la premiere ; & cette séparation est marquée par la conjonction adversative mais.

Il est facile de démêler ainsi les autres sortes de propositions composées ; il suffit pour cela de connoître la valeur des conjonctions qui lient les propositions particulieres, & qui par cette liaison forment un tout qu’on appelle proposition composée. On fait ensuite aisément la construction détaillée de chacune des propositions particulieres, qu’on appelle aussi partielles ou correlatives.

Je ne parle point ici des autres sortes de propositions, comme des propositions universelles, des particulieres, des singulieres, des indéfinies, des affirmatives, des négatives, des contradictoires, &c. Quoique ces connoissances soient très-utiles, j’ai crû ne devoir parler ici de la proposition, qu’autant qu’il est nécessaire de la connoître pour avoir des principes sûrs de construction.

Deux rapports généraux entre les mots dans la construction : I. rapport d’identité : II. rapport de détermination. Tous les rapports particuliers de construction se réduisent à deux sortes de rapports généraux.

I. Rapport d’identité. C’est le fondement de l’accord de l’adjectif avec son substantif, car l’adjectif ne fait qu’énoncer ou déclarer ce que l’on dit qu’est le substantif ; ensorte que l’adjectif c’est le substantif analysé, c’est-à-dire considéré comme étant de telle ou telle façon, comme ayant telle ou telle qualité : ainsi l’adjectif ne doit pas marquer, par rapport au genre, au nombre, & au cas, des vûes qui soient différentes de celles sous lesquelles l’esprit considere le substantif.

Il en est de même entre le verbe & le sujet de la proposition, parce le verbe énonce que l’esprit considere le sujet comme étant, ayant, ou faisant quelque chose : ainsi le verbe doit indiquer le même nombre & la même personne que le sujet indique ; & il y a des langues, tel est l’hébreu, où le verbe indique même le genre. Voilà ce que j’appelle rapport ou raison d’identité, du latin idem.

II. La seconde sorte de rapport qui regle la construction des mots, c’est le rapport de détermination.

Le service des mots dans le discours, ne consiste qu’en deux points :

1o. A énoncer une idée ; lumen, lumiere ; sol, soleil.

2o. A faire connoître le rapport qu’une idée a avec une autre idée ; ce qui se fait par les signes établis en chaque langue, pour étendre ou restreindre les idées & en faire des applications particulieres.

L’esprit conçoit une pensée tout d’un coup, par la simple intelligence, comme nous l’avons déjà remarqué ; mais quand il s’agit d’énoncer une pensée, nous sommes obligés de la diviser, de la présenter en détail par les mots, & de nous servir des signes établis, pour en marquer les divers rapports. Si je veux parler de la lumiere du soleil, je dirai en latin, lumen solis, & en françois de le soleil, & par contraction, du soleil, selon la construction usuelle : ainsi en latin, la terminaison de solis détermine lumen à ne signifier alors que la lumiere du soleil. Cette détermination se marque en françois par la préposition de, dont les Latins ont souvent fait le même usage, comme nous l’avons fait voir en parlant de l’article, templum de marmore, un temple de marbre. Virg. &c.

La détermination qui se fait en latin par la terminaison de l’accusatif, diliges Dominum Deum tuum, ou Dominum Deum tuum diliges ; cette détermination, dis-je, se marque en françois par la place ou position du mot, qui selon la construction ordinaire se met après le verbe, tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Les autres déterminations ne se font aujourd’hui en françois que par le secours des prépositions. Je dis aujourd’hui, parce qu’autrefois un nom substantif placé immédiatement après un autre nom substantif, le déterminoit de la même maniere qu’en latin ; un nom qui a la terminaison du génitif, détermine le nom auquel il se rapporte, lumen solis, liber Petri, al tens Innocent III. (Villehardouin.) au tems d’Innocent III. l’Incarnation notre Seigneur (Idem), pour l’Incarnation de notre Seigneur ; le service Deu (Id.), pour le service de Dieu ; le frere l’empereor (Baudoin, id. p. 163.), pour le frere de l’empereur : & c’est de là que l’on dit encore l’hôtel-Dieu, &c. Voyez la préface des antiquités gauloises de Borel. Ainsi nos peres ont d’abord imité l’une & l’autre maniere des Latins : premierement, en se servant en ces occasions de la préposition de ; templum de marmore, un temple de marbre : secondement, en plaçant le substantif modifiant immédiatement après le modifié ; frater imperatoris, le frere l’empereor ; domus Dei, l’hôtel-Dieu. Mais alors le latin désignoit par une terminaison particuliere l’effet du nom modifiant ; avantage qui ne se trouvoit point dans les noms françois, dont la terminaison ne varie point. On a enfin donné la préférence à la premiere maniere qui marque cette sorte de détermination par le secours de la préposition de : la gloire de Dieu.

La syntaxe d’une langue ne consiste que dans les signes de ces différentes déterminations. Quand on connoît bien l’usage & la destination de ces signes, on sait la syntaxe de la langue : j’entens la syntaxe nécessaire, car la syntaxe usuelle & élégante demande encore d’autres observations ; mais ces observations supposent toûjours celles de la syntaxe nécessaire, & ne regardent que la netteté, la vivacité, & les graces de l’élocution ; ce qui n’est pas maintenant de notre sujet.

Un mot doit être suivi d’un ou de plusieurs autres mots déterminans, toutes les fois que par lui-même il ne fait qu’une partie de l’analyse d’un sens particulier ; l’esprit se trouve alors dans la nécessité d’attendre & de demander le mot déterminant, pour avoir tout le sens particulier que le premier mot ne lui annonce qu’en partie. C’est ce qui arrive à toutes les prépositions, & à tous les verbes actifs transitifs : il est allé à ; à n’énonce pas tout le sens particulier : & je demande où ? on répond, à la chasse, à Versailles, selon le sens particulier qu’on a à désigner. Alors le mot qui acheve le sens, dont la préposition n’a énoncé qu’une partie, est le complément de la préposition ; c’est-à-dire que la préposition & le mot qui la détermine, font ensemble un sens partiel, qui est ensuite adapté aux autres mots de la phrase ; ensorte que la préposition est, pour ainsi dire, un mot d’espece ou de sorte, qui doit ensuite être déterminé individuellement : par exemple, cela est dans ; dans marque une sorte de maniere d’être par rapport au lieu : & si j’ajoûte dans la maison, je détermine, j’individualise, pour ainsi dire, cette maniere spécifique d’être dans.

Il en est de même des verbes actifs : quelqu’un me dit que le Roi a donné ; ces mots a donné ne font qu’une partie du sens particulier, l’esprit n’est pas satisfait, il n’est qu’ému, on attend, ou l’on demande, 1o ce que le Roi a donné, 2o à qui il a donné. On répond, par exemple, à la premiere question, que le Roi a donné un régiment : voilà l’esprit satisfait par rapport à la chose donnée ; régiment est donc à cet égard le déterminant de a donné, il détermine a donné. On demande ensuite, à qui le Roi a-t-il donné ce régiment ? on répond à monsieur N. ainsi la préposition à, suivie du nom qui la détermine, fait un sens partiel qui est le déterminant de a donné par rapport à la personne, à qui. Ces deux sortes de relations sont encore plus sensibles en latin où elles sont marquées par des terminaisons particulieres. Reddite (illa) quæ sunt Cæsaris, Cæsari : & (illa) quæ sunt Dei, Deo.

Voilà deux sortes de déterminations aussi nécessaires & aussi directes l’une que l’autre, chacune dans son espece. On peut, à la vérité, ajoûter d’autres circonstances à l’action, comme le tems, le motif, la maniere. Les mots qui marquent ces circonstances ne sont que des adjoints, que les mots précedens n’exigent pas nécessairement. Il faut donc bien distinguer les déterminations nécessaires d’avec celles qui n’influent en rien à l’essence de la proposition grammaticale, ensorte que sans ces adjoints on perdroit à la vérité quelques circonstances de sens ; mais la proposition n’en seroit pas moins telle proposition.

A l’occasion du rapport de détermination, il ne sera pas inutile d’observer qu’un nom substantif ne peut déterminer que trois sortes de mots : 1° un autre nom, 2° un verbe, 3° ou enfin une préposition. Voilà les seules parties du discours qui ayent besoin d’être déterminées ; car l’adverbe ajoûte quelque circonstance de tems, de lieu, ou de maniere ; ainsi il détermine lui-même l’action ou ce qu’on dit du sujet, & n’a pas besoin d’être déterminé. Les conjonctions lient les propositions ; & à l’égard de l’adjectif, il se construit avec son substantif par le rapport d’identité.

1°. Lorsqu’un nom substantif détermine un autre nom substantif, le substantif déterminant se met au génitif en latin lumen, solis ; & en françois ce rapport se marque par la préposition de : surquoi il faut remarquer que lorsque le nom déterminant est un individu de l’espece qu’il détermine, on peut considérer le nom d’espece comme un adjectif, & alors on met les deux noms au même cas par rapport d’identité : urbs Roma, Roma quæ est urbs ; c’est ce que les Grammairiens appellent apposition. C’est ainsi que nous disons le mont Parnasse, le fleuve Don, le cheval Pegase, &c. Mais en dépit des Grammairiens modernes, les meilleurs auteurs Latins ont aussi mis au génitif le nom de l’individu, par rapport de détermination. In oppido Antiochiæ (Cic.) ; & (Virg.) celsam Butroti ascendimus urbem (Æn. l. III.v. 293.) ; exemple remarquable, car urbem Butroti est à la question quo. Aussi les commentateurs qui préférent la regle de nos Grammairiens à Virgile, n’ont pas manqué de mettre dans leurs notes, ascendimus in urbem Butrotum. Pour nous qui préférons l’autorité incontestable & soutenue des auteurs Latins, aux remarques frivoles de nos Grammairiens, nous croyons que quand on dit maneo Lutetiæ, il faut sousentendre in urbe.

2°. Quand un nom détermine un verbe, il faut suivre l’usage établi dans une langue pour marquer cette détermination. Un verbe doit être suivi d’autant de noms déterminans, qu’il y a de sortes d’émotions que le verbe excite nécessairement dans l’esprit. J’ai donné : quoi ? & à qui ?

3°. A l’égard de la préposition, nous venons d’en parler. Nous observerons seulement ici qu’une préposition ne détermine qu’un nom substantif, ou un mot pris substantivement ; & que quand on trouve une préposition suivie d’une autre, comme quand on dit pour du pain, par des hommes, &c. alors il y a ellipse pour quelque partie du pain, par quelques uns des hommes.

Autres remarques pour bien faire la construction. I. Quand on veut faire la construction d’une période, on doit d’abord la lire entierement ; & s’il y a quelque mot de sousentendu, le sens doit aider à le suppléer. Ainsi l’exemple trivial des rudimens, Deus quem adoramus, est défectueux. On ne voit pas pourquoi Deus est au nominatif ; il faut dire Deus quem adoramus est omnipotens : Deus est omnipotens, voilà une proposition ; quem adoramus en est une autre.

II. Dans les propositions absolues ou complettes, il faut toûjours commencer par le sujet de la proposition ; & ce sujet est toûjours ou un individu, soit réel, soit métaphysique, ou bien un sens total exprimé par plusieurs mots.

III. Mais lorsque les propositions sont relatives, & qu’elles forment des périodes, on commence par les conjonctions ou par les adverbes conjonctifs qui les rendent relatives ; par exemple, si, quand, lorsque, pendant que, &c. on met à part la conjonction ou l’adverbe conjonctif, & l’on examine ensuite chaque proposition séparément ; car il faut bien observer qu’un mot n’a aucun accident grammatical, qu’à cause de son service dans la seule proposition où il est employé.

IV. Divisez d’abord la proposition en sujet & en attribut le plus simplement qu’il sera possible ; après quoi ajoûtez au sujet personnel, ou réel, ou abstrait, chaque mot qui y a rapport, soit par la raison de l’identité, ou par la raison de la détermination ; ensuite passez à l’attribut en commençant par le verbe, & ajoûtant chaque mot qui y a rapport selon l’ordre le plus simple, & selon les déterminations que les mots se donnent successivement.

S’il y a quelque adjoint ou incise qui ajoûte à la proposition quelque circonstance de tems, de maniere, ou quelqu’autre ; après avoir fait la construction de cet incise, & après avoir connu la raison de la modification qu’il a, placez-le au commencement ou à la fin de la proposition ou de la période, selon que cela vous paroîtra plus simple & plus naturel.

