Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est un petit in-4°. de 19 pages en comptant la préface, est, comme on voit, en latin, & on pourroit la regarder, pour m’exprimer dans la langue favorite de l’auteur, veluti elenchum aliquot Medicinæ principum sententiarum : en effet, l’auteur parcourt les Medecins grecs, arabes, & latins ; il en donne une liste, & il prouve qu’ils étoient la plûpart attachés au système des crises, ce dont je crois que personne n’a jamais douté. M. Normand paroît fort occupé à la lecture des anciens ; c’est pourquoi sans doute il s’arrête parmi les modernes à M. Mead & au docteur Bark : de sorte qu’on ne sait pas si les Vanswienten, les Solano, les Nihell, & bien d’autres, sont encore parvenus jusqu’à Dole.

Au reste M. Normand cite beaucoup d’auteurs ; son ouvrage n’est qu’une chaîne de passages & d’autorités. Une partie de la dissertation d’Hoffman, de fato medico & physico, dans laquelle ce medecin rapporte tout ce que l’on a dit des septenaires, fait le premier chapitre de la dissertation de M. Normand. L’auteur termine ce premier chapitre en citant contre Themison disciple d’Asclepiade, & par conséquent fort opposé aux crises, ce vers de Juvénal :

Quot Themison ægros autumno occiderit uno.


Bien des gens pourront penser que cette réflexion n’est pas plus concluante contre Themison, que tous les traits de Moliere contre les Medecins françois ; il faut la regarder comme la plaisanterie de ce roi d’Angleterre, qui prétendoit que son medecin lui avoit tué plus de soldats que les ennemis. Ce sont-là de ces bons mots dont on ne peut jamais se servir sérieusement contre quelqu’un qu’on veut combattre ; ils font honneur à ceux auxquels on les oppose, & on pourroit présumer par le vers seul de Juvénal, que Themison fut un medecin des plus célebres.

Le deuxieme chapitre de la dissertation de M. Normand fait, à proprement parler, le corps de l’ouvrage ; on y trouve la plus pure doctrine des anciens : l’auteur n’y a rien changé. Le troisieme chapitre contient des réflexions fort judicieuses sur l’importance des crises & des jours critiques, & sur les différentes voies par lesquelles les crises se font ; il remarque que les jours critiques sont rarement de vingt-quatre heures précises, adæquate. Enfin personne ne disconviendra jamais que cet ouvrage ne puisse être de quelque utilité pour ceux qui travailleront dans la suite sur les crises. Il est fâcheux que l’auteur se soit uniquement livré à l’autorité des anciens, & qu’il n’ait pas rapporté quelques-unes de ses observations particulieres, qui n’auroient certainement pas déparé sa dissertation.

On doit se rappeller que j’ai avancé ci-dessus qu’il y avoit toûjours eu dans la faculté de Paris des medecins attachés aux dogmes de Baillou, de Houllier, de Duret, & de Fernel, qui ont renouvellé dans cette fameuse école les opinions des anciens. Je tire mes preuves, tant des différens ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde, que du recueil des theses dont M. Baron, doyen de la faculté, vient de faire imprimer le catalogue : ce catalogue fait connoître parfaitement la maniere de penser des Medecins, & les progrès de leurs opinions. C’est une espece de chronologie aussi intéressante pour l’histoire de la Medecine, que pour celle de l’esprit humain ; on y découvre les vûes précieuses de nos prédécesseurs, & les traces des efforts qu’ils ont faits pour perfectionner notre art & toutes ses branches : c’est là la source pure des différens systèmes ; ils s’y présentent tels qu’ils furent dans leur naissance. Semblable aux anciens temples dans lesquels on consacroit les observations & les découvertes en Medecine, la faculté de Paris conserve le dépôt sacré que ses illustres membres lui ont confié ; & il seroit à sou-

haiter que toutes celles de l’Europe l’imitassent à cet

égard.

Or parmi les theses trop peu connues, qu’on a soûtenues à la faculté, & qui ont quelque rapport au système des crises ; j’en choisis une qui est antérieure à tous les ouvrages des modernes dont je viens de parler, & dans laquelle on trouve la doctrine des crises exposée avec beaucoup de précision & de clarté. Cette these a pour titre : An à rectâ crisium doctrinâ & observatione medicina certior ? savoir si la saine doctrine des crises & leurs observations rendent la medecine plus certaine. Année 1741. Elle a été soûtenue sous la présidence de M. Murry, qui en est l’auteur ; & on voit qu’elle a beaucoup de rapport avec le programme de l’académie de Dijon.

M. Murry, après avoir fait quelques réflexions sur l’importance de la doctrine des crises, & sur la maniere dont elle a été arrêtée & pour ainsi dire ensevelie par les différens systèmes, en fait une exposition tirée d’Hippocrate & de Galien. Il insiste beaucoup après Prosper Martianus & Petrus Castellus, sur la nécessité qu’il y a de ne point compter scrupuleusement les jours naturels dans les maladies ; il fait voir qu’il faut s’en tenir aux redoublemens, & qu’en suivant exactement leur marche, on trouve son compte dans le calcul des anciens : ce qui fournit en effet de très-grands éclaircissemens, & qui est conforme à l’avis de Celse, qui étoit ennemi déclaré des jours critiques. D’ailleurs la these dont il est question, est pleine de préceptes sages & de réflexions très-sensées. En un mot, on doit la regarder comme un abregé parfait de tout ce que les anciens ont dit de mieux sur cette matiere, & on y trouve bien des remarques qui sont propres à l’auteur.

Cette these qui manquoit à M. Normand, a beaucoup servi à M. Aymen, qui a eu la précaution de la citer. Il en a tiré notamment trois remarques particulieres. En premier lieu, une observation rare faite par M. Murry, & conforme en tout à la loi d’Hippocrate ; cette loi est concûe en ces termes : In febribus ardentibus oculorum distorsio, aut cæcitas, aut testium tumores, aut mammarum elevatio, febrem ardentem solvit : « La fievre ardente peut se terminer par le dérangement du corps des yeux, par la perte de la vûe, par une tumeur aux testicules, ou par l’élévation des mammelles ». L’auteur de la these a précisément vû le cas de la tumeur au testicule & de la perte de la vûe, & il a cité Hippocrate, dont il a eu le plaisir de confronter la décision avec sa propre observation. La deuxieme remarque que M. Aymen a pû extraire de la these dont il est question, regarde le docteur Clifton Witringham, qui a observé pendant seize ans les maladies des habitans d’Yorck, & le changement des saisons, qui a découvert que les maladies suivoient exactement les mouvemens de la liqueur du barometre, & qui s’est convaincu que ces maladies étoient semblables à celles de la Grece. Enfin la troisieme observation est une idée très-lumineuse de M. Duverney, medecin de la faculté de Paris, qui soûtint dans une these en 1719, qu’il y avoit beaucoup d’analogie entre la théorie des crises & celle des périodes des maladies ; magnam cum periodis affiuitatem habet crisium theoria ; si enim stati sunt morborum decursus, cur non & solutiones ? Ce sont autant de matériaux pour l’éclaircissement de la doctrine des crises.

Il y auroit bien des réflexions à faire sur tous les ouvrages dont je viens de parler ; je les réduis à trois principales. 1°. On ne peut qu’admirer la sagesse de tous ces auteurs modernes, qui se contentent d’admettre la doctrine des crises comme un tissu de phénomenes démontrés par l’observation ; ils ne rappellent qu’avec une sorte d’indignation les explications