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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/790

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gue & plus grosse que celles dont se servoient autrefois nos hommes d’armes. Ces soldats mettant comme la plûpart des Turcs toute leur confiance dans la fortune, leur croyance sur la prédestination les rend comme furieux & hors de sens ; & c’est de-là qu’ils ont été nommés délilers, c’est-à-dire fous, insensés. Autrefois ils fondoient sur l’ennemi sans ordre ni discipline, & réussissoient quelquefois par cette fougue impétueuse. On les a depuis assujettis à des regles, qui semblent avoir diminué leur valeur.

Un bonnet de peau de léopard, dont les ailes leur battent sur les épaules, surmonté d’un grand vol d’aigle avec la queue suspendue à un fil de fer ; de longues chausses de peau d’ours ou de loup, le poil en-dehors, avec des éperons à la hongroise longs d’un pié, & une veste de peau de lion, forment leur habit militaire ; leurs chevaux sont de même caparaçonnés de foururres.

Les bachas, beglerbegs, & autres principaux officiers, ont des délilers à leur solde quand ils vont à la guerre. Guer. mœurs des Turcs, tom. II. (G)

DÉLINQUANT, adj. pris subst. (Jurisprud.) est celui qui commet ou qui a déjà commis quelque crime ou délit. Ce terme vient du latin delinquere. Voy. ci-après Délit. (A)

DÉLIRE, s. m. (Medecine.) est un genre de lésion des fonctions animales. L’étymologie la plus vraissemblable de ce nom vient, selon plusieurs auteurs, du mot lira, qui signifie un fossé en ligne droite que l’on fait dans les champs, qui sert à diriger les sillons ; ainsi d’aberrare de lirâ, s’écarter du principal sillon, a été fait le mot delirus, appliqué par allusion à un homme qui s’écarte de la regle de la raison, parce que le délire n’est autre chose que l’égarement, l’erreur de l’esprit durant la veille, qui juge mal des choses connues de tout le monde.

L’ame est toûjours dans le même état, elle n’est susceptible d’aucune altération ; ce n’est donc pas à elle à qui il faut attribuer cet égarement, cette erreur, ce défaut de jugement, qui constituent le délire, mais à la disposition des organes du corps, auquel il a plû au Créateur de l’unir ; cela est hors de doute.

En effet les idées, en vertu de l’union des deux substances, sont attachées aux changemens qui se font sur la surface extérieure ou intérieure de la fibre médullaire du cerveau, aux impressions de mouvement qu’elle est susceptible de recevoir ; & selon que ces vibrations sont d’accord entr’elles ou ne le sont pas, l’ame qui est affectée d’une maniere semblable ou dissemblable par les idées, les unit ou les sépare ; & après en avoir jugé, elle s’y attache plus ou moins fortement, selon que cette consonnance ou dissonnance est plus ou moins grande, à proportion de la longueur, de la grosseur, & de la tension de la fibre. Voyez Ame, Cerveau, Sensation.

De ces trois qualités les deux premieres éprouvent rarement quelque altération ; il y a même lieu de douter si cela arrive jamais. Elles ne sont différentes que respectivement aux différens sujets, dont les uns ont le tissu des fibres en général plus fort, plus roide ; les autres plus foible, plus lâche, avec des combinaisons presqu’infinies. Pour ce qui est de la tension, elle est susceptible d’augmentation ou de diminution dans cet état naturel & contre-naturel, c’est-à-dire lorsqu’il y a excès.

Tant que les fibres du cerveau, dit M. de Sauvages dans son livre des nouvelles classes de maladies (1732) jouissent de l’harmonie que l’auteur de la nature a formée entr’elles par une tension proportionnée, les idées & les jugemens qui résultent du changement qu’elles éprouvent par les causes externes ou internes, sont sains & naturels, conformes à leurs objets ; mais dès que cet accord est dérangé, que les fibres deviennent trop tendues, trop

élastiques, comme dans la phrénésie, la manie (voyez Manie, Phrénésie) dans lesquelles maladies toutes les fibres qui servent aux fonctions de l’ame, ont le même défaut : dans la mélancolie, la démonomanie, où il n’y en a que quelques-unes de viciées de la même maniere (voyez Démonomanie, Mélancolie) ; dans des cas au contraire où elles sont trop relâchées, comme dans la léthargie, la stupidité (voy. Léthargie, Stupidité) : alors les idées & les jugemens, qui ne sont que la comparaison que l’esprit fait de ces idées, sont à proportion plus fortes ou plus foibles que l’impression des objets ; & comme ses opérations sont finies, les plus fortes occupant toute la faculté de penser, fixant toute son attention (voyez Attention), il n’apperçoit pas les autres : de-là vient qu’il n’en sauroit porter un jugement sain & naturel. Cet effet est commun à toutes les maladies qui viennent d’être citées, & à plusieurs autres à-peu-près semblables, dans lesquelles les fibres pechent par excès de tension, soit en général, soit quelques-unes en particulier ; elles constituent donc ces différentes especes de délire, puisque dans toutes ces différentes affections il y a erreur de l’esprit dans la veille, il se présente des idées qui ne sont pas conformes à leurs objets.

On distingue deux sortes principales de délires ; savoir le délire universel, dans lequel toutes ou un très-grand nombre de fibres du cerveau sont viciées de la maniere qui vient d’être dite ; & le délire particulier, dans lequel il n’y a que très-peu de fibres qui soient dérangées.

On observe aussi différens degrés de délire ; car quelquefois ce changement, cette altération qui se fait dans l’organe des sensations, c’est-à-dire le sensorium commune, par une cause interne, sont si peu considérables, qu’ils font une plus legere impression que ceux qui sont produits par les causes externes qui agissent sur les sens : dans ce cas les idées qui sont excitées par cette legere impression s’effacent aisément, & cedent à celles qui viennent par la perception des sens : c’est-là, en quelque façon, le premier degré de délire ; lorsque les malades croyent appercevoir certain objet par la voie des sens, & qu’étant avertis par les assistans, ils voyent aisément qu’ils se sont trompés.

Mais lorsque l’action de la cause interne sur l’organe des sensations est si forte qu’elle égale & qu’elle surpasse même l’impression qui se fait par le moyen des sens, on ne peut pas persuader aux malades que la cause de ce qu’ils sentent n’est pas hors d’eux mêmes, sur-tout s’ils ont eu autrefois de semblables idées à l’occasion des objets extérieurs : car alors ils se persuadent absolument que les mêmes causes externes les affectent, & ils se fâchent contre leurs amis qui osent nier des choses qui leur paroissent évidentes ; c’est qu’alors l’impression qui s’est faite par la cause interne, cachée dans l’organe des sensations, est si efficace qu’elle est supérieure à toute autre impression qui pourroit s’y faire. L’idée qui en résulte est toûjours présente à l’esprit, & ne peut être corrigée par aucun raisonnement : cependant les organes eux-mêmes qui servent aux jugemens sains ne sont pas entierement dénués de leurs facultés ; car s’il arrive quelque accident subit & imprévû qui attire une forte attention de la part du malade, cette nouvelle impression l’emporte sur la précédente ; ils paroissent pour le moment s’occuper de ce qui se passe réellement hors d’eux ; ils raisonnent juste en conséquence : mais la cause de cette derniere attention venant à cesser, celle qui dominoit auparavant produit son effet, & ils retombent dans leurs fausses idées comme auparavant.

Tout ce qui se passe en nous, qu’on appelle jugement, dépend de l’intime faculté de penser, qui