Par exemple, imperante Cæsare Augusto, unigenitus Dei filius Christus, in civitate David, quæ vocatur Bethleem, natus est. Je cherche d’abord le sujet personnel, & je trouve Christus ; je passe à l’attribut, & je vois est natus : je dis d’abord Christus est natus. Ensuite je connois par la terminaison, que filius unigenitus se rapporte à Christus par rapport d’identité ; & je vois que Dei étant au génitif, se rapporte à filius par rapport de détermination : ce mot Dei détermine filius à signifier ici le fils unique de Dieu ; ainsi j’écris le sujet total, Chistus unigenitus filius Dei.

Est natus, voilà l’attribut nécessaire. Natus est au nominatif, par rapport d’identité avec Christus ; car le verbe est marque simplement que le sujet est, & le mot natus dit ce qu’il est né ; est natus, est né, est celui qui naquit ; est natus, comme nous disons il est venu, il est allé. L’indication du tems passé est dans le participe venu, allé, natus, &c.

In civitate David, voilà un adjoint qui marque la circonstance du lieu de la naissance. In, préposition de lieu déterminée par civitate David. David, nom propre qui détermine civitate. David, ce mot se trouve quelquefois décliné à la maniere des Latins, David, Davidis ; mais ici il est employé comme nom hébreu, qui passant dans la langue latine sans en prendre les inflexions, est considéré comme indéclinable.

Cette cité de David est déterminée plus singulierement par la proposition incidente, quæ vocatur Bethleem.

Il y a de plus ici un autre adjoint qui énonce une circonstance de tems, imperante Cæsare Augusto. On place ces sortes d’adjoints ou au commencement ou à la fin de la proposition, selon que l’on sent la maniere de les placer apporte ou plus de grace ou plus de clarté.

Je ne voudrois pas que l’on fâtigât les jeunes gens qui commencent, en les obligeant de faire ainsi eux-mêmes la construction, ni d’en rendre raison de la maniere que nous venons de le faire ; leur cerveau n’a pas encore assez de consistance pour ces opérations refléchies. Je voudrois seulement qu’on ne les occupât d’abord qu’à expliquer un texte suivi, construit selon ces idées ; ils commenceront ainsi à les saisir par sentiment : & lorsqu’ils seront en état de concevoir les raisons de la construction, on ne leur en apprendra point d’autres que celles dont la nature & leurs propres lumieres leur feront sentir la vérité. Rien de plus facile que de les leur faire entendre peu-à-peu sur un latin où elles sont observées, & qu’on leur a fait expliquer plusieurs fois. Il en résulte deux grands avantages ; 1°. moins de dégoût & moins de peine ; 2°. leur raison se forme, leur esprit ne se gâte point, & ne s’accoûtume pas à prendre le faux pour le vrai, les ténebres pour la lumiere, ni à admettre des mots pour des choses. Quand on connoît bien les fondemens de la construction, on prend le goût de l’élégance par de fréquentes lectures des auteurs qui ont le plus de réputation.

Les principes métaphysiques de la construction sont les mêmes dans toutes les langues. Je vais en faire l’application sur une ydile de madame Deshoulieres.

Construction grammaticale & raisonnée de l’ydile de madame Deshoulieres, Les moutons.

Hélas petits moutons, que vous êtes heureux !

Vous êtes heureux, c’est la proposition.

Hélas petits moutons, ce sont des adjoints à la proposition, c’est-à-dire que ce sont des mots qui n’entrent grammaticalement ni dans le sujet, ni dans l’attribut de la proposition.

Hélas est une interjection qui marque un sentiment de compassion : ce sentiment a ici pour objet la personne même qui parle ; elle se croit dans un état plus malheureux que la condition des moutons.

Petits moutons, ces deux mots sont une suite de l’exclamation ; ils marquent que c’est aux moutons que l’auteur adresse la parole ; il leur parle comme à des personnes raisonnables.

Moutons, c’est le substantif, c’est-à-dire le suppôt ; l’être existant, c’est le mot qui explique vous.

Petits, c’est l’adjectif ou qualificatif : c’est le mot qui marque que l’on regarde le substantif avec la qualification que ce mot exprime ; c’est le substantif même considéré sous un tel point de vûe.

Petit, n’est pas ici un adjectif qui marque directement le volume & la petitesse des moutons ; c’est plûtôt un terme d’affection & de tendresse. La nature nous inspire ce sentiment pour les enfans & pour les petits des animaux, qui ont plus de besoin de notre secours que les grands.

Petits moutons ; selon l’ordre de l’analyse énonciative de la pensée, il faudroit dire moutons petits, car petits suppose moutons : on ne met petits au pluriel & au masculin, que parce que moutons est au pluriel & au masculin. L’adjectif suit le nombre & le genre de son substantif, parce que l’adjectif n’est que le substantif même considéré avec telle ou telle qualification ; mais parce que ces différentes considérations de l’esprit se font intérieurement dans le même instant, & qu’elles ne sont divisées que par la nécessité de l’énonciation, la construction usuelle place au gré de l’usage certains adjectifs avant, & d’autres après leurs substantifs.

Que vous êtes heureux ! que est pris adverbialement, & vient du latin quantum, ad quantum, à quel point, combien : ainsi que modifie le verbe ; il marque une maniere d’être, & vaut autant que l’adverbe combien.

Vous, est le sujet de la proposition, c’est de vous que l’on juge. Vous, est le pronom de la seconde personne : il est ici au pluriel.

Etes heureux, c’est l’attribut ; c’est ce qu’on juge de vous.

Etes, est le verbe qui outre la valeur ou signification particuliere de marquer l’existence, fait connoître l’action de l’esprit qui attribue cette existence heureuse à vous ; & c’est par cette propriété que ce mot est verbe : on affirme que vous existez heureux.

Les autres mots ne sont que des dénominations ; mais le verbe, outre la valeur ou signification particuliere du qualificatif qu’il renferme, marque encore l’action de l’esprit qui attribue ou applique cette valeur à un sujet.

Etes : la terminaison de ce verbe marque encore le nombre, la personne, & le tems présent.

Heureux est le qualificatif, que l’esprit considere comme uni & identifié à vous, à votre existence ; c’est ce que nous appellons le rapport d’identité.

Vous paissez dans nos champs sans souci, sans allarmes.

Voici une autre proposition.

Vous en est encore le sujet simple : c’est un pronom substantif ; car c’est le nom de la seconde personne, en tant qu’elle est la personne à qui l’on adresse la parole ; comme roi, pape, sont des noms de personnes en tant qu’elles possedent ces dignités. Ensuite les circonstances font connoître de quel roi ou de quel pape on entend parler. De même ici les circonstances, les adjoints font connoître que ce vous, ce sont les moutons. C’est se faire une fausse idée des pronoms que de les prendre pour de simples vicegérens, & les regarder comme des mots mis à la place des vrais noms : si cela étoit, quand les Latins disent Cerès pour le pain, ou Bacchus pour le vin, Cerès & Bacchus seroient des pronoms.

Paissez est le verbe dans un sens neutre, c’est-à-dire que ce verbe marque ici un état de sujet ; il exprime en même tems l’action & le terme de l’action : car vous paissez est autant que vous mangez l’herbe. Si le terme de l’action étoit exprimé séparément, & qu’on dît vous paissez l’herbe naissante, le verbe seroit actif transitif.

Dans nos champs, voilà une circonstance de l’action.

Dans est une préposition qui marque une vûe de l’esprit par rapport au lieu : mais dans ne détermine pas le lieu ; c’est un de ces mots incomplets dont nous avons parlé, qui ne font qu’une partie d’un sens particulier, & qui ont besoin d’un autre mot pour former ce sens : ainsi dans est la préposition, & nos champs en est le complément. Alors ces mots dans nos champs font un sens particulier qui entre dans la composition de la proposition. Ces sortes de sens sont souvent exprimés en un seul mot, qu’on appelle adverbe.

Sans souci, voilà encore une préposition avec son complément ; c’est un sens particulier qui fait un incise. Incise vient du latin incisum, qui signifie coupé : c’est un sens détaché qui ajoûte une circonstance de plus à la proposition. Si ce sens étoit supprimé, la proposition auroit une circonstance de moins ; mais elle n’en seroit pas moins proposition.

Sans allarmes est un autre incise.

Aussitôt aimés qu’amoureux,
On ne vous force point à répandre des larmes.

Voici une nouvelle période ; elle a deux membres.

Aussitôt aimés qu’amoureux, c’est le premier membre, c’est-à-dire le premier sens partiel qui entre dans la composition de la période. Il y a ici ellipse, c’est-à-dire que pour faire la construction pleine, il faut suppléer des mots que la construction usuelle supprime, mais dont le sens est dans l’esprit.

Aussitôt aimés qu’amoureux, c’est-à-dire comme vous êtes aimés aussitôt que vous êtes amoureux.

Comme est ici un adverbe relatif qui sert au raisonnement, & qui doit avoir un correlatif comme, c’est-à-dire, & parce que vous êtes, &c.

Vous est le sujet, êtes aimés aussitôt est l’attribut : aussitôt est un adverbe relatif de tems, dans le même tems.

Que, autre adverbe de tems ; c’est le correlatif d’aussitôt. Que appartient à la proposition suivante, que vous êtes amoureux : ce que vient du latin in quo, dans lequel, cùm.

Vous êtes amoureux, c’est la proposition correlative de la précédente.

On ne vous force point à répandre des larmes : cette proposition est la correlative du sens total des deux propositions précédentes.

On est le sujet de la proposition. On vient de homo. Nos peres disoient hom, nou y a hom sus la terre. Voyez Borel au mot hom. On se prend dans un sens indéfini, indéterminé ; une personne quelconque, un individu de votre espece.

Ne vous force point à répandre des larmes. Voilà tout l’attribut : c’est l’attribut total ; c’est ce qu’on juge de on.

Force est le verbe qui est dit de on ; c’est pour cela qu’il est au singulier & à la troisieme personne.

Ne point, ces deux mots font une négation : ainsi la proposition est négative. Voyez ce que nous avons dit de point, en parlant de l’article vers la fin.

Vous : ce mot, selon la construction usuelle, est ici avant le verbe ; mais, selon l’ordre de la construction des vûes de l’esprit, vous est après le verbe, puisqu’il est le terme ou l’objet de l’action de forcer.

Cette transposition du pronom n’est pas en usage dans toutes les langues. Les Anglois disent, I dress my self ; mot à mot, j’habille moi-même : nous disons je m’habille, selon la construction usuelle ; ce qui est une véritable inversion, que l’habitude nous fait préférer à la construction réguliere. On lit trois fois au dernier chapitre de l’évangile de S. Jean, Simon diligis me ? Simon amas me ? Pierre aimez-vous moi ? nous disons Pierre m’aimez-vous ?

La plûpart des étrangers qui viennent du Nord disent j’aime vous, j’aime lui, au lieu de dire je vous aime, je l’aime, selon notre construction usuelle.

A répandre des larmes : répandre des larmes, ces trois mots font un sens total, qui est le complément de la préposition à. Cette préposition met ce sens total en rapport avec force, forcer, à cogere ad. Virgile a dit, cogitur ire in lacrymas (Æn. l. IV.v.413.), & vocatit ad lacrymas Æn. l. XI. v. 96.

Répandre des larmes : des larmes n’est pas ici le complément immédiat de répandre ; des larmes est ici dans un sens partitif ; il y a ici ellipse d’un substantif générique : répandre une certaine quantité de les larmes ; ou, comme disent les Poëtes Latins, imbrem lacrymarum, une pluie de larmes.

Vous ne formez jamais d’inutiles desirs.

Vous, sujet de la proposition ; les autres mots sont l’attribut.

Formez, est le verbe à la seconde personne du présent de l’indicatif.

Ne, est la négation qui rend la proposition négative. Jamais, est un adverbe de tems. Jamais, en aucun tems. Ce mot vient de deux mots latins, jam, & magis.

D’inutiles desirs, c’est encore un sens partitif ; vous ne formez jamais certains desirs, quelques desirs qui soient du nombre des desirs inutiles. D’inutiles desirs : quand le substantif & l’adjectif sont ainsi le déterminant d’un verbe ou le complément d’une préposition dans un sens affirmatif, si l’adjectif précede le substantif, il tient lieu d’article, & marque la sorte ou espece, vous formez d’inutiles desirs ; on qualifie d’inutiles les desirs que vous formez. Si au contraire le substantif précede l’adjectif, on lui rend l’article ; c’est le sens individuel : vous formez des desirs inutiles ; on veut dire que les desirs particuliers ou singuliers que vous formez, sont du nombre de les desirs inutiles. Mais dans le sens négatif on diroit, vous ne formez jamais, pas, point, de desirs inutiles : c’est alors le sens spécifique ; il ne s’agit point de déterminer tels ou tels desirs singuliers ; on ne fait que marquer l’espece ou sorte de desirs que vous formez. Dans vos tranquilles cœurs l’amour suit la nature. La construction est, l’amour suit la nature dans vos cœurs tranquilles. L’amour est le sujet de la proposition, & par cette raison il précede le verbe ; la nature est le terme de l’action de suit, & par cette raison ce mot est après le verbe. Cette position est dans toutes les langues, selon l’ordre de l’énonciation & de l’analyse des pensées : mais lorsque cet ordre est interrompu par des transpositions, dans les langues qui ont des cas, il est indiqué par une terminaison particuliere qu’on appelle accusatif ; ensorte qu’après que toute la phrase est finie, l’esprit remet le mot à sa place.

