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tent que couvertes d’un voile d’horreur, qui fait qu’on ne les regarde que comme des crimes ; de sorte que ces mots signifient plûtôt le crime de ces actions, que les actions mêmes : au lieu qu’il y a de certains mots qui les expriment sans en donner de l’horreur, & plûtôt comme plaisantes que comme criminelles, & qui y joignent même une idée d’impudence & d’effronterie. Ce sont ces mots-là qu’on appelle infames & deshonnêtes, à cause des idées accessoires que l’esprit joint aux idées principales des choses, par un effet de l’institution humaine & de l’usage reçû.

Il en est de même de certains tours, par lesquels on exprime honnêtement des actions que la bienséance ne veut pas qu’on fasse en public. Les tours délicats dont on se sert pour les exprimer sont honnêtes, parce qu’ils n’expriment pas simplement ces choses, mais aussi la disposition de celui qui en parle de cette sorte, & qui témoigne par sa retenue qu’il les envisage avec peine, & qu’il les cache autant qu’il peut, & aux autres & à soi-même ; au lieu que ceux qui en parleroient d’une autre maniere, feroient juger qu’ils prendroient plaisir à regarder ces sortes d’objets : & ce plaisir étant blâmable, il n’est pas étrange que les mots qui impriment cette idée, soient estimés contraires à l’honnêteté.

Il est donc nécessaire de se servir en parlant & en écrivant, de paroles honnêtes, pour ne point présenter des images honteuses ou dangereuses aux autres. L’honnêteté des expressions s’accorde toûjours avec l’utile, excepté dans quelques sciences où il se rencontre des matieres qu’il est permis, quelquefois même nécessaire, de traiter sans enveloppe ; & alors on ne doit pas blâmer un physicien lorsqu’il se trouve dans le cas particulier, de ne pouvoir entrer dans certains détails avec la sage retenue qui fait la décence du style, & dont il ne s’écarte qu’à regret. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

DESIGNATEUR, s. m. (Hist. anc.) vieux mot qui vient de designare, marquer ; officier romain qui désignoit, qui marquoit à chacun sa place & son rang dans les cérémonies publiques.

C’étoit une espece de maître des cérémonies qui régloit la séance, l’ordre, la marche, &c. Il y avoit des désignateurs dans les pompes funebres, dans les jeux, aux théatres, aux spectacles, qui non-seulement assignoient à chacun sa place, mais l’y conduisoient, comme il paroît par le prologue du pœnulus de Plaute.

L’agonotheta des Grecs étoit à-peu-près la même chose.

Quand le désignateur alloit lever un corps mort pour le mettre sur le bûcher, il étoit accompagné d’une troupe d’officiers des funérailles, que Séneque appelle les ministres de Libitine, Libitinarios ; tout ce cortége vêtu de noir, marchoit devant lui, comme les huissiers devant les magistrats. Sa fonction dans ces cas-là répondoit à celle de juré-crieur dans nos enterremens. (G)

DESIGNATION, s. f. (Hist. anc.) est l’action de marquer, d’indiquer, ou de faire connoître une chose. La désignation d’un tel état ou d’un tel pays, se fait par ceux qui y tiennent & qui s’y terminent.

Parmi les Romains il y avoit des désignations de consuls & d’autres magistrats, qui se faisoient quelque tems avant leur élection. On disoit consul ou préteur, ou censeur désigné. (G)

DESIMBRINGUER, v. act. (Jurispr.) ce terme usité dans les provinces de droit écrit, & dans les îles françoises de l’Amérique, signifie affranchir, libérer, ou décharger un héritage qui étoit affecté ou hypothéqué à quelque charge réelle ou hypothécaire. Il est opposé à imbringuer, qui signifie charger. On appelle biens imbringués, ceux qui sont chargés

de beaucoup de redevances ou de dettes. (A)

DESINENCE, s. f. (Gramm.) il est synonyme à terminaison, & ils se disent l’un & l’autre de la derniere syllabe d’un mot.

DESINTÉRESSÉMENT, sub. m. (Morale.) c’est cette disposition de l’ame qui nous rend insensibles aux richesses, & contens du plus étroit nécessaire. C’est peut-être en un sens la premiere des vertus, parce qu’elle est comme la sauve-garde des autres, & qu’elle les affermit en nous. C’est aussi en général celle que les malhonnêtes gens connoissent le moins ; celle à laquelle ils croyent le moins ; celle enfin qu’ils craignent, & qu’ils haissent le plus dans les autres, quand ils sont forcés de l’y reconnoître. (O)

DESIR, SOUHAIT, syn. (Gram.) ces mots désignent en général le sentiment par lequel nous aspirons à quelque chose ; avec cette différence que desir ajoûte un degré de vivacité à l’idée de souhait, & que souhait est quelquefois uniquement de compliment & de politesse : ainsi on dit les desirs d’une ame chrétienne, les souhaits de la nouvelle année, &c. (O)

Desir, (Métaph. & Morale.) espece d’inquiétude dans l’ame, que l’on ressent pour l’absence d’une chose qui donneroit du plaisir si elle étoit présente, ou du moins à laquelle on attache une idée de plaisir. Le desir est plus ou moins grand, selon que cette inquiétude est plus ou moins ardente. Un desir très-foible s’appelle velléité.

Je dis que le desir est un état d’inquiétude ; & quiconque réfléchit sur soi-même, en sera bientôt convaincu : car qui est-ce qui n’a point éprouvé dans cet état, ce que le sage dit de l’espérance (ce sentiment si voisin du desir), qu’étant différée elle fait languir le cœur ? Cette langueur est proportionnée à la grandeur du desir, qui quelquefois porte l’inquiétude à un tel point, qu’il fait crier avec Rachel : donnez-moi ce que je souhaite, donnez-moi des enfans, ou je vais mourir.

Quoique le bien & le mal présent & absent agissent sur l’esprit, cependant ce qui détermine immédiatement la volonté, c’est l’inquiétude du desir fixé sur quelque bien absent quel qu’il soit ; ou négatif, comme la privation de la douleur à l’égard d’une personne qui en est actuellement atteinte ; ou positif, comme la jouissance d’un plaisir.

L’inquiétude qui naît du desir, détermine donc la volonté ; parce que c’en est le principal ressort, & qu’en effet il arrive rarement que la volonté nous pousse à quelque action, sans que quelque desir l’accompagne. Cependant l’espece d’inquiétude qui fait partie, ou qui est du moins une suite de la plûpart des autres passions, produit le même effet ; car la haine, la crainte, la colere, l’envie, la honte, &c. ont chacune leur inquiétude, & par-là operent sur la volonté. On auroit peut-être bien de la peine à trouver quelque passion qui soit exempte de desir. Au milieu même de la joie, ce qui soûtient l’action d’où dépend le plaisir présent, c’est le desir de continuer ce plaisir, & la crainte d’en être privé. La fable du rat de ville & du rat des champs, en est le tableau. Toutes les fois qu’une plus grande inquiétude vient à s’emparer de l’esprit, elle détermine aussitôt la volonté à quelque nouvelle action, & le plaisir présent est négligé.

Quoique tout bien soit le propre objet du desir en général, cependant tout bien, celui-là même qu’on reconnoît être tel, n’émeut pas nécessairement le desir de tous les hommes ; il arrive seulement que chacun desire ce bien particulier, qu’il regarde comme devant faire une partie de son bonheur.

Il n’y a je crois personne assez destitué de raison pour nier qu’il n’y ait du plaisir dans la recherche & la connoissance de la vérité. Mallebranche à la