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présente ; elle est féconde à son tour, & laisse échapper d’elle des êtres à l’infini.

26. Ce qui entend est différent de ce qui est entendu ; mais de ce que l’un entend, & l’autre est entendu, sans être identiques, ils sont co-existans ; & celui qui entend a en soi tout ce qu’il peut avoir de ressemblance & d’analogie, avec ce qu’il entend : d’où il s’ensuit :

27. Qu’il y a je ne sai quoi de suprème qui n’entend rien ; une premiere émanation qui entend ; une seconde qui est entendue, & qui conséquemment n’est pas sans ressemblance & sans affinité avec ce qui entend.

28. Où il y a intelligence, il y a multitude. L’intelligent ne peut être ce qu’il y a de premier, de simple, & d’un.

29. L’intelligent s’applique à lui-même & à sa nature ; s’il rentre dans son sein & qu’il y consomme son action, il en découlera la notion de duité, de pluralité, & celle de tous les nombres.

30. Les objets des sens sont quelque chose ; ce sont les images d’êtres ; l’entendement connoît & ce qui est en lui, & ce qui est hors de lui, & il sait que les choses existent, sans quoi il n’y auroit point d’images.

31. Les intelligibles different des sensibles, comme l’entendement differe des sens.

32. L’entendement est en même tems une infinité de choses, dont il est distingué.

33. Autant que le monde a de principes divers de fécondité, autant il a d’ames différentes, autant il y a d’idées dans l’entendement divin.

34. Ce que l’on entend, devient intime ; il s’institue une espece d’unité entre l’entendement & la chose entendue.

35. Les idées sont d’abord dans l’entendement ; l’entendement en acte ou l’intelligence, s’applique aux idées. La nature de l’entendement & des idées est donc une ; si nous les divisons, si nous en faisons des êtres essentiellement différens, c’est une suite de la marche de notre esprit, & de la maniere dont nous acquérons nos connoissances. Voilà le principe fondamental de la doctrine des idées innées.

36. L’entendement divin agit sur la matiere par ses idées, non d’une action extérieure & méchanique, mais d’une action intérieure & générale, qui n’est toutefois ni identique avec la matiere, ni séparée d’elle.

37. Les idées des irrationels sont dans l’entendement divin : mais elles n’y sont pas sous une forme irrationelle.

38. Il y a deux especes de dieux dans le ciel incorporel ; les uns intelligibles, les autres intelligens : ceux-ci sont les idées, ceux-là des entendemens béatifiés par la contemplation des idées.

39. Le troisieme principe émané du premier, est l’ame du monde.

40. Il y a deux Vénus, l’une fille du ciel, l’autre fille de Jupiter & de Dioné ; celle-ci préside aux amours des hommes ; l’autre n’a point eu de mere : elle est née avant toute union corporelle, car il ne s’en fait point dans les cieux. Cette Vénus céleste est un esprit divin ; c’est une ame aussi incorruptible que l’être dont elle est émanée ; elle réside au-dessus de la sphere sensible ; elle dédaigne de la toucher du pié : que dis-je du pié, elle n’a point de corps ; c’est un pur esprit, c’est une quintessence de ce qu’il y a de plus subtil ; inférieure, mais co-existante à son principe. Ce principe vivant la produisit ; elle en fut un acte simple ; il étoit avant elle ; il l’a aimée de toute éternité ; il s’y complaît ; son bonheur est de la contempler.

41. De cette ame divine en sont émanées d’autres, quoiqu’elle soit une ; les ames qui en sont éma-

nées, sont des parties d’elle-même, qui pénetrent

tout.

42. Elle se repose en elle-même ; rien ne l’agite & ne la distrait ; elle est toûjours une, entiere, & par-tout.

43. Il n’y a point eu de tems où l’ame manquât à cet univers ; il ne pouvoit durer sans elle ; il a toûjours été ce qu’il est. L’existence d’une masse informe ne se conçoit pas.

44. S’il n’y avoit point de corps, il n’y auroit point d’ame. Un corps est le seul lieu où une ame puisse exister ; elle n’a aucun mouvement progressif sans lui ; elle se meut, dégénere, & prend un corps en s’éloignant de son principe, comme un feu allumé sur une haute montagne, dont l’éclat va toûjours en s’affoiblissant jusqu’où les ombres commencent.

45. Le monde est un grand édifice, co-existant avec l’architecte : mais l’architecte & l’édifice ne sont pas un, quoiqu’il n’y ait pas une molécule de l’édifice où l’architecte ne soit présent. Il a fallu que ce monde fût ; il a fallu qu’il fût beau ; il a fallu qu’il le fût autant qu’il étoit possible.

46. Le monde est animé, mais il est plûtôt en son ame, que son ame n’est en lui ; elle le renferme ; il lui est intime ; il n’y a pas un point où elle ne soit appliquée, & qu’elle n’informe.

47. Cette ame si grande par sa nature, suit le monde par-tout ; elle est par-tout où il est.

48. La perfection des êtres, auxquels l’ame du monde est présente, est proportionnée à la distance du premier principe.

49. La beauté des êtres est en raison de l’énergie de l’ame en chaque point ; ils ne sont que ce qu’elle les fait.

50. L’ame est comme assoupie dans les êtres inanimés : mais ce qui s’allie à un autre, tend à se l’assimiler ; c’est ainsi qu’elle vivifie autant qu’il est en elle, ce qui de soi n’est point vivant.

51. L’ame se laisse diriger sans effort ; on la captive en lui offrant quoi que ce soit qu’elle puisse supporter, & qui la contraigne à céder une portion d’elle-même ; elle n’est pas difficile sur ce qu’on lui expose, un miroir n’admet pas plus indistinctement la représentation des objets.

La nature universelle contient en soi la raison d’une infinité de phénomenes ; & elle les produit, quand on sait la provoquer.

Voilà les principes d’où Plotin & les Eclectiques déduisirent leur enthousiasme, leur trinité, & leur théurgie spéculative & pratique ; voilà le labyrinthe dans lequel ils s’égarerent. Si l’on veut en suivre tous les détours, on conviendra qu’il. leur en auroit coûté beaucoup moins d’efforts pour rencontrer la vérité.

Principes de la psychologie des Eclectiques. Ce que l’on enseignoit dans l’école alexandrine sur la nature de l’ame de l’homme, n’étoit ni moins obscur ni plus solide que ce qu’on y débitoit sur la nature du premier principe, de l’entendement divin, & de l’ame du monde.

1. L’ame de l’homme & l’ame du monde ont la même nature, ce sont comme les deux sœurs.

2. Cependant les ames des hommes ne sont pas à l’ame du monde, ce que les parties sont au tout ; autrement l’ame du monde divisée, ne seroit pas toute entiere par-tout.

3. Il n’y a qu’une ame dans le monde, mais chaque homme a la sienne. Ces ames different, parce qu’elles n’ont pas été des écoulemens de l’ame universelle. Elles y reposoient seulement, en attendant des corps ; & les corps leur ont été départis dans le tems, par l’ame universelle qui les domine toutes.

4. Les essences vraies ne résident que dans le monde intelligible ; c’est aussi le séjour des ames ; c’est de-