Sans ressentir ses maux, vous avez ses plaisirs.


Construction, vous avez ses plaisirs, sans ressentir ses maux. Vous est le sujet ; les autres mots sont l’attribut.

Sans ressentir ses maux. Sans est une préposition, dont ressentir ses maux est le complément. Ressentir ses maux, est un sens particulier équivalent à un nom. Ressentir, est ici un nom verbal. Sans ressentir, est une proposition implicite, sans que vous ressentiez. Ses maux, est après l’infinitif ressentir, parce qu’il en est le déterminant ; il est le terme de l’action de ressentir.

L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous.

Cette période est composée d’une proposition principale & d’une proposition incidente. Nous avons dit qu’une proposition qui tombe entre le sujet & l’attribut d’une autre proposition, est appellée proposition incidente, du latin incidere, tomber dans ; & que la proposition dans laquelle tombe l’incidente est appellée proposition principale, parce qu’ordinairement elle contient ce que l’on veut principalement faire entendre.

L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture,
Ne se rencontrent point chez vous.

Voilà la proposition principale.

L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture ; c’est là le sujet de la proposition : cette sorte de sujet est appellé sujet multiple, parce que ce sont plusieurs individus qui ont un attribut commun. Ces individus sont ici des individus métaphysiques, des termes abstraits, à l’imitation d’objets réels.

Ne se rencontrent point chez vous, est l’attribut : or on pouvoit dire, l’ambition ne se rencontre point chez vous ; l’honneur ne se rencontre point chez vous ; l’intérêt, &c. ce qui auroit fait quatre propositions. En rassemblant les divers sujets dont on veut dire la même chose, on abrege le discours, & on le rend plus vif.

Qui font tant de maux parmi nous, c’est la proposition incidente : qui en est le sujet ; c’est le pronom relatif ; il rappelle à l’esprit l’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture, dont on vient de parler.

Font tant de maux parmi nous, c’est l’attribut de la proposition incidente.

Tant de maux, c’est le déterminant de font, c’est le terme de l’action de font.

Tant, vient de l’adjectif tantus, a, um. Tant est pris ici substantivement ; tantum malorum, tantum χρῆμα malorum, une si grande quantité de maux.

De maux, est le qualificatif de tant ; c’est un des usages de la préposition de, de servir à la qualification.

Maux, est ici dans un sens spécifique, indéfini, & non dans un sens individuel : ainsi maux n’est pas précédé de l’article les.

Parmi nous, est une circonstance de lieu ; nous est le complément de la préposition parmi.

Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l’usage.

Voilà deux propositions liées entr’elles par la conjonction &.

Cependant, adverbe ou conjonction adversative, c’est-à-dire qui marque restriction ou opposition par rapport à une autre idée ou pensée. Ici cette pensée est, nous avons la raison ; cependant malgré cet avantage, les passions font tant de maux parmi nous. Ainsi cependant marque opposition, contrariété, entre avoir la raison & avoir des passions. Il y a donc ici une de ces propositions que les Logiciens appellent adversative ou discrétive.

Nous, est le sujet ; avons la raison pour partage, est l’attribut.

La raison pour partage : l’auteur pouvoit dire la raison en partage ; mais alors il y auroit eu un bâillement ou hiatus, parce que la raison finit par la voyelle nasale on, qui auroit été suivie de en. Les Poëtes ne sont pas toûjours si exacts, & redoublent l’n en ces occasions, la raison-n-en partage ; ce qui est une prononciation vicieuse : d’un autre côté, en disant pour partage, la rencontre de ces deux syllabes, pour, par, est desagréable à l’oreille.

Vous en ignorez l’usage ; vous, est le sujet ; en ignorez l’usage, est l’attribut. Ignorez, est le verbe ; l’usage, est le déterminant de ignorez ; c’est le terme de la signification d’ignorer ; c’est la chose ignorée. C’est le mot qui détermine ignorez.

En, est une sorte d’adverbe pronominal. Je dis que en est une sorte d’adverbe, parce qu’il signifie autant qu’une préposition & un nom ; en, inde ; de cela, de la raison. En est un adverbe pronominal, parce qu’il n’est employé que pour réveiller l’idée d’un autre mot, vous ignorez l’usage de la raison.

Innocens animaux, n’en soyez point jaloux.


C’est ici une énonciation à l’impératif.

Innocens animaux : ces mots ne dépendent d’aucun autre qui les précede, & sont énoncés sans articles : ils marquent en pareil cas la personne à qui l’on adresse la parole.

Soyez, est le verbe à l’impératif : ne point, c’est la négation.

En, de cela, de ce que nous avons la raison pour partage.

Jaloux, est l’adjectif ; c’est ce qu’on dit que les animaux ne doivent pas être. Ainsi, selon la pensée, jaloux se rapporte à animaux, par rapport d’identité, mais négativement, ne soyez pas jaloux.

Ce n’est pas un grand avantage.

Ce, pronom de la troisieme personne ; hoc, ce, cela, à savoir que nous avons la raison n’est pas un grand avantage.

Cette fiere raison, dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n’est pas un sûr remede.

Voici proposition principale & proposition incidente.

Cette fiere raison n’est pas un remede sûr contre les passions, voilà la proposition principale.

Dont on fait tant de bruit, c’est la proposition incidente.

Dont, est encore un adverbe pronominal ; de laquelle, touchant laquelle. Dont vient de unde, par mutation ou transposition de lettres, dit Nicot ; nous nous en servons pour duquel, de laquelle, de qui, de quoi.

On, est le sujet de cette proposition incidente.

Fait tant de bruit, en est l’attribut. Fait, est le verbe ; tant de bruit, est le déterminant de fait : tant de bruit, tantum χρῆμα jactationis, tantam rem jactationis.

Un peu de vin la trouble. Un peu, peu est un substantif, parum vini, une petite quantité de vin. On dit le peu, de peu, à peu, pour peu. Peu est ordinairement suivi d’un qualificatif : de vin, est le qualificatif de peu. Un peu : un & le sont des adjectifs prépositifs qui indiquent des individus. Le & ce indiquent des individus déterminés ; au lieu que un indique un individu indéterminé : il a le même sens que quelque. Ainsi un peu est bien différent de le peu ; celui-ci précede l’individu déterminé, & l’autre l’individu indéterminé.

Un peu de vin ; ces quatre mots expriment une idée particuliere, qui est le sujet de la proposition.

La trouble, c’est l’attribut : trouble, est le verbe ; la, est le terme de l’action du verbe. La est un pronom de la troisieme personne ; c’est-à-dire que la rappelle l’idée de la personne ou de la chose dont on a parlé ; trouble la, elle, la raison.

Un enfant (l’Amour) la séduit ; c’est la même construction que dans la proposition précédente.

Et déchirer un cœur qui l’appelle à son aide,
Est tout l’effet qu’elle produit.

La construction de cette petite période mérite attention. Je dis période, grammaticalement parlant, parce que cette phrase est composée de trois propositions grammaticales ; car il y a trois verbes à l’indicatif, appelle, est, produit.

Déchirer un cœur est tout l’effet, c’est la premiere proposition grammaticale ; c’est la proposition principale.

Déchirer un cœur, c’est le sujet énoncé par plusieurs mots, qui font un sens qui pourroit être énoncé par un seul mot, si l’usage en avoit établi un. Trouble, agitation, repentir, remords, sont à-peu-près les équivalens de déchirer un cœur.

Déchirer un cœur, est donc le sujet ; & est tout l’effet, c’est l’attribut.

Qui l’appelle à son aide, c’est une proposition incidente.

Qui en est le sujet ; ce qui est le pronom relatif qui rappelle cœur.

L’appelle à son aide, c’est l’attribut de qui ; la est le terme de l’action d’appelle ; appelle elle, appelle la raison.

Qu’elle produit, elle produit lequel effet.
c’est la troisieme proposition.

Elle, est le sujet : elle est un pronom qui rappelle raison.

Produit que, c’est l’attribut d’elle : que est le terme de produit ; c’est un pronom qui rappelle effet.

Que étant le déterminant ou terme de l’action de produit, est après produit, dans l’ordre des pensées, & selon la construction simple : mais la construction usuelle l’énonce avant produit ; parce que le que étant un relatif conjonctif, il rappelle effet, & joint elle produit avec effet. Or ce qui joint doit être entre deux termes ; la relation en est plus aisément apperçûe, comme nous l’avons déjà remarqué.

Voilà trois propositions grammaticales ; mais logiquement il n’y a là qu’une seule proposition.

Et déchirer un cœur qui l’appelle à son aide : ces mots font un sens total, qui est le sujet de la proposition logique.

Est tout l’effet qu’elle produit, voilà un autre sens total qui est l’attribut ; c’est ce qu’on dit de déchirer un cœur.

Toûjours impuissante & sévere ;
Elle s’oppose à tout, & ne surmonte rien.

Il y a encore ici ellipse dans le premier membre de cette phrase. La construction pleine est : La raison est toûjours impuissante & sévere ; elle s’oppose à tout, parce qu’elle est sévere ; & elle ne surmonte rien, parce qu’elle est impuissante.

Elle s’oppose à tout ce que nous voudrions faire qui nous seroit agréable. Opposer, ponere ob, poser devant, s’opposer, opposer soi, se mettre devant comme un obstacle. Se, est le terme de l’action d’opposer. La construction asuelle le met avant son verbe, comme me, te, le, que, &c. A tout, Cicéron a dit, opponere ad.

Ne surmonte rien ; rien est ici le terme de l’action de surmonte. Rien est toûjours accompagné de la négation exprimée ou sousentendue ; rien, nullam rem.

Sur toutes riens garde ces points. Mehun au testament, où vous voyez que sur toutes riens veut dire sur toutes choses.


Sous la garde de votre chien
Vous devez beaucoup moins redouter la colere
Des loups cruels & ravissans,
Que, sous l’autorité d’une telle chimere,
Nous ne devons craindre nos sens.

Il y a ici ellipse & synthese : la synthese se fait lorsque les mots se trouvent exprimés ou arrangés selon un certain sens que l’on a dans l’esprit.

De ce que (ex eo quod, propterea quod) vous êtes sous la garde de votre chien, vous devez redouter la colere des loups cruels & ravissans beaucoup moins ; au lieu que nous, qui ne sommes que sous la garde de la raison, qui n’est qu’une chimere, nous n’en devons pas craindre nos sens beaucoup moins.

Nous n’en devons pas moins craindre nos sens, voilà la synthese ou syllepse qui attire le ne dans cette phrase.

La colere des loups. La poésie se permet cette expression ; l’image en est plus noble & plus vive : mais ce n’est pas par colere que les loups & nous nous mangeons les moutons. Phedre a dit, fauce improbâ, le gosier, l’avidité ; & la Fontaine a dit la faim.

Beaucoup moins, multo minus, c’est une expression adverbiale qui sert à la comparaison, & qui par conséquent demande un correlatif que, &c. Beaucoup moins, selon un coup moins beau, moins grand. Voyez ce que nous avons dit de Beaucoup en parlant de l’article.

Ne vaudroit-il pas mieux vivre, comme vous faites,
Dans une douce oisiveté ?

Voilà une proposition qui fait un sens incomplet, parce que la correlative n’est pas exprimée ; mais elle va l’être dans la période suivante, qui a le même tour.

Comme vous faites, est une proposition incidente.

Comme, adverbe ; quomodo, à la maniere que vous le faites.

Ne vaudroit-il pas mieux être, comme vous êtes,
Dans une heureuse obscurité,
Que d’avoir, sans tranquillité,
Des richesses, de la naissance,
De l’esprit & de la beauté ?

Il n’y a dans cette période que deux propositions relatives, & une incidente.

Ne vaudroit-il pas mieux être, comme vous êtes, dans une heureuse obscurité ; c’est la premiere proposition relative, avec l’incidente comme vous êtes.

