ne esset quod nos pœniteret ; il n’y auroit rien qui nous affectât de repentir. Cic. ad Quint. Fratr. l. I. ep. ij.
Souvent, dit Faber dans son thrésor au mot pœnitet, les anciens ont donné un nominatif à ce verbe : veteres & cum nominativo copularunt.
Poursuivons notre analogie. Ciceron a dit, conscientia peccatorum timore nocentes afficit (Parad. V.) ; & Parad. II. tuæ libines torquent te, conscientiæ maleficiorum tuorum stimulant se ; vos remords vous tourmentent : & ailleurs on trouve, conscientia scelerum improbos in morte vexat ; à l’article de la mort les méchans sont tourmentés par leur propre conscience.
Je dirai donc par analogie, par imitation, conscientia peccati pœnitet me, c’est-à-dire afficit me pæna ; comme Ciceron a dit, afficit timore, stimulat, vexat, torquet, mordet ; le remords, le souvenir, la pensée de ma faute m’affecte de peine, m’afflige, me tourmente ; je m’en afflige, je m’en peine, je m’en repens. Notre verbe repentir est formé de la préposition inséparable, re, retro, & de peine, se peiner du passe : Nicot écrit se pèner de ; ainsi se repentir, c’est s’affliger, se punir soi-même de ; quem pœnitet, is, dolendo, a se, quasi pœna suæ temeritatis exigit. Martinius V. pœnitet.
Le sens de la période entiere fait souvent entendre le mot qui est sousentendu : par exemple, Felix qui potuit rerum cognoscere causas (Virg. Georg. l. II. vers. 490.), l’antécédent de qui n’est point exprimé ; cependant le sens nous fait voir que l’ordre de la construction est ille qui potuit cognoscere causas rerum est felix.
Il y a une sorte d’ellipse qu’on appelle zeugma, mot grec qui signifie connexion, assemblage. Cette figure fera facilement entendue par les exemples. Salluste a dit, non de tyranno, sed de cive : non de domino, sed de parente loquimur ; où vous voyez que ce mot loquimur lie tous ces divers sens particuliers, & qu’il est sousentendu en chacun. Voilà l’ellipse qu’on appelle zeugma. Ainsi le zeugma se fait lorsqu’un mot exprime dans quelque membre d’une période, est sousentendu dans un autre membre de la même période. Souvent le mot est bien le même, eu égard à la signification ; mais il est différent par rapport au nombre ou au genre. Aquilæ volarunt, hæc ob oriente, illa ab occidente : la construction pleine est hæc volavit ab oriente, illa volavit ab occidente ; où vous voyez que volavit qui est sousentendu, differe de volarunt par le nombre : & de même dans Virgile (Æn. l. I.) hic illius arma, hic currus fuit ; où vous voyez qu’il faut sousentendre fuerunt dans le premier membre. Voici une différence par rapport au genre : utinam aut hic surdus, aut hæc muta facta sit (Ter. And. act. III. sc. j.) ; dans le premier sens on sousentend factus sit, & il y a facta dans le second. L’usage de cette sorte de zeugma est souffert en latin ; mais la langue Françoise est plus délicate & plus difficile à cet égard. Comme elle est plus assujettie à l’ordre significatif, on n’y doit sousentendre un mot déjà exprimé, que quand ce mot peut convenir également au membre de phrase où il est sousentendu. Voici un exemple qui fera entendre ma pensée : Un auteur moderne a dit, cette histoire achevera de desabuser ceux qui méritent de l’être ; on sousentend desabusés dans ce dernier membre ou incise, & c’est desabuser qui est exprimé dans le premier. C’est une négligence dans laquelle de bons auteurs sont tombés.
