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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/84

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turelle au latin ; comme il n’y avoit que les terminaisons des mots, qui dans l’usage ordinaire fussent les signes de la relation que les mots avoient entre eux, les Latins n’avoient égard qu’à ces terminaisons, & ils plaçoient les mots selon qu’ils étoient présentés à l’imagination, ou selon que cet arrangement leur paroissoit produire une cadence & une harmonie plus agréable ; mais parce qu’en françois les noms ne changent point de terminaison, nous sommes obligés communément de suivre l’ordre de la relation que les mots ont entre eux. Ainsi nous ne saurions faire usage de cette figure, que lorsque le rapport des correlatifs n’est pas difficile à appercevoir ; nous ne pourrions pas dire comme Virgile :

Frigidus, ô pueri, fagite hinc, latet anguis in herbâ.

Eccl. III. v. 93.


L’adjectif frigidus commence le vers, & le substantif anguis en est séparé par plusieurs mots, sans que cette séparation apporte la moindre confusion. Les terminaisons font aisément rapprocher l’un de l’autre à ceux qui savent la langue : mais nous ne serions pas entendus en françois, si nous mettions un si grand intervalle entre le substantif & l’adjectif ; il faut que nous disions fuyez, un froid serpent est caché sous l’herbe.

Nous ne pouvons donc faire usage des inversions, que lorsqu’elles sont aisées à ramener à l’ordre significatif de la construction simple ; ce n’est que relativement à cet ordre, que lorsqu’il n’est pas suivi, on dit en toute langue qu’il y a inversion, & non par rapport à un prétendu ordre d’intérêt ou de passions qui ne sauroit jamais être un ordre certain, auquel on peut opposer le terme d’inversion : incerta hæc si tu postules ratione certa facere, nihilo plus agas, quam si des operam ut cum ratione insanias. Ter. Eun. act. I. sc. j. v. 16.

En effet on trouve dans Cicéron & dans chacun des auteurs qui ont beaucoup écrit ; on trouve, dis-je, en différens endroits, le même fond de pensée énoncé avec les mêmes mots, mais toûjours disposés dans un ordre différent. Quel est celui de ces divers arrangemens par rapport auquel on doit dire qu’il y a inversion ? Ce ne peut jamais être que relativement à l’ordre de la construction simple. Il n’y a inversion que lorsque cet ordre n’est pas suivi. Toute autre idée est sans fondement, & n’oppose inversion qu’au caprice ou à un goût particulier & momentanée.

Mais revenons à nos inversions françoises. Madame Deshoulieres dit :

Que les fougueux aquilons,
Sous sa nef, ouvrent de l’onde
Les gouffres les plus profonds. Deshoul. Ode.


La construction simple est, que les aquilons fougueux ouvrent sous sa nef les gouffres les plus profonds de l’onde. M. Fléchier, dans une de ses oraisons funebres, a dit, sacrifice où coula le sang de mille victimes ; la construction est, sacrifice où le sang de mille victimes coula.

Il faut prendre garde que les transpositions & le renversement d’ordre ne donnent pas lieu à des phrases louches, équivoques, & où l’esprit ne puisse pas aisément rétablir l’ordre significatif ; car on ne doit jamais perdre de vûe, qu’on ne parle que pour être entendu : ainsi lorsque les transpositions même servent à la clarté, on doit, dans le discours ordinaire, les préférer à la construction simple. Madame Deshoulieres a dit :

Dans les transports qu’inspire
Cette agréable saison,
Où le cœur, à son empire
Assujettit la raison.


L’esprit saisit plus aisément la pensée, que si cette il-

lustre dame avoit dit : dans les transports, que cette agréable saison, où le cœur assujettit la raison à son empire, inspire. Cependant en ces occasions-là mêmes

l’esprit apperçoit les rapports des mots, selon l’ordre de la construction significative.