Notre syntaxe marque l’interrogation en mettant les pronoms personnels après le verbe, même lorsque le nom est exprimé. Le Roi ira-t-il à Fontainebleau ? Aimez-vous la vérité ? Irai-je ?

Voici quel est le sujet de cette proposition : il, illud, ceci, à savoir. Etre dans une heureuse obscurité ; sens total énoncé par plusieurs mots équivalens à un seul ; ce sens total est le sujet de la proposition.

Ne vaudroit-il pas mieux ? voilà l’attribut avec le signe de l’interrogation. Ce ne interrogatif nous vient des Latins, Ego ne ? Térence, est-ce moi ? Adeo ne ? Térence, irai-je ? Superat ne ? Virg. Ænéid. III. vers 339. vit-il encore ? Jam ne vides ? Cic. voyez-vous ? ne voyez-vous pas ?

Que, quam, c’est la conjonction ou particule qui lie la proposition suivante, ensorte que la proposition précédente & celle qui suit sont les deux correlatives de la comparaison.

Que la chose, l’agrément d’avoir, sans tranquillité, l’abondance des richesses, l’avantage de la naissance, de l’esprit, & de la beauté ; voilà le sujet de la proposition correlative.

Ne vaut, qui est sousentendu, en est l’attribut. Ne, parce qu’on a dans l’esprit, ne vaut pas tant que votre obscurité vaut.

Ces prétendus thrésors, dont on fait vanité,
Valent moins que votre indolence.

Ces prétendus thrésors valent moins, voilà une proposition grammaticale relative.

Que votre indolence ne vaut, voilà la correlative.

Votre indolence n’est pas dans le même cas ; elle ne vaut pas ce moins ; elle vaut bien davantage.

Dont on fait vanité, est une proposition incidente : on fait vanité desquels, à cause desquels : on dit faire vanité, tirer vanité de, dont, desquels. On fait vanité ; ce mot vanité entre dans la composition du verbe, & ne marque pas une telle vanité en particulier ; ainsi il n’a point d’article.

Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels.

Ils (ces thrésors, ces avantages), ils est le sujet.

Livrent nous sans cesse à, &c. c’est l’attribut.

A des soins criminels, c’est le sens partitif ; c’est-à-dire que les soins auxquels ils nous livrent sont du nombre des soins criminels ; ils en font partie : ces prétendus avantages nous livrent à certains soins, à quelques soins qui sont de la classe des soins criminels.

Sans cesse, façon de parler adverbiale, sine ulla intermissione.

Par eux plus d’un remords nous ronge.

Plus d’un remords, voilà le sujet complexe de la proposition.

Ronge nous par eux ; à l’occasion de ces thrésors, c’est l’attribut.

Plus d’un remords ; plus est ici substantif, & signifie une quantité de remords plus grande que celle d’un seul remords.

Nous voulons les rendre éternels,
Sans songer qu’eux & nous passerons comme un songe.

Nous, est le sujet de la proposition.

Voulons les rendre éternels sans songer, &c. c’est l’attribut logique.

Voulons, est un verbe actif. Quand on veut, on veut quelque chose. Les rendre éternels, rendre ces thrésors éternels : ces mots forment un sens qui est le terme de l’action de voulons ; c’est la chose que nous voulons.

Sans songer qu’eux & nous passerons comme un songe.

Sans songer : sans, préposition : songer est pris ici substantivement ; c’est le complément de la préposition sans, sans la pensée que. Sans songer peut aussi être regardé comme une proposition implicite ; sans que nous songions.

Que est ici une conjonction, qui unit à songer la chose à quoi l’on ne songe point.

Eux & nous passerons comme un songe : ces mots forment un sens total, qui exprime la chose à quoi l’on devroit songer. Ce sens total est énoncé dans la forme d’une proposition ; ce qui est fort ordinaire en toutes les langues. Je ne sai qui a fait cela, nescio quis fecit ; quis fecit est le terme ou l’objet de nescio : nescio hoc, nempe quis fecit.

Il n’est, dans ce vaste univers,
Rien d’assûré, rien de solide.

Il, illud, nempè, ceci, à savoir, rien d’assûré, rien de solide : quelque chose d’assûré, quelque chose de solide, voilà le sujet de la proposition ; n’est (pas) dans ce vaste univers, en voilà l’attribut : la négation ne rend la proposition négative.

D’assûré : ce mot est pris ici substantivement ; nehilum quidem certi. D’assûré est encore ici dans un sens qualificatif, & non dans un sens individuel, & c’est pour cela qu’il n’est précédé que de la préposition de sans article.

Des choses d’ici bas la fortune décide
Selon ses caprices divers.

La fortune, sujet simple, terme abstrait personnifié ; c’est le sujet de la proposition. Quand nous ne connoissons pas la cause d’un évenement, notre imagination vient au secours de notre esprit, qui n’aime pas à demeurer dans un état vague & indéterminé ; elle le fixe à des phantômes qu’elle réalise, & auxquels elle donne des noms, fortune, hasard, bonheur, malheur.

Décide des choses d’ici bas selon ses caprices divers, c’est l’attribut complexe.

Des choses, de les choses ; de signifie ici touchant.

D’ici bas détermine chose : ici bas est pris substantivement.

Selon ses caprices divers, est une maniere de décider : selon est la préposition ; ses caprices divers, est le complément de la préposition.

Tout l’effort de notre prudence
Ne peut nous dérober au moindre de ses coups.

Tout l’effort de notre prudence, voilà le sujet complexe ; de notre prudence détermine l’effort, & le rend sujet complexe. L’effort de est un individu métaphysique & par imitation, comme un tel homme ne peut, de même tout l’effort ne peut.

Ne peut dérober nous ; & selon la construction usuelle, nous dérober.

Au moindre, à le moindre ; à est la préposition ; le moindre est le complément de la préposition.

Au moindre de ses coups, au moindre coup de ses coups ; de ses coups est dans le sens partitif.

Paissez, moutons, paissez, sans regle & sans science ;
Malgré la trompeuse apparence,
Vous êtes plus heureux & plus sages que nous.

La trompeuse apparence, est ici un individu métaphysique personnifié.

Malgré : ce mot est composé de l’adjectif mauvais, & du substantif gré, qui se prend pour volonté, goût. Avec le mauvais gré de, en retranchant le de, à la maniere de nos peres qui supprimoient souvent cette préposition, comme nous l’avons observé en parlant du rapport de détermination. Les anciens disoient maugré, puis on a dit malgré ; malgré moi, avec le mauvais gré de moi, cum meâ malâ gratiâ, me invito. Aujourd’hui on fait de malgré une préposition : malgré la trompeuse apparence, qui ne cherche qu’à en imposer & à nous en faire accroire, vous êtes au fond & dans la réalité plus heureux & plus sages que nous ne le sommes.

Tel est le détail de la construction des mots de cette idylle. Il n’y a point d’ouvrage, en quelque langue que ce puisse être, qu’on ne pût réduire aux principes que je viens d’exposer, pourvû que l’on connût les signes des rapports des mots en cette langue, & ce qu’il y a d’arbitraire qui la distingue des autres.

Au reste, si les observations que j’ai faites paroissent trop métaphysiques à quelques personnes, peu accoûtumées peut-être à réfléchir sur ce qui se passe en elles-mêmes ; je les prie de considérer qu’on ne sauroit traiter raisonnablement de ce qui concerne les mots, que ce ne soit relativement à la forme que l’on donne à la pensée & à l’analyse que l’on est obligé d’en faire par la nécessité de l’élocution, c’est-à-dire pour la faire passer dans l’esprit des autres ; & dès-lors on se trouve dans le pays de la Métaphysique. Je n’ai donc pas été chercher de la métaphysique pour en amener dans une contrée étrangere ; je n’ai fait que montrer ce qui est dans l’esprit relativement au discours & à la nécessité de l’élocution. C’est ainsi que l’anatomiste montre les parties du corps humain, sans y en ajoûter de nouvelles. Tout ce qu’on dit des mots, qui n’a pas une relation directe avec la pensée ou avec la forme de la pensée ; tout cela, dis-je, n’excite aucune idée nette dans l’esprit. On doit connoître la raison des regles de l’élocution, c’est-à-dire de l’art de parler & d’écrire, afin d’éviter les fautes de construction, & pour acquérir l’habitude de s’énoncer avec une exactitude raisonnable, qui ne contraigne point le génie.

Il est vrai que l’imagination auroit été plus agréablement amusée par quelques réflexions sur la simplicité & la vérité des images, aussi-bien que sur les expressions fines & naïves par lesquelles cette illustre dame peint si bien le sentiment.

Mais comme la construction simple & nécessaire est la base & le fondement de toute construction usuelle & élégante ; que les pensées les plus sublimes aussi bien que les plus simples perdent leur prix, quand elles sont énoncées par des phrases irrégulieres ; & que d’ailleurs le public est moins riche en observations sur cette construction fondamentale : j’ai cru qu’après avoir tâché d’en développer les véritables principes, il ne seroit pas inutile d’en faire l’application sur un ouvrage aussi connu & aussi généralement estimé, que l’est l’idylle des moutons de madame Deshoulieres. (F)

Construction, s. f. (Géométrie.) Ce mot exprime, en Géométrie, les opérations qu’il faut faire pour exécuter la solution d’un problème. Il se dit aussi des lignes qu’on tire, soit pour parvenir à la solution d’un problème, soit pour démontrer quelque proposition. Voyez Problème, &c.

La construction d’une équation, est la méthode d’en trouver les racines par des opérations faites avec la regle & le compas, ou en général par la description de quelque courbe. Voyez Equation & Racine. Nous allons donner d’abord la construction des équations du premier & du second degré.

Pour construire une équation du premier degré, il n’y a autre chose à faire que de réduire à une proportion la fraction qui exprime la valeur de l’inconnue, ce qui s’entendra très-facilement par les exemples suivans.

1°. Supposons qu’on ait on en tirera c : a = b : x ; ainsi x sera facile à avoir par la méthode de trouver une quatrieme proportionnelle.

2°. Qu’on ait  : on commencera par construire à l’aide de la proportion . Ayant trouvé & l’ayant nommé g pour abreger, on fera la proportion e : g = c : x, c’est-à-dire, que l’on aura x par la quatrieme proportionnelle à c, g, e.

3°. Que l’on ait  : comme aa − bb est le produit de a − b par a + b, on n’aura autre chose à faire qu’à construire la proportion c : a − b = a + b : x.

4°. Que  ; par le premier cas on trouve une ligne , & une ligne . De plus, par le même cas on construit aussi une ligne  ; donc x qui est alors = g − i, sera la différence des deux lignes g & i construites par ces proportions.

5°. Que  ; on cherchera d’abord & on fera , ce qui donnera ah = af + cg, & par conséquent  : ainsi la difficulté sera réduite au cas précédent.

6°. Que  : on cherchera & on fera , ce qui donnera af + bc = bh, & par conséquent , d’où l’on tirera h : a = a − d : x.

7°. Si  : on construira le triangle rectangle ABC (Planc. Algebre, fig. 1.) dont le côté AB soit a, BC, b, & l’hypothenuse sera alors  : faisant on aura , & par conséquent .

8°. Si , sur (fig. 2.) on décrira un demi cercle, & l’on prendra , ce qui donnera  ; faisant donc , on aura , c’est-à-dire .

9°. Si , on cherchera & l’on fera , ce qui donnera , & par conséquent . Trouvant alors entre (fig. 3.) & la moyenne proportionnelle & faisant , on aura , qui étant nommée m, donnera  : & partant .

Il est à remarquer que les constructions que nous venons de donner des trois derniers exemples, ne sont que pour plus d’élégance & de simplicité ; car on pourroit les construire, & on en a déjà construit plusieurs autrement ci-dessus, n°. 3 & 5.

La construction des équations du second degré, lorsque l’inconnue est délivrée, ne demande pas d’autres regles que celles qu’on vient de donner. Qu’on ait, par exemple, , on en tirera que l’on construit en trouvant la moyenne proportionnelle DC entre AC = a & BC = b.

Si l’équation a un second terme comme , qui donne , toute la difficulté consistera à construire ou . Pour le premier cas on fera comme dans les constructions précédentes, (fig. 1.) & , ce qui donnera . Dans le second on fera (figure 2.) & , ce qui donnera .