II. La seconde sorte de figure est le contraire de l’ellipse ; c’est lorsqu’il y a dans la phrase quelque mot superflu qui pourroit en être retranché sans rien faire perdre du sens ; lorsque ces mots ajoûtés donnent au discours ou plus de grace ou plus de netteté, ou enfin plus de force ou d’énergie, ils font une figure approuvée. Par ex. quand en certaines occasions on dit, je l’ai vû de mes yeux, je l’ai entendu
de mes propres oreilles, &c. je me meurs ; ce me n’est-là que par énergie. C’est peut-être cette raison de l’énergie qui a consacré le pléonasme en certaines façons de parler : comme quand on dit, c’est une affaire où il y va du salut de l’état ; ce qui est mieux que si l’on disoit, c’est une affaire où il va, &c. en supprimant y qui est inutile à cause de où. Car, comme on l’a observé dans les remarques & décisions de l’académie Francoise, 1698, p. 39. il y va, il y a, il en est, sont des formules autorisées dont on ne peut rien ôter.
La figure dont nous parlons est appellée pléonasme, mot grec qui signifie surabondance. Au reste la surabondance qui n’est pas consacrée par l’usage, & qui n’apporte ni plus de netteté, ni plus de grace, ni plus d’énergie, est un vice, ou du moins une négligence qu’on doit éviter : ainsi on ne doit pas joindre à un substantif une épithete qui n’ajoûte rien au sens, & qui n’excite que la même idée ; par ex. une tempête orageuse. Il en est de même de cette façon de parler, il est vrai de dire que ; de dire est entierement inutile. Un de nos auteurs a dit que Cicéron avoit étendu les bornes & les limites de l’éloquence. Défense de Voiture, pag. 1. Limites n’ajoûte rien à l’idée de bornes ; c’est un pléonasme.
III. La troisiéme sorte de figure est celle qu’on appelle syllepse ou synthese : c’est lorsque les mots sont construits selon le sens & la pensée, plûtôt que selon l’usage de la construction ordinaire ; par exemple, monstrum étant du genre neutre, le relatif qui suit ce mot doit aussi être mis au genre neutre, monstrum quod. Cependant Horace, lib. I. od. 37. a dit, fatale monstrum, quæ generosius perire quærens : mais ce prodige, ce monstre fatal, c’est Cléopatre ; ainsi Horace a dit quæ au féminin, parce qu’il avoit Cléopatre dans l’esprit. Il a donc fait la construction selon la pensée, & non selon les mots. Ce sont des hommes qui ont, &c. sont est au pluriel aussi-bien que ont, parce que l’objet de la pensée c’est des hommes plûtôt que ce, qui est ici pris collectivement.
On peut aussi résoudre ces façons de parler par l’ellipse ; car ce sont des hommes qui ont, &c. ce, c’est-à-dire les personnes qui ont, &c. sont du nombre des hommes qui, &c. Quand on dit la foiblesse des hommes est grande, le verbe est étant au singulier, s’accorde avec son nominatif la foiblesse ; mais quand on dit la plûpart des hommes s’imaginent, &c. ce mot la plûpart présente une pluralité à l’esprit ; ainsi le verbe répond à cette pluralité, qui est son correlatif. C’est encore ici une syllepse ou synthese, c’est-à-dire une figure, selon laquelle les mots sont construits selon la pensée & la chose, plûtôt que selon la lettre & la forme grammaticale : c’est par la même figure que le mot de personne, qui grammaticalement est du genre féminin, se trouve souvent suivi de il ou ils au masculin ; parce qu’alors on a dans l’esprit l’homme ou les hommes dont on parle qui sont physiquement du genre masculin. C’est par cette figure que l’on peut rendre raison de certaines phrases où l’on exprime la particule ne, quoiqu’il semble qu’elle dût être supprimée, comme lorsqu’on dit, je crains qu’il ne vienne, j’empêcherai qu’il ne vienne, j’ai peur qu’il n’oublie, &c. En ces occasions on est occupé du desir que la chose n’arrive pas ; on a la volonté de faire tout ce qu’on pourra, afin que rien n’apporte d’obstacle à ce qu’on souhaite : voilà ce qui fait énoncer la négation.
IV. La quatrieme sorte de figure, c’est l’hyperbate, c’est-à-dire confusion, mêlange de mots : c’est lorsque l’on s’écarte de l’ordre successif de la construction simple ; Saxa vocant Itali, mediis, quæ in fluctibus, aras (Virg. Æneid. l. I. v. 113.) ; la construction est Itali vocant aras illa saxa quæ sunt in fluctibus mediis. Cette figure étoit, pour ainsi dire, na-