V. La cinquieme sorte de figure, c’est l’imitation de quelque façon de parler d’une langue étrangere, ou même de la langue qu’on parle. Le commerce & les relations qu’une nation a avec les autres peuples, font souvent passer dans une langue non seulement des mots, mais encore des façons de parler, qui ne sont pas conformes à la construction ordinaire de cette langue. C’est ainsi que dans les meilleurs auteurs Latins on observe des phrases greques, qu’on appelle des hellenismes : c’est par une telle imitation qu’Horace a dit (l. III. ode 30. v. 12.) Daunus agrestium regnavit populorum. Les Grecs disent ἐϐασίλευσε τῶν λαῶν. Il y en a plusieurs autres exemples ; mais dans ces façons de parler greques, il y a ou un nom substantif sousentendu, ou quelqu’une de ces prépositions greques qui se construisent avec le génitif : ici on sousentend βασιλώαν, comme M. Dacier l’a remarqué, regnavit regnum populorum : Horace a dit ailleurs, regnata rura. (l. II. od. vj. v. 11.) Ainsi quand on dit que telle façon de parler est une phrase greque, cela veut dire que l’ellipse d’un certain mot est en usage en grec dans ces occasions, & que cette ellipse n’est pas en usage en latin dans la construction usuelle ; qu’ainsi on ne l’y trouve que par imitation des Grecs. Les Grecs ont plusieurs prépositions qu’ils construisent avec le génitif ; & dans l’usage ordinaire ils suppriment les prépositions, ensorte qu’il ne reste que le génitif. C’est ce que les Latins ont souvent imité. (Voyez Sanctius, & la méthode de P. R. de l’hellenisme, page 559.) Mais soit en latin, soit en grec, on doit toûjours tout réduire à la construction pleine & à l’analogie ordinaire. Cette figure est aussi usitée dans la même langue, sur-tout quand on passe du sens propre au sens figuré. On dit au sens propre, qu’un homme a de l’argent, une montre, un livre ; & l’on dit par imitation, qu’il a envie, qu’il a peur, qu’il a besoin, qu’il a faim, &c.

L’imitation a donné lieu à plusieurs façons de parler, qui ne sont que des formules que l’usage a consacrées. On se sert si souvent du pronom il pour rappeller dans l’esprit la personne déjà nommée, que ce pronom a passé ensuite par imitation dans plusieurs façons de parler, où il ne rappelle l’idée d’aucun individu particulier. Il est plûtôt une sorte de nom métaphysique idéal ou d’imitation ; c’est ainsi que l’on dit, il pleut, il tonne, il faut, il y a des gens qui s’imaginent, &c. Ce il, illud, est un mot qu’on employe par analogie, à l’imitation de la construction usuelle qui donne un nominatif à tout verbe au mode fini. Ainsi il pleut, c’est le ciel ou le tems qui est tel, qu’il fait tomber la pluie ; il faut, c’est-à-dire cela, illud, telle chose est nécessaire, savoir, &c.

VI. On rapporte à l’hellenisme une figure remarquable, qu’on appelle attraction : en effet cette figure est fort ordinaire aux Grecs, mais parce qu’on en trouve aussi des exemples dans les autres langues, j’en fais ici une figure particuliere.

Pour bien comprendre cette figure, il faut observer que souvent le méchanisme des organes de la parole apporte des changemens dans les lettres des mots qui précedent, ou qui suivent d’autres mots ; ainsi au lieu de dire régulierement ad-loqui aliquem, parler à quelqu’un, on change le d de la préposition ad en l, à cause de l’l qu’on va prononcer, & l’on dit al-loqui aliquem plûtôt que ad-loqui ; & de même ir-ruere au lieu de in-ruere, col-loqui au lieu de cum ou con-loqui, &c. ainsi l’l attire une autre l, &c.

Ce que le méchanisme de la parole fait faire à l’égard des lettres, la vûe de l’esprit tournée vers