Les équations du troisieme degré peuvent se construire, 1°. par l’intersection d’une ligne droite & d’un lieu du troisieme degré. Par exemple, soit  ; on construira le lieu ou la courbe EMBCF (fig. 4 Algebr.) dont l’équation soit , en prenant les variables AP pour x & PM pour y ; & les points B, C, D, où cette courbe rencontrera son axe, donneront les racines AB, AC, AD, de l’équation ; car dans ces points y est = 0, puisque y exprime en général la distance PM de chaque point M de la courbe à son axe AD : par conséquent on a 1°. lorsque x est = AB : 2°. lorsque x = AC : 3°. lorsque x = AD. Donc les valeurs de l’inconnue x, propres à rendre x^3 sont AB, AC, AD. Les racines de l’équation seront positives ou négatives, selon que les points B, C, D, tomberont d’un côté ou de l’autre par rapport à A, & si la courbe ne coupoit pas son axe en trois points, ce seroit une marque qu’il y auroit des racines imaginaires.

Je rapporte ici cette méthode de construire les équations du troisieme degré, parce qu’elle peut s’appliquer généralement aux degrés plus élevés à l’infini, & qu’elle est peut-être aussi commode & aussi simple qu’aucune autre. Ainsi en général l’équation peut se construire par la courbe dont l’équation seroit , dont les intersections avec son axe donneront les racines de l’équation. Ces sortes de courbes où l’indéterminée y ne monte qu’à un degré, s’appellent courbes de genre parabolique. Et je dois remarquer ici que M. l’abbé de Gua s’est servi avec beaucoup de sagacité de la considération de ces sortes de courbes, pour découvrir & démontrer de fort beaux théoremes sur les racines des équations. Voyez Racine ; voyez aussi les Mémoires de l’Acad. des Scienc. de l’aris, de 1741, & l’article Courbe.

Mais en général la méthode de résoudre les équations du troisieme & du quatriéme degré consiste à y employer deux sections coniques, & ces deux sections coniques doivent être les plus simples qu’il se puisse ; c’est pourquoi on construit toutes ces équations par le moyen du cercle & de la parabole. Voici une légere idée de cette méthode. Soit proposé de construire  : on supose d’abord en multipliant le tout par x ; ensuite on suppose , qui est l’équation d’une parabole, & on a par la substitution , & , qui est l’équation d’une parabole. Ainsi on pourroit resoudre le problême en construisant les deux paraboles BAC, DA (fig. 5.), qui ont pour équation &  ; le point d’intersection C de ces paraboles donneroit la valeur OC de l’inconnue x. Car l’inconnue x doit être telle que & que  : or nommant en général AP, x, P, R, y, ou AS, y, SR, x ; il n’y a que le seul point C où l’on ait à la fois & . Mais comme le cercle est plus facile à construire que la parabole, au lieu d’employer deux paraboles on n’en emploie qu’une ; par exemple, celle qui a pour équation , & on combine ensemble les deux équations & de maniere qu’elles donnent une équation au cercle, ce qui se fait en ajoûtant une de ces équations à l’autre ou en l’en retrunchant, comme on le peut voir expliqué plus au long dans l’application de l’Algebre à la Géornétrie de M. Guisnée, & dans le neuvieme livre des sections coniques de M. le marquis de l’Hôpital. Par exemple, dans le cas dont il s’agit ici, on aura qui est une équation au cercle ; & si on construit ce cercle, ses points d’intersection avec la parabole qui a pour équation donneront les racines de l’équation.

On voit par-là que pour construire une équation du troisieme degré, il faut d’abord en la multipliant par x la changer en une du quatrieme : on peut en ce cas la regarder comme une équation du quatrieme degré, dont une des racines seroit = 0. Car, soient x = a, x = b, x = c, les racines d’une équation du troisieme degré, , si on multiplie cette équation par x, on aura , dont les racines seront x = 0, x = a, x = b, x = c. Aussi lorsque l’équation est du troisieme degré, l’équation au cercle qu’on en déduit n’a point de terme constant ; d’où il s’ensuit qu’en faisant dans cette équation y = 0, x est aussi = 0 ; V. Courbe & Equation ; & comme dans l’équation à la parabole rend aussi x = 0, on voit que quand l’équation est du troisieme degré, le cercle & la parabole se coupent dans le point qui est l’origine des x & des y, & c’est cette intersection qui donne la racine x = 0 ; les trois autres intersections donnent les trois racines. C’est ainsi qu’en Géométrie tout s’accorde & se rapproche.

Les équations des degrés plus composés se construisent de même par l’intersection de courbes plus élevées ; par exemple, un lieu du sixieme degré par l’intersection de deux courbes du troisieme, qu’il faut toûjours choisir de maniere que leur équation soit la plus simple qu’il se puisse, selon plusieurs auteurs : cependant selon d’autres cette regle ne doit pas être suivie à la rigueur, parce qu’il arrive souvent qu’une courbe dont l’équation est composée, est plus facile à décrire qu’une courbe dont l’équation est fort simple. Voyez sur cela l’article Courbe, ainsi que sur la construction des équations différentielles. (O)

Construction, terme d’Architecture, est l’art de bâtir par rapport à la matiere. Ce mot signifie aussi l’ouvrage bâti. Voyez Architecture, Maçonnerie, Charpenterie, Menuiserie, &c.

Construction de pieces de trait, est le développement des lignes rallongées du plan par rapport aux profils d’une piece de trait. (P)

Construction, en termes de Marine, signifie l’art de bâtir des vaisseaux. L’on a plusieurs ouvrages qui développent les principes généraux de la construction, & qui donnent des méthodes particulieres pour construire différentes sortes de bâtimens. Les plus détaillés sont

1°. L’Architecture navale du sieur Dassié, imprimée à Paris en 1695. 2°. L’art de bâtir des vaisseaux. 3°. Le traité du navire, de sa construction, & de ses mouvemens, par M. Bouguer, de l’académ. des Sciences, Paris 1746 ; ouvrage profond, & qu’il seroit à souhaiter que tous les constructeurs étudiassent & entendissent bien. 4°. Elémens de l’Architecture navale, ou traité pratique de la construction des vaisseaux par M. Duhamel, de la même académ. Paris 1752 : celui-ci dépouillé d’algebre & de démonstrations, se renferme dans la pratique, & offre des méthodes si simples & si claires, qu’il peut mettre en état quiconque le posséderoit bien, de dresser les plans de toutes sortes de bâtimens, & de régler les proportions les plus avantageuses pour toutes les parties qui entrent dans leurs constructions. Ainsi c’est à ces deux excellens ouvrages que nous renvoyons, dont nous emprunterons cependant le plus qu’il nous sera possible pour former le détail de cet article, & de beaucoup d’autres répandus dans ce Dictionnaire.

Le premier objet qui se présente dans la construction des vaisseaux, c’est la grandeur & la proportion qu’on veut donner au bâtiment ; & c’est ce qui a été reglé par l’ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de Marine, du 15 Avril 1689. liv. XIII. tit. ij. art. 1. « Les vaisseaux du premier rang auront 163 piés de longueur de l’étrave à l’étambord par-dehors, 44 piés de largeur en-dehors les membres, & 20 piés 4 pouces de creux à prendre sur la quille au-dessus des bouts du banc en droite ligne. Article 2. Il y aura deux différentes grandeurs de vaisseaux parmi ceux du second & du troisieme rang, qui seront distingués par premier & second ordre. Article 3. Les vaisseaux du second rang premier ordre auront 150 piés de longueur, 41 piés six pouces de largeur, & 19 piés de creux. Article 4. Ceux du second rang second ordre auront 146 piés de longueur, 40 de largeur, & 18 piés 3 pouces de creux. Art. 5. Les vaisseaux du troisieme rang premier ordre auront 140 piés de longueur, 38 de largeur, & 17 piés six pouces de creux. Article 6. Ceux du troisieme rang second ordre auront 136 piés de longueur, 37 de largeur, & 16 piés 6 pouces de creux. Article 7. Les vaisseaux de quatrieme rang 120 piés de longueur, 32 & de largeur, & 14 & de creux. Article 8. Et ceux du cinquieme rang 110 piés de longueur, 27 & de largeur, & 14 de creux. »

Il est bon de remarquer que ces proportions sont très-différentes de celles que l’on suit aujourd’hui ; l’expérience ayant fait connoître qu’il étoit nécessaire de s’en écarter. Ainsi pour déterminer la longueur d’un vaisseau, il faut fixer combien il y a de sabords à la premiere batterie, quelle largeur doivent avoir ces sabords ; combien de distance on peut donner de l’un à l’autre, à quoi on ajoûte deux distances ou deux distances & demie d’entre les sabords pour l’avant, à compter du premier sabord de l’avant au-dehors de l’étrave ; & une distance & demie pour l’arriere, à compter du dernier sabord de l’arriere dans la sainte barbe, au-dehors de l’étambord. On additionne ensuite toutes ces sommes, & le produit donne la longueur du vaisseau de l’étrave à l’étambord. Ainsi le nombre de canons dont on veut qu’un vaisseau soit monté, & la grosseur de leur calibre, décide de son rang & de sa longueur. Un vaisseau du premier rang de 112 canons (voyez au mot Rang) sera percé à la premiere batterie de 15 sabords pour des canons de 48 ou 36 livres de balle ; à la deuxieme, de 16 pour des canons de 24 ; à la troisieme de 15 sabords, pour des canons de 12 livres de balle, sur le gaillard d’arriere, 5 canons de 8 livres de balles ; sur le château d’avant, 3 de 8 livres ; & sur la dunette, 2 de 4 livres.

La largeur des sabords se fixe suivant la grosseur des canons. Pour des canons du calibre de 48, la largeur des sabords sera de 3 piés 2 pouces. Pour du 36, 3 piés ou 3 piés 1 pouce. Pour du 24, 2 piés 9 à 10 pouces. Pour du 18, 2 piés 7 à 8 pouces. Pour du 12, 2 piés 5 à 6 pouces. Pour du 8, 2 piés 2 à 3 pouces. Pour du 6, 1 pié 10 pouces ou 2 piés. Pour du 4, 1 pié 8 à 9 pouces. La largeur des sabords fixée, reste à donner leur distance, qui pour les canons de 36, peut être de 7 piés 6 à 7 pouces. Pour ceux de 24, 7 piés 4 à 5 pouces. Pour ceux de 18, 7 piés 3 à 4 pouces. Pour les canons de 12, 7 piés 2 à 3 pouces ; & pour ceux de 8 & de 6, 7 piés. Il est bon d’observer que la distance que l’on vient de donner entre les sabords pour les canons de 12, de 8, & de 6, ne convient que pour les frégates à deux ponts, & qu’elle seroit trop grande pour celles qui n’auroient qu’un pont, pour lesquelles il suffiroit de mettre 6 piés 1 pouce pour les canons de 12, six piés pour ceux de 8, & 5 piés pour ceux de 6 ; cependant toutes ces mesures peuvent varier, & les divers constructeurs ont différentes méthodes qui réussissent fort bien.

Après ce qu’on vient de dire sur la largeur des sabords & leurs distances, il est aisé de décider la longueur du vaisseau, de la rablûre de l’étambord à la rablûre de l’étrave : il faut additionner la distance du dernier sabord de l’avant à la rablûre de l’étrave ; celle du dernier sabord de l’arriere à la rablûre de l’étambord, avec la largeur de tous les sabords de la premiere batterie, & toutes les distances qui doivent être entre chaque sabord. Le produit de ces sommes donnera la longueur du vaisseau de rablûre en rablûre. Ainsi un vaisseau de 74 canons, auroit 14 sabords à sa premiere batterie, & 166 piés de longueur ; & un vaisseau de 64 auroit 13 sabords & 151 piés de longueur. Ces deux exemples suffisent.

La longueur que l’on veut donner au vaisseau que l’on projette étant décidée, il faut en fixer la plus grande largeur au maître-bau ; ce qui varie encore suivant les différentes méthodes, dont nous allons rapporter quelques exemples.

Il y a des constructeurs qui pour la plus grande largeur des vaisseaux, prennent entre le tiers & le quart de leur longueur ; c’est-à-dire que si un vaisseau a 168 piés de longueur, on divise cette somme par 3, ce qui fait 56. On divise ensuite la même somme de 168 par 4, ce qui fait 42. Enfin on ajoûte 56 piés avec 42, dont on prend la moitié, & l’on a 49 piés pour la largeur d’un vaisseau de 168 piés de longueur.

Quelques constructeurs ayant trouvé cette largeur trop grande pour les vaisseaux du premier rang, soustrayent un douzieme de la longueur totale 168, pour la queste & l’élancement ; il reste 154 piés, surquoi ils operent comme nous venons de le dire ; & la largeur alors est de 44 piés 11 pouces, plus petite de 4 piés 1 pouce que la précédente.

