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seins ; il détermina ce monarque à s’avancer vers Tunis, sous prétexte que le roi de cette contrée lui devoit quelques années de tribut ; & saint Louis conduit par l’espérance de convertir le roi de Tunis à la religion chrétienne, descendit sous les ruines de l’ancienne Carthage. Les Maures l’assiegent dans son camp desolé par une maladie épidémique qui lui enleve un de ses fils né à Damiette pendant sa captivité ; il en est attaqué lui-même, & il en meurt. Son frere arrive, fait la paix avec les Maures, & ramene en Europe les débris de l’armée. Ainsi finirent les croisades que les Chrétiens entreprirent contre les Musulmans. Il ne nous reste plus qu’à dire un mot de celles qu’ils entreprirent contre les payens, & les uns contre les autres.

Croisade entreprise pour l’extirpation du paganisme. Il y en eut une de prêchée en Dannemark, dans la Saxe & dans la Scandinavie, contre des payens du Nord, qu’on appelloit Slaves ou Sclaves. Ils occupoient alors le bord oriental de la mer Baltique, l’Ingrie, la Livonie, la Samogetie, la Curlande, la Poméranie & la Prusse. Les chrétiens qui habitoient depuis Breme jusqu’au fond de la Scandinavie, se croiserent contr’eux au nombre de cent mille hommes ; ils perdent beaucoup de monde, ils en tuent beaucoup davantage, & ne convertissent personne.

Croisade entreprise pour l’extirpation de l’hérésie. Il y en eut une de formée contre des sectaires appellés Vaudois, des vallées du Piémont ; Albigeois, de la ville d’Alby ; bons-hommes, de leurs régularités ; & manichéens, d’un nom alors commun à tous les hérétiques. Le Languedoc étoit sur-tout infecté de ceux ci, qui ne vouloient reconnoître de lois que l’évangile. On leur envoya d’abord des juges ecclésiastiques. Le comte de Toulouse, soupçonné d’en avoir fait assassiner un, fut excommunié par Innocent III. qui délia en même tems ses sujets du serment de fidelité. Le comte qui savoit ce que peut quelquefois une bulle, fut obligé de marcher à main armée contre ses propres sujets, au milieu du duc de Bourgogne, du comte de Nevers, de Simon comte de Montfort, des évêques de Sens, d’Autun & de Nevers. Le Languedoc fut ravagé. Les évêques de Paris, de Lisieux & de Bayeux allerent aussi grossir le nombre des croisés ; leur présence ne diminua pas la barbarie des persécuteurs, & l’institution de l’inquisition en Europe fut une fin digne de couronner cette expédition.

On voit par l’histoire abregée que nous venons de faire, qu’il y eut environ cent mille hommes de sacrifiés dans les deux expéditions de S. Louis.

Cent cinquante mille dans celle de Barberousse.

Trois cents mille dans celle de Philippe-Auguste & de Richard.

Deux cents mille dans celle de Jean de Brienne.

Seize cents mille qui passerent en Asie dans les croisades antérieures.

C’est-à-dire que ces émigrations occasionnées par un esprit mal-entendu de religion, coûterent à l’Europe environ deux millions de ses habitans, sans compter ce qui en périt dans la croisade du Nord & dans celle des Albigeois.

La rançon de S. Louis coûta neuf millions de notre monnoie. On peut supposer, sans exagération, que les croisés emporterent à-peu-près chacun cent francs, ce qui forme une somme de deux cents neuf millions.

Le petit nombre de chrétiens métifs qui resterent sur les côtes de la Syrie, fut bientôt exterminé ; & vers le commencement du treizieme siecle il ne restoit pas en Asie un vestige de ces horribles guerres, dont les suites pour l’Europe furent la dépopulation de ses contrées, l’enrichissement des monasteres, l’apauvrissement de la noblesse, la ruine de la disci-

pline ecclésiastique, le mépris de l’agriculture, la disette d’especes, & une infinité de vexations exercées sous prétexte de réparer ces malheurs. Voyez les ouvrages de M. de Voltaire, & les discours sur l’histoire ecclésiastique de M. l’abbé Fleuri, d’où nous avons extrait cet article, & où l’origine, les progrès & la fin des croisades sont peintes d’une maniere beaucoup plus forte.

Croisade ou Croisette, en terme d’Astronomie ; est le nom qu’on a donné à une constellation de l’hémisphere austral, composée de quatre étoiles en forme de croix. C’est par le secours de ces quatre étoiles que les navigateurs peuvent trouver le pole antarctique. Voy. Etoile & Constellation. (O)

CROISAT, s. m. (Comm.) monnoie d’argent qui se fabrique à Genes, & qui a cours dans les états de la république ; elle a pour effigie une croix, d’où elle a pris le nom de croisat, & sur l’écusson l’image de la Vierge. Le croisat vaut, au titre de 11 deniers 2 grains, 5 liv. 15 s. 11 den. argent de France.

* CROISÉ, adj. pris subst. (Manuf. en soie, fil, coton & laine.) Il se dit de toute étoffe fabriquée à quatre marches, & où les fils de chaîne sont plus serrés par cette raison, que si elle n’avoit été travaillée qu’à deux ; ainsi toute étoffe croisée est d’un meilleur user que si elle étoit simple.

Croisé, adj. en terme de Blason, se dit du globe impérial & des bannieres où il y a une croix. Gabriel, en Italie, d’azur à trois bezans d’argent, croisés de gueules ; un croissant d’argent en abysme, & une bordure endentée d’argent & de gueules. (V)

CROISEAU, (Hist. nat.) nom qu’on a donné au biset. Voyez Biset.

CROISÉE, s. f. terme d’Architecture, en latin fenestra, formé du grec φαίνειν, reluire ; ce qui a fait jusqu’à présent regarder comme synonymes les noms de croisée & de fenêtre : néanmoins celui de croisée est plus universellement reçu, soit parce qu’anciennement on partageoit leur hauteur & leur largeur par des montans & des traverses de pierres ou de maçonnerie en forme de croix, ainsi qu’il s’en remarque encore à quelques-unes du palais du Luxembourg ; ou soit parce qu’à-présent les chassis de menuiserie qui remplissent les baies, sont formés de croisillons assemblés dans des bâtis ; de maniere qu’on appelle indistinctement croisée, non-seulement le chassis à verre, mais aussi l’ouverture qui le contient.

Les croisées sont une des parties de la décoration la plus intéressante ; leur multitude, leurs proportions, leurs formes & leurs richesses dépendant absolument de la convenance du bâtiment, on ne peut trop insister sur ces quatre manieres de considérer les croisées dans l’ordonnance d’un édifice : car comme elles se réiterent à l’infini dans les façades, c’est multiplier les erreurs que de négliger aucune des observations dont on va parler.

La trop grande quantité d’ouvertures dans un bâtiment, nuit à la décoration des dehors ; cependant cet abus gagne au point, qu’on néglige l’ordonnance des façades pour rendre, disent quelques-uns, les dedans commodes & agréables. Il est vrai que les anciens Architectes sont tombés dans un excès opposé ; mais est-il impossible de concilier ces deux systèmes ? La mode devroit-elle s’introduire jusque dans les bâtimens ? Quel contraste de voir dans une ville où regne une température reglée, un sentiment si opposé d’un siecle à l’autre, concernant la multiplicité des croisées dans des édifices toûjours également destinés à l’habitation des hommes ! Cette vicissitude provient sans doute de ce que la plûpart des Architectes ont regardé les beautés de leur art comme arbitraires, d’où est née l’inégalité de leurs productions. Pour prévenir cet abus il est un moyen cer-