peut déterminer que trois sortes de mots : 1° un autre nom, 2° un verbe, 3° ou enfin une préposition. Voilà les seules parties du discours qui ayent besoin d’être déterminées ; car l’adverbe ajoûte quelque circonstance de tems, de lieu, ou de maniere ; ainsi il détermine lui-même l’action ou ce qu’on dit du sujet, & n’a pas besoin d’être déterminé. Les conjonctions lient les propositions ; & à l’égard de l’adjectif, il se construit avec son substantif par le rapport d’identité.
1°. Lorsqu’un nom substantif détermine un autre nom substantif, le substantif déterminant se met au génitif en latin lumen, solis ; & en françois ce rapport se marque par la préposition de : surquoi il faut remarquer que lorsque le nom déterminant est un individu de l’espece qu’il détermine, on peut considérer le nom d’espece comme un adjectif, & alors on met les deux noms au même cas par rapport d’identité : urbs Roma, Roma quæ est urbs ; c’est ce que les Grammairiens appellent apposition. C’est ainsi que nous disons le mont Parnasse, le fleuve Don, le cheval Pegase, &c. Mais en dépit des Grammairiens modernes, les meilleurs auteurs Latins ont aussi mis au génitif le nom de l’individu, par rapport de détermination. In oppido Antiochiæ (Cic.) ; & (Virg.) celsam Butroti ascendimus urbem (Æn. l. III.v. 293.) ; exemple remarquable, car urbem Butroti est à la question quo. Aussi les commentateurs qui préférent la regle de nos Grammairiens à Virgile, n’ont pas manqué de mettre dans leurs notes, ascendimus in urbem Butrotum. Pour nous qui préférons l’autorité incontestable & soutenue des auteurs Latins, aux remarques frivoles de nos Grammairiens, nous croyons que quand on dit maneo Lutetiæ, il faut sousentendre in urbe.
2°. Quand un nom détermine un verbe, il faut suivre l’usage établi dans une langue pour marquer cette détermination. Un verbe doit être suivi d’autant de noms déterminans, qu’il y a de sortes d’émotions que le verbe excite nécessairement dans l’esprit. J’ai donné : quoi ? & à qui ?
3°. A l’égard de la préposition, nous venons d’en parler. Nous observerons seulement ici qu’une préposition ne détermine qu’un nom substantif, ou un mot pris substantivement ; & que quand on trouve une préposition suivie d’une autre, comme quand on dit pour du pain, par des hommes, &c. alors il y a ellipse pour quelque partie du pain, par quelques uns des hommes.
Autres remarques pour bien faire la construction. I. Quand on veut faire la construction d’une période, on doit d’abord la lire entierement ; & s’il y a quelque mot de sousentendu, le sens doit aider à le suppléer. Ainsi l’exemple trivial des rudimens, Deus quem adoramus, est défectueux. On ne voit pas pourquoi Deus est au nominatif ; il faut dire Deus quem adoramus est omnipotens : Deus est omnipotens, voilà une proposition ; quem adoramus en est une autre.
II. Dans les propositions absolues ou complettes, il faut toûjours commencer par le sujet de la proposition ; & ce sujet est toûjours ou un individu, soit réel, soit métaphysique, ou bien un sens total exprimé par plusieurs mots.
III. Mais lorsque les propositions sont relatives, & qu’elles forment des périodes, on commence par les conjonctions ou par les adverbes conjonctifs qui les rendent relatives ; par exemple, si, quand, lorsque, pendant que, &c. on met à part la conjonction ou l’adverbe conjonctif, & l’on examine ensuite chaque proposition séparément ; car il faut bien observer qu’un mot n’a aucun accident grammatical, qu’à cause de son service dans la seule proposition où il est employé.
IV. Divisez d’abord la proposition en sujet & en
attribut le plus simplement qu’il sera possible ; après quoi ajoûtez au sujet personnel, ou réel, ou abstrait, chaque mot qui y a rapport, soit par la raison de l’identité, ou par la raison de la détermination ; ensuite passez à l’attribut en commençant par le verbe, & ajoûtant chaque mot qui y a rapport selon l’ordre le plus simple, & selon les déterminations que les mots se donnent successivement.
S’il y a quelque adjoint ou incise qui ajoûte à la proposition quelque circonstance de tems, de maniere, ou quelqu’autre ; après avoir fait la construction de cet incise, & après avoir connu la raison de la modification qu’il a, placez-le au commencement ou à la fin de la proposition ou de la période, selon que cela vous paroîtra plus simple & plus naturel.
Par exemple, imperante Cæsare Augusto, unigenitus Dei filius Christus, in civitate David, quæ vocatur Bethleem, natus est. Je cherche d’abord le sujet personnel, & je trouve Christus ; je passe à l’attribut, & je vois est natus : je dis d’abord Christus est natus. Ensuite je connois par la terminaison, que filius unigenitus se rapporte à Christus par rapport d’identité ; & je vois que Dei étant au génitif, se rapporte à filius par rapport de détermination : ce mot Dei détermine filius à signifier ici le fils unique de Dieu ; ainsi j’écris le sujet total, Chistus unigenitus filius Dei.
Est natus, voilà l’attribut nécessaire. Natus est au nominatif, par rapport d’identité avec Christus ; car le verbe est marque simplement que le sujet est, & le mot natus dit ce qu’il est né ; est natus, est né, est celui qui naquit ; est natus, comme nous disons il est venu, il est allé. L’indication du tems passé est dans le participe venu, allé, natus, &c.
In civitate David, voilà un adjoint qui marque la circonstance du lieu de la naissance. In, préposition de lieu déterminée par civitate David. David, nom propre qui détermine civitate. David, ce mot se trouve quelquefois décliné à la maniere des Latins, David, Davidis ; mais ici il est employé comme nom hébreu, qui passant dans la langue latine sans en prendre les inflexions, est considéré comme indéclinable.
Cette cité de David est déterminée plus singulierement par la proposition incidente, quæ vocatur Bethleem.
Il y a de plus ici un autre adjoint qui énonce une circonstance de tems, imperante Cæsare Augusto. On place ces sortes d’adjoints ou au commencement ou à la fin de la proposition, selon que l’on sent la maniere de les placer apporte ou plus de grace ou plus de clarté.
Je ne voudrois pas que l’on fâtigât les jeunes gens qui commencent, en les obligeant de faire ainsi eux-mêmes la construction, ni d’en rendre raison de la maniere que nous venons de le faire ; leur cerveau n’a pas encore assez de consistance pour ces opérations refléchies. Je voudrois seulement qu’on ne les occupât d’abord qu’à expliquer un texte suivi, construit selon ces idées ; ils commenceront ainsi à les saisir par sentiment : & lorsqu’ils seront en état de concevoir les raisons de la construction, on ne leur en apprendra point d’autres que celles dont la nature & leurs propres lumieres leur feront sentir la vérité. Rien de plus facile que de les leur faire entendre peu-à-peu sur un latin où elles sont observées, & qu’on leur a fait expliquer plusieurs fois. Il en résulte deux grands avantages ; 1°. moins de dégoût & moins de peine ; 2°. leur raison se forme, leur esprit ne se gâte point, & ne s’accoûtume pas à prendre le faux pour le vrai, les ténebres pour la lumiere, ni à admettre des mots pour des choses. Quand on connoît bien les fondemens de la construction, on prend le goût de l’élégance par de fréquentes lectures des auteurs qui ont le plus de réputation.