D’autres donnent de largeur aux vaisseaux du premier rang 3 pouces 3 lignes par piés de la longueur : par cette methode le vaisseau de 168 piés de long auroit 45 piés 6 pouces de large.

Il y en a qui pour les vaisseaux du premier & du second rang, prennent un tiers de la longueur dont ils soustrayent une sixieme partie, & le restant est leur largeur : ainsi un vaisseau de 168 piés de longueur, a 46 piés 8 pouces de largeur.

Pour les vaisseaux du troisieme & du quatrieme rang, ils prennent 3 pouces 3 lignes par piés de la longueur.

A l’égard des frégates qu’on veut faire fines voilieres, on leur donne seulement pour largeur un quart de leur longueur.

Enfin il y a des constructeurs qui pour avoir la largeur des vaisseaux de 76 canons & au-dessus, prennent 3 pouces 4 lignes 9 points par piés de la longueur ; & suivant cette regle, un vaisseau de 168 piés auroit 47 piés 6 pouces 7 lignes de largeur.

Pour les vaisseaux de 74 canons, ils prennent 3 pouces 4 lignes par pié de la longueur.

Pour un vaisseau de 62 canons, 3 pouces 3 lignes 5 points.

Pour un vaisseau de 56 canons, 3 pouces 3 lignes & demie.

Pour un vaisseau de 50 canons, 3 pouces 3 lignes.

Pour un vaisseau de 46 canons, 3 pouces 2 lignes 9 points.

Pour une frégate de 32 canons, 3 pouces 2 lignes 6 points.

Pour une frégate de 28 canons, 3 pouces 2 lignes 5 points.

Pour une frégate de 22 canons, 3 pouces 2 lignes 2 points.

Pour une frégate de 16 canons, 3 pouces 2 lignes.

Pour une corvette de 12 canons, 3 pouces 6 lignes.

Suivant ce que nous venons de dire, les constructeurs ont beaucoup varié sur la maniere d’établir la largeur des vaisseaux, qui se trouve assez différente quand on les compare à la longueur.

Il nous reste encore à parler du creux. Le creux est la distance qu’il y a entre le dessus de la quille & le dessus du bau du premier pont, non compris le bouge de ce pont. Anciennement la plûpart des constructeurs faisoient le creux au maître-gabari, égal à la huitieme partie de la longueur du vaisseau. Suivant cette regle, un vaisseau du premier rang qui avoit 168 piés de longueur, auroit eu 21 piés de creux ; mais comme on s’est apperçu que ce creux n’étoit pas suffisant, on y a ajoûté un pié pour donner plus d’élévation à la batterie, & plus de capacité au fond de cale : sur ce pié un vaisseau de 168 piés de longueur, auroit 22 piés de creux. Cette regle n’est pas bonne, car le creux seroit d’autant plus grand, que le vaisseau seroit plus long ; au lieu que le creux doit diminuer à proportion qu’on allonge le vaisseau.

Dans la plûpart des vaisseaux, le creux au milieu est égal à la moitié de la largeur : ainsi si la largeur du vaisseau qui nous vient de servir d’exemple étoit de 47 piés, le creux seroit de 23 piés & demi à un tel vaisseau ; mais ceux-là font leur varangue plate. Cette regle ne doit pas être générale pour tous les bâtimens ; car un vaisseau qui a peu de largeur, aura immanquablement sa batterie noyée, si on n’augmente pas beaucoup le creux.

Aussi les constructeurs qui donnent au creux la moitié de la largeur du vaisseau, ne suivent exactement cette regle que pour les vaisseaux depuis 46 canons jusqu’au-dessus ; mais pour une frégate de 28 ou de 32 canons, ils prennent pour le creux 5 pouces 8 lignes par pié de la largeur : ainsi on donneroit au vaisseau qui auroit 29 piés de largeur, 13 piés 8 pouces 4 lignes de creux. Pour une frégate de 22, de 16, & de 12 canons, ils prennent 6 pouces 6 lignes par pié de la largeur.

Ces trois dimensions du vaisseau (longueur, largeur, & creux,) étant reglées, il s’agit de fixer les proportions des différentes pieces qui entrent dans la construction. On en trouve une table extrèmement étendue dans le traité de construction pratique que nous avons cité ci-dessus, auquel nous renvoyons ceux qui veulent faire une étude particuliere de la construction ; & nous nous contentons de donner ici le devis d’un vaisseau où les proportions des membres & des principales parties sont fixées, avec l’ordre dans lequel on les travaille & l’on les met en place.

Devis d’un vaisseau du premier rang de 155 piés de long. Cette longueur est prise de l’étrave à l’étambord. Le vaisseau a 36 piés de bau ou de largeur de dedans en-dedans, prise sous le maître-bau, & 12 piés de creux au premier pont, 17 au second pont, 24 au troisieme pont, & 3 piés 6 pouces de vibord.

La quille est de trois pieces ; les écarts en sont de 10 piés de long, & à leurs bouts de 4 pouces d’épaisseur : ils sont assemblés chacun par 25 gournables, qui sont une sorte de chevilles à qui l’on donne 1 pouce de diametre par chaque 100 piés que le vaisseau a de longueur.

L’étrave mesurée en-dehors sur sa rondeur, est de 37 piés 2 pouces de long ; & à l’équerre dans l’angle en-dedans, 27 piés 9 pouces : elle a de ligne courbe 7 piés ; d’épaisseur en-dehors 1 pié 5 pouces, en-dedans 1 pié 3 pouces ; de largeur par le bas 3 piés 9 pouces, par le milieu 2 piés 8 pouces, par le haut 3 piés 5 pouces ; de queste 22 piés.

L’étambord a 28 piés 3 pouces à l’équerre : il a d’épaisseur en-dedans 1 pié 6 pouces, d’épaisseur en-dehors par le haut 1 pié 1 pouce, & par le bas 10 pouces ; sa rablure est de 7 piés : il a de courbure en-dedans 1 pié 2 pouces, & de queste 3 piés 6 pouces.

La lisse de hourdi, ou grande barre d’arcasse, a 25 piés 6 pouces de longueur par derriere ; de largeur 2 piés ; d’épaisseur par son milieu 1 pié 7 pouces, par ses bouts 1 pié 5 pouces ; de tonture un pié.

Les estains mesurés depuis leurs bouts du bas en-dehors de la lisse de hourdi jusqu’à leurs bouts du haut, ont 14 piés 9 pouces ; 1 pié 1 pouce d’épaisseur, 2 piés 3 pouces de largeur par leur milieu, & 2 piés par leurs bouts, & 3 pouces de rondeur par derriere.

Les contre-lisses, ou barres de contre-arcasse, ont d’épaisseur sur l’étambord 1 pié 1 pouce, & de haut en bas 1 pié 2 pouces : la plus haute est posée à 2 piés 2 pouces du dessous de la lisse de hourdi ; les sabords sont à 2 piés de l’étambord, & ont 2 piés 4 pouces de largeur ; les courbes d’arcasse ont 8 pouces d’épaisseur ; les cornieres ou allonges de poupe montent jusqu’à 27 piés 6 pouces au-dessus de la lisse de hourdi, & il y a 3 piés 3 pouces de distance entr’elles par le haut.

Des deux grands gabarits, le premier en venant de l’avant, est posé à 36 piés du dernier écart de l’étrave : il a dans les fleurs 3 piés 2 pouces à l’équerre ; à demi-pié de hauteur du plafond, il a 30 piés de largeur ; & à hauteur de 17 piés, il a 36 piés aussi de largeur : l’autre grand gabarit est à 10 piés de celui-ci vers l’arriere, & entr’eux il y a six varangues dont chacune a 10 pouces de largeur, & elles sont posées à 7 pouces l’une de l’autre.

Le devant du premier gabarit de l’avant est à 8 pouces du dernier écart de l’étrave : il a 28 piés de longueur jusqu’à la baloire en-dessus, à mesurer de la droite ligne de la baloire par la ligne perpendiculaire sur la trace du milieu de la quille ; de sorte qu’il a 7 piés 8 pouces de tonture, & 35 piés 5 pouces de large entre les baloires des deux côtés.

Le dernier gabarit de l’arriere est posé à 18 piés 6 pouces du talon de la quille ; sa longueur, aussi prise du dessus de la baloire par sa ligne directe sur la perpendiculaire, tombant sur la trace ou le milieu de la quille, est de 38 piés six pouces ; de maniere qu’il y a 5 piés 3 pouces de tonture, & 31 piés 9 pouces entre les baloires des deux côtés.

Les baloires, mesures prises dans l’avant, à la ligne ou raie du milieu, à 6 piés de l’étrave en-dedans, viennent à 6 piés 6 pouces de hauteur ; & mesurées à 12 piés de l’étrave, elles sont à 11 piés 8 pouces de hauteur ; à 18 piés de l’étrave, elles sont à 15 piés 7 pouces ; à 24 piés de l’étrave, elles sont à 17 piés 4 pouces ; à 30 piés de l’étrave, elles sont à 17 piés 10 pouces ; à l’avant elles sont à 1 pié 8 pouces au-dessus du creux du vaisseau, & à l’arriere à 12 piés.

Les côtes ont sur la quille 1 pié d’épaisseur ; dans les fleurs 10 pouces &  ; sur la ligne du fort 8 pouces, sur la lisse du vibord 5 pouces : celles de l’avant & de l’arriere sont un peu plus minces.

Chaque côté du vaisseau a été formé sur 15 lisses de gabarit ; savoir 11 au-dessous de la ligne du gros & 4 au-dessus, & encore 1 autre pour chaque herpe.

La carlingue a 1 pié d’épaisseur, & 2 piés 5 pouces de largeur ; mais elle est un peu plus mince & plus étroite à l’avant & à l’arriere.

Les vaigres du milieu des fleurs ont 6 pouces d’épaisseur, & 1 pié 5 pouces de largeur ; celles qui sont au-dessous & au-dessus de celles-ci, aussi dans les fleurs, ont 5 pouces d’épaisseur & 1 pié 5 pouces de largeur : toutes les vaigres du milieu des côtés ont 4 pouces d’épaisseur, & 3 pouces à l’avant & à l’arriere.

Les serre-bauquieres du premier pont ont 5 d’épaisseur, & 2 piés de largeur ; elles descendent 4 pouces plus bas que le dessus des baux : celles du second pont ont 6 pouces d’épaisseur, & la même largeur de 2 piés, descendant aussi de 4 pouces au-dessous des baux : celles du troisieme pont ont 5 pouces d’épaisseur, & 1 pié 9 pouces de largeur.

Les baux du premier pont ont 1 pié 3 pouces d’épaisseur, & 1 pié 4 pouces de largeur, peu plus ou peu moins, à la demande du bois : ils ont 7 pouces de tonture ; ils sont à 7 piés l’un de l’autre, à la grande écoutille, à 9 piés au-dessus de la soute ou biscuit ; & la plûpart des autres sont à quatre piés six pouces de distance l’un de l’autre.

Ceux du second pont sont un peu plus forts, & posés droits au-dessus de ceux du bas-pont ; à la hauteur de 5 piés, au milieu du vaisseau, & de 4 piés 6 pouces à l’avant : ceux qui sont sur les soutes aux biscuits, sont posés une fois plus près l’un de l’autre que ceux du bas-pont.

Les barrots du haut-pont ont 1 pié 1 pouce de largeur, les uns un peu plus, les autres moins, & 10 pouces d’épaisseur ; & sur 28 piés de longueur, 9 pouces de tonture, la plûpart étant à 4 piés 6 pouces l’un de l’autre : les barrots du château d’avant ont 8 pouces d’épaisseur, & 10 de largeur.

Les barrots du demi-pont & de la chambre du capitaine ont 9 pouces d’épaisseur & 1 pié de largeur : ils ont un peu plus de tonture que ceux du haut-pont, à mesurer de dessus le pont ; & proche du grand mât, ils sont posés à la hauteur de 7 piés ; & à la hauteur de 7 piés 6 pouces à l’arriere, aux trépots. Les barrotins des dunettes ont 6 pouces d’épaisseur en quarré, & sont à 2 piés 8 pouces de distance les uns des autres ; ils ont un peu plus de tonture que les barrots de la chambre du capitaine. Les courbatons qui lient les barrotins & les bordages, ont sous la serre-bauquiere en-dedans la même épaisseur que les barrotins auxquels ils sont joints par le haut. Les courbatons du demi-pont & de la chambre du capitaine, passent derriere le serrage.

Les aiguillettes qui sont de chaque côté pour renforcer le vaisseau, ont 10 à 11 pouces de largeur prise par la longueur du vaisseau, & 13 à 14 pouces d’épaisseur prise en travers.

