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ticle sur les effets du déluge, & nous tâcherons de répondre ici à la seconde. Les terribles effets du déluge ont été connus de Noé & de sa famille dans les lieux de l’Asie où il a demeuré ; ceci ne peut se contester. Quoiqu’enfermé dans l’arche, Noé dès le commencement des pluies voyoit autour de lui tout ce qui se passoit ; il vit les pluies tomber du ciel, les goufres de la terre s’ouvrir & vomir les eaux souterraines ; il vit les rivieres s’enfler, sortir de leur lit, remplir les vallées, tantôt se répandre par-dessus les sommets collatéraux qui dirigeoient leur cours, & tantôt rompre ces mêmes sommets dans les endroits les plus foibles, & se frayer de nouvelles routes au travers des continens pour aller se précipiter dans les mers. Le mont Ararat ne porte sans doute ce nom, qui signifie en langue orientale malédiction du tremblement, que parce que la famille de Noé qui prit terre aux environs de cette montagne d’Arménie, y reconnut les affreux vestiges & les effroyables dégradations que l’éruption des eaux, que la chûte des torrens, & que les tremblemens de la terre, maudite par le Seigneur, y avoient causé & laissé. Or il en a pû être de même pour les autres lieux de la terre, où des détails particuliers sur le déluge se sont conservés. C’est de cette même famille de Noé que nous les tenons ; à mesure que les descendans de ce patriarche se sont successivement répandus sur tous les continens, ils y ont reconnu par-tout les mêmes empreintes qu’avoient laissé le déluge en Arménie, & ils ont dû juger par la nature des dégradations, de la nature des causes destructives. Telle est donc la source de ces détails particuliers & propres aux contrées qui nous les donnent ; ce sont les monumens eux-mêmes qui les ont transmis & qui les transmettront à jamais. Mais, dira-t-on encore, les dates ne sont point les mêmes. Et qu’importe, si c’est toûjours le même fait ? Les Hébreux, de qui nous tenons l’histoire d’un déluge universel, sont-ils entr’eux plus d’accord sur les époques ? N’y a-t-il pas dans celles qu’ils nous donnent, de prodigieuses différences, & en convenons nous moins qu’il n’y a cependant dans leurs differens systèmes qu’un seul & même déluge ? Croyons donc qu’il en est de même à l’égard de l’histoire profane, qu’elle ne nous présente que le même fait, malgré la difference des dates ; & quant aux circonstances particulieres, que ce sont les seuls monumens qui les ont suggérées aux nouveaux habitans de la terre, & non comme on le voudroit conclure, la présence des differens témoins qui y auront survêcu ; ce qui seroit extrèmement contraire à notre foi. Les chronologistes, à la vérité, n’adopteront peut être jamais ce sentiment : mais dès qu’ils conviennent du fait, c’est une raison toute naturelle de s’en tenir pour l’époque au parti des théologiens qui trouvent ici les physiciens d’accord avec eux. Au reste, s’il y a encore dans cette solution quelque difficulté physique ou historique, c’est aux siecles, aux tems & au progrès de nos connoissances à nous les resoudre.

» On a regardé encore comme une preuve physique de l’universalité du déluge & des grands changemens qu’il a operés sur toute la face du monde, cette multitude étonnante de corps marins qui se trouvent répandus tant sur la surface de la terre que dans l’intérieur même de tous les continens, sans que l’éloignement des mers, l’étendue des régions, la hauteur des montagnes, ou la profondeur des fouilles, ayent encore pû faire connoître quelque exception dans cette surprenante singularité. Ce sont-là sans contredit des monumens encore certains d’une révolution universelle, telle qu’elle soit, & si on en excepte quelques naturalistes mo-

dernes, tous les savans & tous les hommes mêmes

sont d’accord entr’eux pour les regarder comme les médailles du déluge, & comme les reliques du monde ancien qu’il a détruit.

» Cette preuve est très-forte ; aussi a-t-elle été souvent employée. Cependant on lui a opposé l’antiquité des pyramides d’Egypte ; ces monumens remontent presqu’à la naissance du monde : cependant on découvre déja des coquilles décomposées dans la formation des pierres dont on s’est servi pour les construire. Or quelle suite énorme de siecles cette formation ne suppose-t-elle pas ? Et comment expliquer ce phénomene, sans admettre l’éternité du monde ? Expliquera-t-on la présence des corps marins dans les pierres des pyramides par une cause, & la présence des mêmes corps dans nos pierres, par une autre cause ? cela seroit ridicule : mais d’un autre côté, dans les questions où la foi est mêlée, quel besoin de tout expliquer ? D’ailleurs on doit noter ici que si la preuve que nous avons tirée des escarpemens que l’on voit régulierement disposés dans toutes les vallées du monde, étoit reconnue pour bonne & solide, cette seconde preuve, tirée des corps marins ensevelis dans nos continens, ne pourroit cependant concourir avec elle comme preuve du même fait. Car si ce sont les eaux & les torrens du déluge qui, en descendant du sommet & du milieu des continens vers les mers, ont creusé en serpentant sur la surface de la terre, tous ces profonds sillons que les hommes ont appellés des vallées ; & si ce sont eux qui, en fouillant ainsi le solide de nos continens & en les tranchant, ont produit les escarpemens de nos côteaux, de nos côtes & de nos montagnes dans tous les lieux dont la résistance & l’exposition les ont obligés malgré eux à changer de direction ; ce ne peut être par conséquent ces mêmes torrens qui y ayent apporté les corps marins, puisque ces corps marins se trouvent dans ce qui nous reste de la masse des anciens terreins tranchés. Le tremblement de terre qui a brisé le mont Ararat, & qui l’a rendu d’un aspect hydeux & effroyable, n’est pas l’agent qui a pû mettre des fossiles dans les débris entiers qui en restent ; ce n’est pas non plus l’acte qui a séparé l’Europe de l’Asie au détroit du Pont-Euxin, qui a mis dans les bancs dont l’extrémité & la coupe se découvrent dans les escarpemens & les arrachemens des terreins qui sont restés de part & d’autre, les corps marins que contient l’intérieur du pays. Ceci, je crois, n’a pas besoin de plus longue explication pour être jugé naturel & raisonnable, il n’en résulte rien de défavorable au déluge, puisqu’une seule de ces deux preuves suffit pour montrer physiquement les traces de son universalité. Il s’ensuit seulement qu’un de ces deux monumens de l’histoire de la terre appartient à quelqu’autre fait fort différent du déluge, & qui n’a point de rapport à l’époque que nous lui assignons ».

II. Le déluge reconnu universel, les philosophes ne savent où trouver l’eau qui l’a produit ; « tantôt ils n’ont employé que les eaux du globe, & tantôt des eaux auxiliaires qu’ils ont été chercher dans la vaste étendue des cieux, dans l’athmosphere, dans la queue d’une comete ».

Moyse en établit deux causes ; les sources du grand abysme furent lâchées, & les cataractes du ciel furent ouvertes : « ces expressions ne semblent nous indiquer que l’éruption des eaux soûterraines & la chûte des pluies ; mais nos physiciens ont donné bien plus de carriere à leur imagination ».

Burnet, dans son livre telluris theoria sacra, prouve qu’il s’en faut de beaucoup que toutes les eaux de l’océan eussent suffi pour submerger la terre, &