lumiere bien supérieure à toute autre. Nous parlons de Dieu ; nous nous en entretenons ; nous en écrivons ; ces exercices excitent l’ame, la dirigent, la préparent à sentir la présence de Dieu ; mais c’est autre chose qui la lui communique.
28. Dieu est présent à tous, quoiqu’il paroisse absent de tous. Sa présence n’est sensible qu’aux ames qui ont établi entr’elles & cet être excellent, quelqu’analogie, quelque similitude, & qui par des purifications réitérées, se sont restituées dans l’état de pureté originelle & premiere qu’elles avoient au moment de l’émanation : alors elles voyent Dieu, autant qu’il est visible par sa nature.
29. Alors les voiles qui les enveloppoient sont déchirées, les simulacres qui les obsédoient & les éloignoient de la présence divine se sont évanoüis. Il ne leur reste aucune ombre qui empêche la lumiere éternelle de les éclairer & de les remplir.
30. L’occupation la plus digne de l’homme, est donc de séparer son ame de toutes les choses sensibles, de la ramener profondément en elle-même, de l’isoler, & de la perdre dans la contemplation jusqu’à l’entier oubli d’elle-même & de tout ce qu’elle connoît. Le quiétisme est bien ancien, comme on voit.
31. Cette profonde contemplation n’est pas notre état habituel, mais c’est le seul où nous atteignions la fin de nos desirs, & ce repos délicieux où cessent toutes les dissonnances qui nous environnent, & qui nous empêchent de goûter la divine harmonie des choses intelligibles. Nous sommes alors à la source de vie, à l’essence de l’entendement, à l’origine de l’être, à la région des vérités, au centre de tout bien, à l’océan d’où les ames s’élevent sans cesse, sans que ces émanations éternelles l’épuisent, car Dieu n’est point une masse : c’est-là que l’homme est véritablement heureux ; c’est-là que finissent ses passions, son ignorance, & ses inquiétudes ; c’est-là qu’il vit, qu’il entend, qu’il est libre, & qu’il aime : c’est-là que nous devons hâter notre retour, foulant aux piés tous les obstacles qui nous retiennent, écartant tous ces phantômes trompeurs qui nous égarent & qui nous jouent, & bénissant le moment heureux qui nous rejoint à notre principe, & qui rend au tout éternel son émanation.
32. Mais il faut attendre ce moment. Celui qui portant sur son corps une main violente l’accéléreroit, auroit au moins une passion ; il emporteroit encore avec lui quelque vain simulacre. Le philosophe ne chassera donc point son ame ; il attendra qu’elle sorte, ce qui arrivera lorsque son domicile dépérissant, l’harmonie constituée de toute éternité entre elle & lui cessera. On retrouve ici des vestiges du Leibnitianisme.
33. L’ame séparée du corps reste dans ses révolutions à-travers les cieux, ce qu’elle a le plus été pendant cette vie, ou rationnelle, ou sensitive, ou végétale. La fonction qui la dominoit dans le monde corporel, la domine encore dans le monde intelligible ; elle tient ses autres puissances inertes, engourdies, & captives. Le mauvais n’anéantit pas le bon, mais ils co-existent subordonnés.
34. Exerçons donc notre ame dans ce monde à s’élever aux choses intelligibles, si nous ne voulons pas qu’accompagnée dans l’autre de simulacres vitieux, elle ne soit précipitée de rechef du centre des émanations, condamnée à la vie sensible, animale, ou végétale, & assujettie aux fonctions brutales d’engendrer & de croître.
35. Celui qui aura respecté en lui la dignité de l’espece humaine, renaîtra homme : celui qui l’aura dégradée, renaîtra bête ; celui qui l’aura abrutie, renaîtra plante. Le vice dominant déterminera l’espece. Le tyran planera dans les airs sous la forme de quelqu’oiseau de proie.
Principes de la Cosmologie des Eclectiques. Voici ce qu’on peut tirer de plus clair de notre très-inintelligible philosophe Plotin.
1. La matiere est la base & le suppôt des modifications diverses. Cette notion a été jusqu’à présent commune à tous les Philosophes ; d’où il s’ensuit qu’il y a de la matiere dans le monde intelligible même ; car il y a des idées qui sont modifiées ; or tout mode suppose un sujet. D’ailleurs le monde intelligible n’étant qu’une copie du monde sensible, la matiere doit avoir sa représentation dans l’un, puisqu’elle a son existence dans l’autre ; or cette représentation suppose une toile matérielle, à laquelle elle soit attachée.
2. Les corps mêmes ont dans ce monde sensible un sujet qui ne peut être corps ; en effet leurs transmutations ne supposent point diminution, autrement les essences se réduiroient à rien ; car il n’est pas plus difficile d’être réduit à rien qu’à moins ; d’ailleurs ce qui renaît ne peut renaître de ce qui n’est plus.
3. La matiere premiere n’a rien de commun avec les corps, ni figure, ni qualité, ni grandeur, ni couleur ; d’où il s’ensuit qu’on n’en peut donner qu’une définition négative.
4. La matiere en général n’est point une quantité ; les idées de grandeur, d’unité, de pluralité, ne lui sont point applicables, parce qu’elle est indéfinie ; elle n’est jamais en repos ; elle produit une infinité d’especes diverses, par une fermentation intestine qui dure toujours & qui n’est jamais stérile.
5. Le lieu est postérieur d’origine à la matiere & au corps ; il ne lui est donc pas essentiel : les formes ne sont donc pas des attributs nécessaires de la quantité corporelle.
6. Qu’on ne s’imagine pas sur ces principes, que la matiere est un vain nom : elle est nécessaire : les corps en sont produits. Elle devient alors le sujet de la qualité & de la grandeur, sans perdre ses titres d’invisible & d’indéfinie.
7. C’est n’avoir ni sens ni entendement, que de rapporter l’essence & la production de l’univers au hasard.
8. Le monde a toûjours été. L’idée qui en étoit le modele, ne lui est antérieure que d’une priorité d’origine & non de tems. Comme il est très-parfait, il est la démonstration la plus évidente de la necessité & de l’existence d’un monde intelligible ; & ce monde intelligible n’étant qu’une idée, il est éternel, inaltérable, incorruptible, un.
9. Ce n’est point par induction, c’est par nécessité que l’univers existe. L’entendement agissoit sur la matiere, qui lui obéissoit sans effort ; & toutes choses naissoient.
10. Il n’y a nul effet contradictoire dans la génération d’un être par le développement de son germe ; il y a seulement une multitude de forces opposées les unes aux autres, qui réagissent & se balancent. Ainsi dans l’univers une partie est l’antagoniste d’une autre ; celle-ci veut, celle-là se refuse ; elles disparoissent quelquefois les unes & les autres dans ce conflict, pour renaître, s’entrechoquer, & disparoître encore ; & il se forme un enchaînement éternel de générations & de destructions qu’on ne peut reprocher à la nature, parce que ce seroit une folie que d’attaquer un tout dans une de ses parties.
11. L’univers est parfait ; il a tout ce qu’il peut avoir ; il se suffit à lui-même : il est rempli de dieux, de démons, d’ames justes, d’hommes que la vertu rend heureux, d’animaux, & de plantes. Les ames justes répandues dans la vaste étendue des cieux, donnent le mouvement & la vie aux corps célestes.
12. L’ame universelle est immuable. L’état de tout ce qui est digne, après elle, de notre admira-