Les entremises qui regnent autour des serre-gouttieres du pont d’en-bas, ont 2 piés 8 pouces de long & 8 pouces d’épais ; les entremises du second pont ont 9 pouces d’épaisseur par le côté qui joint le bord & 6 pouces par le côté opposé qui est en-dedans : il en est de même des entremises du premier pont, qui ont aussi en-dedans 3 pouces de moins que du côté du bordage.

Les serre-bauquieres du pont d’en-bas ont 9 pouces d’épaisseur, & 2 piés de largeur ; celles du second pont sont de la même largeur & épaisseur ; celles du troisieme pont ont 1 pié 9 pouces de largeur, & 5 pouces d’épaisseur.

Les faix du premier & du second pont ont 6 pouces d’épaisseur, & 1 pié 5 pouces de largeur ; ceux du pont d’en-haut ont 5 pouces d’épaisseur : mais devant le mât, où est le caillebotis, leur épaisseur est de 8 pouces, & les carreaux du caillebotis y sont assemblés.

Cinq guerlandes affermissent l’avant ou les joues, & les défendent contre la force de la mer ; la plus haute supporte le bout du second pont ; la plus basse embrasse & couvre l’écart de la quille & de l’étrave ; les deux qui sont au-dessus de cette plus basse, sont jointes pour affermir la carlingue du pié du mât de misene.

Les façons de l’arriere sont aussi fortifiées en-dedans d’un pareil nombre de varangues acculées, & par des fourcats, les varangues ayant à chaque côté leurs genoux de revers, & la derniere de ses courbes.

A l’endroit de l’avant où la premiere porque est posée, & où commencent les soutes au biscuit, il y a, selon la maniere angloise, une croix pour empêcher que les façons ou virures qui y ont une si grande rondeur ne viennent à s’enfoncer en-dedans, ou qu’à cause de la grande hauteur qui s’y trouve, le dessus ne soit pas assez bien soûtenu : cette croix est assemblée à queue d’aronde à la porque & au bau. Les pieces de la croix ont 10 pouces d’épaisseur par la longueur du vaisseau, & 1 pié 2 pouces par son travers.

Le grand cabestan qui passe sur le second pont, y a sept taquets ou fuseaux ; mais sous le pont il n’en a que six : son épaisseur à la tête est de deux piés 5 pouces, à la carlingue d’un pié 7 pouces, sur l’écuelle d’un pié 5 pouces ; la tête a 5 piés 5 pouces de hauteur.

La tête du petit cabestan a 1 pié 6 pouces d’épaisseur, & 4 piés 4 pouces de hauteur : il y a 5 fuseaux autour ; il tourne sur une écuelle frappée sur les barrots.

Les têtes des piliers de bittes ont 5 piés 4 pouces de hauteur, & 1 pié 9 pouces d’épaisseur par la longueur du bâtiment, & 1 pié 8 pouces par le travers ; le traversin a 9 piés 3 pouces de long, & 1 pié 8 pouces d’épais en quarré ; les têtes ont 2 piés de hauteur au-dessus du traversin, qui à chaque bout s’étend 2 piés au-delà des piliers, & est garni par derriere d’une planche lavée, pour mieux conserver le cable.

Le diametre des trous des écubiers est d’un pié 4 pouces ; ils sont percés à 2 piés de l’étrave, & à 8 pouces l’un de l’autre.

Le grand sep de drisse a de hauteur, au-dessus du pont, 4 piés 8 pouces, en y comprenant la tête : il a d’épaisseur par la longueur du bâtiment 1 pié 10 pouces, & en travers 2 piés 1 pouce ; la tête a 1 pié 2 pouces de hauteur.

Le sep de drisse de misene a, du château d’avant jusqu’à ses épaules, 2 piés 8 pouces de haut, & la tête 1 pié. Les seps ou blocs qui servent à manœuvrer les écoutes & les cargues du grand hunier, ont 1 pié d’épaisseur par la longueur du vaisseau, & dix piés en-travers, & sont posés à 5 piés l’un de l’autre, à mesurer par leurs côtés. Les trous qui servent aux écoutes de hune, ont 2 pouces & de diametre, & ceux des cargues en ont 1 pouce & demi.

A chaque côté des bords du château d’avant sous la vergue de misene, il y a deux blocs dont les deux premiers servent à manœuvrer les cargues point de misene, & les deux qui sont derriere servent aux balancines : ils ont 7 pouces en quarré, & les roüets joüent par la longueur du vaisseau, les trous étant percés en biais pour cet effet.

Derriere le mât de misene au milieu du château d’avant, il y a quatre seps ou blocs d’une même épaisseur, dans chacun desquels il y a deux roüets qui joüent aussi par la longueur du vaisseau, pour manœuvrer tant les cargues bouline, que les cargues fond de misene, & la drisse du petit hunier, & les boulines du grand hunier : ces quatre blocs, ou plûtôt bittons, ont un traversin qui a 9 pouces en quarré.

Vers le bord par derriere & tout proche du grand mât, il y a encore de semblables blocs dont les roüets joüent par le travers du vaisseau.

Il y en a encore deux autres aux bords de chaque côté, proche du mât d’artimon, pareillement quarrés, de l’épaisseur de sept pouces, dont les roüets des deux premiers, c’est-à-dire d’un de chaque côté, joüent par la longueur du vaisseau, & servent à manœuvrer les bras du grand hunier ; & les deux qui sont derriere ces deux premiers, & dont les roüets joüent en travers, servent à manœuvrer les écoutes de la voile du perroquet de foule. Derriere les deux qui sont à babord, est le sep ou bloc de drisse de la vergue d’artimon, qui a 8 pouces d’épais & 10 de large, & dont le roüet joüe par la longueur du vaisseau ; & derriere celui-ci il y en a encore un petit, pour la drisse ou perroquet de foule.

La longueur de la chambre du capitaine prise des allonges de poupe en-dedans, est de 21 piés, aussi bien que le château d’arriere ; & la longueur du château d’avant est de 33 piés.

La cuisine, qui est à stribord, a 9 piés 6 pouces de long, & 8 piés 2 pouces de large. Le derriere de la cheminée est à 4 piés 5 pouces de la cloison du derriere de la cuisine : la barre de fer de derriere est à 21 pouces de la maçonnerie ; & celle du devant a 7 pouces, & élevée d’un pié au-dessus du pavé : le tuyau par où la fumée passe a 24 pouces de largeur par la longueur du vaisseau, & 31 pouces en travers.

La dépense, qui est vis-à-vis de la cuisine, a 9 piés de long, & 7 piés 9 pouces de large, le tout à mesurer en-dehors.

La fosse aux cables, qui est le second pont, est de 26 piés 6 pouces, à mesurer de l’étrave en-dedans. La sainte-barbe a 27 piés de longueur, à mesurer de la lisse de hourdi. La soute aux poudres a 6 piés de haut, à prendre sur les vaigres proche de la carlingue. L’archipompe a 3 piés 3 pouces de diametre : aux deux côtés il y a deux soutes au biscuit, & une troisieme droit par derriere ; & dans cette derniere il y a un petit espace où l’on tient les ferrailles. Tous ces ouvrages sont faits de planches fort seches, & doubles l’une sur l’autre. Deux des soutes au biscuit sont garnies de fer-blanc, & la troisieme est enduite de poix-résine.

Les sabords du second pont sont percés à 23 pouces au-dessus de la serregouttiere, à prendre du dessus des feuillets d’embas. Les feuillets du haut sont à pareille distance de ceux du bas, à-plomb ; & les sabords ont 27 à 28 pouces de largeur par la longueur du bâtiment : ceux de l’arriere sont à 8 piés 4 pouces des estains en-dedans. La plûpart des autres ont environ 8 piés de distance entr’eux, hormis ceux entre lesquels se trouvent la cuisine & la dépense, qui sont à 14 piés 6 pouces l’un de l’autre.

Il y a 3 sabords de chaque côté dans le château d’avant, & deux dans le château d’arriere ; ils ont de largeur par la longueur du vaisseau, 2 piés de 12 pouces.

Le grand mât, sur le second pont, est par son côté qui regarde l’avant un pié plus vers l’arriere que la moitié de la longueur du vaisseau, à mesurer de l’étrave à l’étambord. Le mât de misene est posé par le centre de son diametre, à 12 piés 7 pouces de l’étrave prise en-dedans. Le milieu de la carlingue du mât d’artimon, pris sur le haut pont, est à la distance de 20 piés 6 pouces des allonges de poupe en-dedans.

Les pompes sont à 34 piés de l’étambord, dans le plus bas des façons de l’arriere : elles sont élevées aussi de 34 pouces au-dessus du troisieme pont. Les potences s’élevent de 21 pouces au-dessus des pompes, & y font 14 pouces de saillie sur le devant ; ensorte que dans les verges qui ont 10 piés 3 pouces de longueur, & 14 pouces d’épaisseur, les trous des chevilles sont à 14 pouces l’un de l’autre. Le trou pour la manche est percé à 16 pouces du bout d’en-haut de la pompe.

Il n’y a sous les sabords d’entre les deux ponts qu’une ceinte, & une autre piece qui de l’arcasse s’étend en-dedans jusqu’au revêtement. Cette ceinte a 14 pouces de largeur, & 8 d’épaisseur. La fermure ou base des sabords a 42 pouces de large par le milieu du vaisseau ; mais vers l’avant & l’arriere elle en a un peu moins, & elle a 4 pouces d’épais. La ceinte qui est au-dessus a 13 pouces de largeur, & 7 d’épaisseur. Les couples ont 14 pouces de largeur, & 3 d’épaisseur. La ceinte au-dessus a 12 pouces de largeur, & 6 pouces d’épaisseur. La base des sabords sous la lisse de vibord a 20 pouces de largeur, & 3 d’épaisseur. La lisse de vibord a 10 pouces de largeur, & 6 d’épaisseur.

Le premier bordage qui est au-dessus de la lisse de vibord, & qui la joint par l’arriere, a 14 pouces de largeur, & 2 d’épaisseur ; & l’esquain, dont la plûpart est de 9 pouces de large & de 10 pouces à l’arriere, s’emboîte dans sa rablure. Il y a dans le vaisseau cinq herpes, dont chacune embrasse deux bordages. Les lisses ont 7 pouces de largeur, & 4 d’épaisseur : le vuide ou jour de l’entre-deux est de 8 pouces.

La plus basse des aiguilles de l’éperon a 26 piés de long, mesurée par son dessus, & le bestion ou lion 12 piés : il a par son devant 28 pouces d’épaisseur de haut en bas, & 20 pouces par son derriere. L’aiguille a 16 pouces d’épaisseur de haut en bas contre l’étrave, & 11 contre le lion, & 6 entre ses griffes de devant. Les frises ont 21 pouces de largeur contre l’étrave, & 14 en-devant contre le lion.

Les plus hauts porte-vergues qui, à 9 piés de leur longueur prise par-derriere sont ornés de marmots, ont de largeur avec ces têtes, à l’endroit où elles sont, 20 pouces, & 10 d’épaisseur : ils ont contre le devant de l’étrave 10 pouces de largeur, & 6 d’épaisseur ; & au revers de l’éperon ils en ont 6 de largeur, & 4 d’épaisseur. Le plus bas porte-vergue a de largeur par son bout de derriere 8 pouces , & par son bout de devant 4 pouces , & d’épaisseur 4 pouces. Pour soûtenir les porte-vergues & fortifier tout l’éperon, il y a cinq couples de joutteraux ou courbatons aux deux côtés, dont le second de la quatrieme couple s’entretiennent en-devant chacun par un petit traversin courbé naturellement, & sans le secours de la main du charpentier. Les herpes de l’éperon sont à 13 piés 3 pouces de l’étrave, & sont par leur bout du haut à la distance de 24 piés 9 pouces l’une de l’autre.

Les bossoirs, qui ont 15 pouces d’épaisseur en quarré, font saillie en mesurant de leur milieu, jusqu’à 36 pouces au-delà les porte-vergues. Le traversin de herpes a 24 piés de longueur, & 10 ou 11 pouces d’épaisseur en quarré, & fait saillie de 11 piés au-delà des porte-vergues.

Les porte-haubans de misene ont 28 piés de long, & 20 pouces de large par-devant, & 16 par derriere : ils ont 4 pouces d’épais en-dedans, & 3 en-dehors : il y a neuf couples de haubans sur chacun de ces porte-haubans, avec une cadene plate pour le palan qui est placée entre le troisieme & le quatrieme. Les grands porte-haubans ont 35 piés de long, & la même largeur que ceux de misene, tant par-devant que par derriere ; mais ils ont, tant en-dehors qu’en-dedans, un demi-pouce d’épaisseur, & il y en a dix couples avec une cadene placée comme la précédente. Ceux du mât d’artimon ont 16 piés 6 pouces de long, & 15 de large par-devant, 12 par derriere, avec 3 pouces & demi d’épaisseur en-dedans & 3 en-dehors. Les pendeurs de palan sont placés entre le second & le troisieme couple des haubans, qui y sont au nombre de cinq couples.

