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lecture du traité de l’homme de Descartes, avoit de tels transports de joie, qu’il lui en prenoit des battemens de cœur qui l’obligeoient d’interrompre sa lecture. Il est vrai que la vérité invisible & méprisée n’est pas accoûtumée à trouver tant de sensibilité parmi les humains, mais les veilles des gens de lettres prouvent du moins qu’elle n’est pas indifférente à tout le monde. Et quant aux plaisirs des sens, ils ont trop de sectateurs pour qu’on puisse mettre en doute, si les hommes y sont sensibles ou non. Ainsi prenez deux hommes, l’un épris des plaisirs sensuels, & l’autre des charmes du savoir ; le premier ne desire point ce que le second aime passionnément. Chacun est content sans joüir de ce que l’autre possede, sans avoir la volonté ni l’envie de le rechercher.

Les choses sont représentées à notre ame sous différentes faces : nous ne fixons point nos desirs ni sur le même bien, ni sur le bien le plus excellent en réalité, mais sur celui que nous croyons le plus nécessaire à notre bonheur : de cette maniere, les desirs sont souvent causés par de fausses idées, toûjours proportionnés aux jugemens que nous portons du bien absent, ils en dépendent de même ; & à cet égard nous sommes sujets à tomber dans plusieurs égaremens par notre propre faute.

Enfin chacun peut observer tant en soi-même que dans les autres, que le plus grand bien visible n’excite pas toûjours les desirs des hommes, à proportion de l’excellence qu’il paroît avoir, & qu’on y reconnoît. Combien de gens sont persuadés qu’il y aura après cette vie un état infiniment heureux & infiniment au-dessus de tous les biens dont on peut joüir sur la terre ? Cependant les desirs de ces gens-là ne sont point émûs par ce plus grand bien, ni leurs volontés déterminées à aucun effort qui tende à le leur procurer. La raison de cette inconséquence, c’est qu’une portion médiocre de biens présens suffit pour donner aux hommes la satisfaction dont ils sont susceptibles.

Mais il faut aussi que ces biens se succedent perpétuellement pour leur procurer cette satisfaction ; car nous n’avons pas plûtôt joüi d’un bien, que nous soûpirons après un autre. Nos mœurs, nos modes, nos habitudes, ont tellement multiplié nos faux besoins, que le fonds en est intarissable. Tous nos vices leur doivent la naissance ; ils émanent tous du desir des richesses, de la gloire, ou des plaisirs : trois classes générales de desirs, qui se subdivisent en une infinité d’especes, & dont la joüissance n’assouvit jamais la cupidité. Les gens du commun & de la campagne, que le luxe, l’éducation & l’exemple n’ont pas gâtés, sont les plus heureux, & les plus à l’abri de la corruption. C’est pourquoi Lovelace, dans un roman moderne qui fait honneur à l’Angleterre (lettres de Clarisse), desespere d’attraper du messager de sa maitresse les lettres dont elle l’a chargé. « Crois-tu Belford (mande-t-il à son ami) qu’il y eût si grand mal, pour avoir les lettres de mon ange, de casser la tête à ce coquin ? un ministre d’état ne le marchanderoit pas : car d’entreprendre de le gagner par des présens, c’est folie ; il paroît si tranquille, si satisfait dans son état de pauvreté, qu’avec ce qui lui faut pour manger & pour boire, il n’aspire point à vivre demain plus largement qu’aujourd’hui. Quel moyen de corrompre quelqu’un qui est sans desir & sans ambition » ? Tels étoient les Fenniens, au rapport de Tacite : ces peuples, dit cet historien, en sûreté contre les hommes, en sûreté contre les dieux, étoient parvenus à ce rare avantage de n’avoir pas besoin même de desirs.

En effet les desirs naturels, c’est-à-dire ceux que la seule nature demande, sont courts & limités ; ils ne s’étendent que sur les nécessités de la vie. Les desirs artificiels, au contraire, sont illimités, immen-

ses, & superflus. Le seul moyen de se procurer le

bonheur, consiste à leur donner des bornes, & à en diminuer le nombre. C’est assez que d’être, disoit si bien à ce sujet madame de la Fayette. Ainsi, puisque la mesure des desirs est celle des inquiétudes & des chagrins, gravons bien dans nos ames ces vers admirables de la Fontaine :

Heureux qui vit chez soi,
De regler ses desirs faisant tout son emploi !
Il ne sait que par oüi-dire
Ce que c’est que la cour, la mer, & ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux
Des dignités, des biens que jusqu’au bout du monde
On suit, sans que l’effet aux promesses réponde !

La Fontaine, liv. VII. fable xij.


Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

DESIRADE ou DESCADA, (Géograph. mod.) petite île des Antilles dont les François sont les maitres : elle est située à l’orient de la grande terre de la Guadeloupe : quoique son terrein soit passable, elle n’est cependant pas habitée, n’ayant point d’eau douce.

La Desirade est célebre par l’heureuse rencontre qu’en fit Christophe Colomb, après avoir été long-tems balotté des vagues, lors de son second voyage en Amérique. Article de M. le Romain.

DESISTAT, s. m. (Jurisprud.) au parlement de Toulouse signifie desistement ou petitoire. Ce terme qui est latin, est reçu dans la pratique. On dit une demande en désistat. Voy. le style du parlement de Toulouse, par Cayron, pag. 47 & 48. (A)

DESISTEMENT, s. m. (Jurispr.) est une renonciation que l’on fait à quelque chose. Le desistement est de plusieurs sertes.

Il y a desistement par lequel on renonce à user d’un droit, d’une faculté, ou à faire valoir une prétention.

Desistement d’une action ou demande, d’un exploit, d’une requête, d’une plainte, & autres conclusions & procédures, par lequel on renonce à poursuivre ces procédures, & même à tirer avantage de ce qui a été fait.

Desistement d’un héritage, est l’acte par lequel celui qui étoit détenteur d’un héritage, en quitte la possession & la propriété à celui qui le révendique en qualité de propriétaire. Cette derniere espece de desistement differe de l’abandonnement proprement dit, que le débiteur fait à ses créanciers : il differe aussi du délaissement par hypotheque, qui est fait par le propriétaire de l’héritage à un créancier hypothécaire ; & enfin du déguerpissement qui est fait au bailleur à rente par le preneur ou ses ayans cause, pour se décharger de la continuation de la rente.

Il ne suffit pas de se desister d’une demande ou de l’héritage qui est revendiqué ; il faut en même tems offrir les dépens jusqu’au jour du desistement.

Celui au profit duquel est fait le desistement, en demande acte, si c’est en justice que les parties procedent, & obtient un jugement qui le lui octroye ; & en conséquence lui permet d’user du droit que lui donne le desistement. (A)

DESPOTISME, s. m. (Droit polit.) gouvernement tyrannique, arbitraire & absolu d’un seul homme : tel est le gouvernement de Turquie, du Mogol, du Japon, de Perse, & presque de toute l’Asie. Développons-en, d’après de célebres écrivains, le principe & le caractere, & rendons graces au ciel de nous avoir fait naitre dans un gouvernement différent, où nous obéissons avec joie au Monarque qu’il nous fait aimer.

Le principe des états despotiques est qu’un seul prince y gouverne tout selon ses volontés, n’ayant