Le gouvernail a 52 pouces de largeur par le bas, & 26 pouces à la jaumiere : il a par le haut 19 pouces d’épaisseur en-dehors, & 16 en-dedans. La jaumiere a 12 pouces de hauteur en-dedans, & 10 de largeur, c’est-à-dire en-travers du vaisseau, mais en-dehors, elle n’a que 10 pouces de hauteur, & 8 de largeur : les gonds de la ferrure pour prendre le gouvernail sont au nombre de sept, & ont 4 pouces moins un quart de diametre. Le timon ou la barre a de largeur de haut en bas 12 pouces, & 11 en travers, c’est-à-dire proche de la jaumiere en-dedans.

Le traversin ou quart de rond de la barre de gouvernail est posé à 21 piés du voutis, en prenant la mesure du dessus de la lisse de hourdi : il a 9 pouces en quarré ; & dans la longueur de 18 piés qui est entre les chevilles, & qui soûtient la barre dans le mouvement qu’elle fait dessus comme celui d’un sas, d’où il est aussi appellé sassoire & tamisaille, il est arqué de 4 pouces.

La manuelle, souvent aussi appellée barre de gouvernail, de même que le timon, a 12 piés 3 pouces de long, sans y comprendre la boucle. Le moulinet ou la noix qui est dans le hulot, par le moyen de laquelle la barre joue, a 14 pouces de long entre les chevilles. Le retranchement ou couvert où la barre joue est élevé de 23 pouces au-dessus de la tugue, ayant 11 piés de long en travers du vaisseau, & 13 pouces de large : il y a une petite écoutille au-dessus, par laquelle le pilote peut facilement parler & se faire entendre du timonnier.

Le grand habitacle qui est devant le timonnier a 6 piés 6 pouces de longueur, 5 piés de largeur, & 16 pouces dans les entre-deux, étant séparé en cinq. Le petit habitacle a 3 piés 6 pouces de long, 3 piés 4 pouces de haut, & 13 pouces dans les entre-deux : il est aussi divisé en trois appartemens ou fenêtres.

L’architrave qui est au-dessus de la lisse de hourdi, a 18 pouces de largeur par son milieu, & 16 pouces à chacun de ses bouts, & 5 pouces d’épaisseur : elle a autant d’arc en arriere que la lisse de hourdi, & autant de tonture au bas que les baux du troisieme pont ; mais au haut elle est arquée de deux pouces de plus : elle fait saillie de 5 piés 6 pouces derriere les allonges de poupe, & par son milieu elle est 10 pouces au-dessus des bordages du pont d’en-haut qui y aboutissent : elle est soûtenue par 14 montans de revers qui ont 7 pouces de large & 6 d’épais : les deux du milieu, entre lesquels le gouvernail passe en joüant, sont à 32 pouces l’un de l’autre : il y a sur le voutis une bonne planche de chêne, & il est bordé de planches de 2 pouces d’épaisseur.

La planche ou frise qui est au-dessus de l’architrave a 3 pouces & demi d’épaisseur, & fait saillie de 4 pouces par le haut, étant attachée & cloüée par le bas à l’architrave, pour être plus ferme, avec des clous frappés en biaisant : elle passe aussi de 11 pouces sur les côtés au-delà des bordages, sur lesquels côtés le pié de la galerie est assemblé à joints perdus.

La simaise qui est au-dessus des fenêtres de la galerie, est en-dedans à 7 piés du derriere des allonges de poupe ; & à mesurer depuis le haut de la frise qui est au-dessus de l’architrave en biaisant jusqu’au haut de la simaise, celle-ci se trouve placée 6 piés 4 pouces au-dessus de l’autre, ayant par son milieu 15 pouces de large, par ses bouts 18 pouces, & autant d’arc que l’architrave qui est au-dessous. Son épaisseur qui est de 4 pouces & demi, rentre en-dedans d’un pouce & demi autour des montans de la galerie. L’autre frise qui a 2 pouces d’épaisseur, est par le haut, dans son milieu, 36 pouces au-dessus de la plus basse frise ; & la lisse qui est au-dessus fait par derriere saillie de 12 pouces au-delà des planches.

Le pié ou le support de la galerie a 10 piés de longueur : il y a en-dedans 7 courbatons de 6 pouces de large & de 5 d’épais, & il y en a autant sous le couvert : ils font saillie de 36 pouces au-delà des allonges de poupe, vers le corps du vaisseau.

Le fronteau de la galerie est placé à 39 pouces en-devant, du côté de derriere des allonges : la planche qui est debout, & ouvragée de reliefs sur le côté de la galerie, est de 18 pouces de large par-derriere, & de 13 pouces par-devant. Les montans, avec leurs figures & ornemens, ont 12 piés de largeur, & autant d’épaisseur que les reliefs ont pû le permettre. Les termes des angles sont de même ; mais les autres sont un peu moins puissans.

La table de la chambre du capitaine a 32 pouces de hauteur, & les bans en ont 22.

Aprés avoir donné le détail & les proportions des principales pieces qui entrent dans la construction d’un vaisseau du premier rang, il convient de faire voir l’ordre que l’on suit pour disposer & placer chaque partie.

Premierement on prépare la quille, puis

2. L’étrave.

3. L’étambord.

4. La lisse de hourdi.

5. Les estains.

6. Le taquet de la clé des estains.

7. La clé des estains.

8. Les barres d’arcasse ou contrelisses.

9. Les allonges de poupe. Ensuite

10. On met la quille sur le chantier, c’est-à-dire sur les tins.

11. On ôte les allonges de poupe & les barres d’arcasse.

12. On éleve l’étrave.

13. On éleve l’étambord ; on y assemble les barres d’arcasse, sur lesquelles on pose les allonges de poupes ou de trepot, autrement les cormieres.

14. On pose une courbe sur la quille & contre l’étambord.

15. On fait la trace & le jarlot.

16. On perce les trous pour les gournables dans l’étrave, l’étambord, & la quille.

17. On assemble les gabords avec la quille ; puis

18. Les ribords, & l’on fait le platfond au niveau.

19. On pose une varangue sous l’embelle, avec un genou à chaque côté.

20. Puis on borde les fleurs, &

21. On les met à niveau quand elles ont leurs façons. Après cela

22. On fait les gabarits des trois allonges, auxquelles on joint les traversins des triangles.

23. Sur quoi on met les planches de triangle.

24. On met la baloire tout-au-tour, & les autres lisses de gabarit au-dessus, à niveau ;

25. Et aussi les arcboutans aux bouts du haut & les accores.

26. Les varangues, les genoux, les genoux de revers, les fourcats, les barres de contre-arcasses ou les contrelisses.

27. Les entremises & les taquets pour renfler.

28. On apprête les baux.

29. On dresse & l’on coud les bordages des fleurs.

30. On vaigre les fleurs.

31. On fait le triangle pour poser les baux, & de dessus

32. On dresse les allonges, où la serrebanquiere doit être cousue.

33. On attache la serrebanquiere.

34. On pose les baux, avec la vaigre de pont au-dessous.

35. On porte le triangle au haut.

36. On présente les gabarits de la seconde & de la troisieme allonge.

37. On coud le serrage, d’entre les fleurs & les baux,

38. Aux allonges.

39. On met les lisses de gabarit autour, & on y attache les arcboutans & les accores.

40. On pose en place les courbes, on vaigre le platfond ; on pose les porques, la carlingue ou contrequille, & l’on fait les carlingues des mâts.

41. On dresse la serregoutiere du haut pont.

42. On la pose.

43. Et l’on coud une ou deux vaigres au-dessus.

44. On pose les barrots du pont d’en-haut & de la sainte-barbe.

45. Ensuite on coud la serrebauquiere.

46. Et les autres serres au-dessous.

47. On gournable les fleurs.

48. On assemble l’arcasse avec les faix de pont.

49. On pose les courbatons, & l’on fait scier les barrotins.

50. On retourne au-dehors, & l’on coud le bordage sous les sabords.

51. On recoud les coutures des fleurs & les rablures.

52. On coud les bordages au-dessous de la premiere préceinte.

53. On acheve de mettre le bâtiment en état ; puis

54. On le tourne sur le côté.

55. On le redresse.

56. On attache les roses à l’étambord, & une plaque sur la quille.

57. On fait le modele du gouvernail.

58. On prépare tout pour lancer le bâtiment à l’eau, puis on le lance.

59. Quand il y est, on fait les échafauds au-dehors & par l’arriere.

60. On met les feuillets du haut des sabords tout-au-tour du vaisseau.

61. Et l’on coud les plus bas bordages ; puis après

62. On borde & éleve les hauts tout-au-tour ; l’on coud les ceintes, les couples, les lisses de vibord, le premier bordage de l’esquain, l’acastillage, & les herpes.

63. Ensuite on pose la plus haute serregoutiere,

64. Et sa vaigre au-dessus.

65. Les barrotins du premier pont,

66. Et les entremises au-dessous.

67. L’écarlingue du cabestan, & celle du mât d’artimon.

68. L’aiguille de l’éperon.

69. Les hiloires des caillebotis du pont d’en-haut.

70. Les étembraies du mât d’artimon & du cabestan.

71. On pose les barrots de la chambre du capitaine sur leurs taquets, & de même ceux du châteaud’avant.

72. La serrebauquiere au-dessous, avec les autres serres.

73. Les barrotins du haut pont.

74. On tient prêts les blocs ou marmots du gaillard-d’avant, & on les met en place.

75. Les entremises du gaillard-d’avant. Et au-dessous des barrots

76. On pose les piliers de bittes.

77. Le grand sep de drisse ou bloc, & celui du mât d’avant.

78. On borde le tillac.

79. Ensuite on travaille à la croix des montans ou allonges de poupe dans la chambre du capitaine, & au fronteau.

80. A l’éperon.

81. Aux galeries.

82. Aux sabords.

83. Aux écubiers.

84. Aux courbatons de bittes.

85. Aux accotards.

86. Au traversin de bittes.

87. On borde le château-d’avant ou gaillard.

88. On y pose les gouttieres ou gathes,

89. Et sur la dunette, & l’on y assemble les barrots & les barrotins.

90. On y coud la serregoutiere & les autres serres au-dessous.

91. On borde par-dessus, & l’on travaille aux haubans.

92. On fait les fronteaux ou cloisons de la chambre du capitaine, & l’on y fait les cabanes ou cajates.

93. On travaille aux étambraies.

94. On y fait passer les piés des mâts, & on les pose.

95. Et l’on couche le mât de beaupré.

96. On pose le cabestan.

97. On place les cadences des haubans.

98. On fait les fronteaux du demi-pont,

99. Et le fronteau du château-d’avant,

100. Et les caillebotis.

101. Ensuite on fait les écoutilles à panneaux à boîte.

102. Les dalots ou gouttieres, les pompes, & le tuyau pour l’aisement.

103. Le fronteau de la dunette.

104. Les platbords.

105. Les taquets.

106. Le fronteau de la sainte-barbe.

107. La dépense.

108. La cuisine.

109. Les bossoirs.

110. Le gouvernail.

111. Les blocs ou taquets d’écoutes.

112. On met les fargues, si on le juge nécessaire.

113. Comme aussi les lisses au-dessus du platbord, s’il en est besoin.

114. On fait les dogues d’amure.

115. Les pompes.

116. La soute au biscuit & la fosse à lion.

117. Le traversin des petites bittes sur le gaillard-d’avant.

118. Les bittons, taquets, & chevillots.

119. L’arceau au-dessus de la manuelle ou barre du gouvernail, s’il y en faut. Puis on se prend à

120. Recourir tout-autour par le dehors,

121. A souffler ou mettre le doublage, s’il en est besoin ;

122. Et l’on garnit l’étambord & le gouvernail de plaques de cuivre.

Après ces pieces principales on travaille aux menus ouvrages, comme fenêtres, portes, bancs, chambres, & retranchemens : ensuite on braie, on goudronne, on peint, &c.

Tout ce qu’on vient de voir ne regardant que le corps du vaisseau, il nous reste encore à parler de la matiere des voiles & des cordages ; articles qui demandent beaucoup de détail, & pour lesquels nous renvoyons aux mots Mats, Voiles, Cordages. Voyez aussi Navire. (Z)