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quoique Jesus-Christ soit dépeint & annoncé dans les Ecritures, il ne l’est pas dans toutes les parties de ces livres sacrés ; que Jesus-Christ est la fin de la loi, non entant qu’il y est figuré par-tout, mais entant qu’il est auteur de la grace & de la justice intérieure que la loi seule ne pouvoit donner : lex per Moysem data est, dit S. Jean, ch. j. vers. 17, gratia & veritas per Jesum-Christum facta est. Il n’est pas moins évident qu’on prend à contre-sens le passage de l’apôtre, hæc autem omnia in figurâ contingebant illis (Judœis), comme si tout absolument étoit figuratif dans l’ancienne loi ; car dans ce texte le mot latin figura, répond au terme grec τύπος, qui signifie exemple, modele, comme Vatable & Menochius l’ont fort bien remarqué. Or dans ce cas S. Paul veut simplement dire : toutes les choses qui sont arrivées aux Juifs, sont des exemples pour nous ; elles doivent nous regler dans ce qui nous arrive aujourd’hui ; c’est pour notre instruction qu’elles ont été écrites. Il se propose en effet, dans le chapitre jx. d’exciter la vigilance des Chrétiens & la correspondance à la grace par son propre exemple : corpus meum castigo & in servitutem redigo, ne fortè cum aliis prædicaverim, ipse reprobus efficiar. Or c’est ce qu’il confirme dans le chap. x. par l’exemple des Hébreux, qui, malgré les bienfaits dont Dieu les avoit comblés au sortir de l’Egypte, étoient devenus prévaricateurs, & l’objet des vengeances divines : non in pluribus eorum beneplacitum est Deo, nam prostrati sunt in deserto : puis il conclut, hæc autem omnia in figurâ contingebant illis, c’est-à-dire tous ces évenemens sont autant d’exemples frappans pour les Chrétiens, de ne pas se prévaloir & de ne point abuser des bienfaits de Dieu, mais de perséverer & de lui être fideles. Aussi ajoûte-t-il incontinent : ces faits ont été écrits pour notre instruction, à nous autres qui nous trouvons à la fin des tems ; que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber. Je ne prétens pas au reste, que ce texte soit absolument exclusif de tout sens figuré, puisque ce dixieme chapitre contient des figures que l’apôtre explique, telle que celle-ci : bibebant de spiritali consequente eos petrâ, petra autem erat Christus. Mais en conclure que tout est figure dans l’ancien Testament, c’est une chimere & une illusion. Enfin les Peres ne sont pas plus favorables que les Ecritures au figurisme moderne. Ils ont dit, à la vérité, que la lettre tue, mais on quel sens ? lorsqu’on s’attache si rigoureusement à la signification littérale des termes, qu’on rejette absolument tout sens métaphorique, ainsi qu’il est arrivé aux Anthropomorphites, qui, sous prétexte qu’ils lisoient dans l’Ecriture que Dieu a des piés, des mains, des yeux, &c. ont soûtenu que Dieu étoit corporel : ou lorsqu’à l’exemple des Juifs l’on ne veut reconnoître sous le sens littéral aucun sens spirituel, qui ne convienne qu’à Jesus-Christ & à son Eglise, & qu’on en borne l’accomplissement à des personnages purement historiques. Voyez Figure, Figuré, Figurisme, Anthropomorphites, Prophéties.

Il y a encore un système soûtenu par quelques théologiens modernes, après Grotius, sur le sens des prophéties en particulier, & qui consiste à dire qu’elles ont été accomplies littéralement & dans leur sens propre avant Jesus-Christ, & qu’elles ont été aussi accomplies dans la personne de cet homme Dieu, mais dans un sens plus sublime, & d’une maniere plus noble & plus distinguée. Nous en donnerons l’exposition & la réfutation à l’article Prophétie.

On sent assez que pour éviter les écarts où peut jetter une imagination échauffée, tant pour l’universalité du sens figuré à chaque page & à chaque mot de l’Ecriture, que pour ce double sens qu’on prétend trouver dans toutes les prophéties, il est nécessaire de recourir à une autorité suffisante pour

fixer & déterminer le sens des Ecritures ; autrement chaque particulier peut être l’auteur seul, & tout ensemble, le seul sectateur de la religion qu’il lui plaira d’établir & de suivre. Cette réflexion nous conduit naturellement à discuter la quatrieme question générale que nous nous sommes proposé d’éclaircir ; savoir de quelle autorité est l’Ecriture-sainte en matiere de doctrine.

IV. A l’exception des incrédules qui rejettent toute révélation, tout le monde convient que l’Ecriture-sainte étant la parole de Dieu, elle est la regle de notre foi : mais en est-elle l’unique regle ? c’est sur quoi l’on se partage.

Les Catholiques conviennent unanimement, 1°. que l’Ecriture-sainte est une des regles de notre foi, mais non pas l’unique : 2°. qu’outre la parole de Dieu écrite, il faut encore admettre la tradition ou la parole de Dieu non écrite par des écrivains inspirés, que les apôtres ont reçue de la propre bouche de Jesus-Christ, qu’ils ont transmise de vive-voix à leurs successeurs, qui est passée de main en main jusqu’à nous, par l’enseignement des ministres & des pasteurs, dont les premiers ont été instruits par les apôtres, c’est-à-dire qu’elle s’est conservée pure par la prédication des SS. docteurs qui ont écrit sur les matieres de la religion : 3°. ils ajoûtent que la fixation des vérités chrétiennes dépendant essentiellement de la connoissance des doctrines renfermées dans l’Ecriture & dans la tradition, & que chaque particulier pouvant se tromper dans l’examen & dans l’interprétation du sens des saints livres & des écrits des peres, il faut recourir à une autorité visible & infaillible dans le discernement des vérités catholiques, autorité qui n’est autre que l’Eglise enseignante, ou le corps des premiers pasteurs, avec lesquels Jesus-Christ a promis d’être jusqu’à la consommation des siecles. V. Tradition & Eglise.

Les Protestans au contraire prétendent que l’Ecriture est l’unique source, l’unique dépôt des vérités de foi. La raison seule, selon eux, est le seul juge souverain des différens sens des livres saints. Ce n’est pas qu’ils rejettent ou méprisent tous également l’autorité de la tradition. Les plus savans théologiens d’Angleterre, & entr’autres Bullus, Fell archevêque d’Oxford, Pearson évêque de Chester, Dodwel, Bingham, &c. nous ont montré le cas qu’ils faisoient des ouvrages des peres. Mais en général les Calvinistes & les Luthériens ne reconnoissent pour regle de la foi que l’Ecriture interprétée par ce qu’ils appellent l’esprit particulier, c’est-à-dire suivant le degré d’intelligence de chaque lecteur. Cette exclusion de toute autorité visible & souveraine en fait de doctrine, paroît absolument incompatible avec les diverses confessions de foi qu’ont dressées les Eglises réformées au nom de tous les particuliers, avec les synodes qu’elles ont tenus en différentes occasions pour adopter, ou maintenir, ou proscrire telle ou telle doctrine. Voyez Arminianisme & Arminien.

Les Sociniens, nés dans le sein du Protestantisme & encouragés par l’exemple de leurs peres, ont encore été plus loin qu’eux. Ils reçoivent, à la vérité, l’Ecriture ; mais au lieu de regler leur croyance sur le sens naturel qu’elle présente à l’esprit, ils s’efforcent de l’adapter à leurs propres idées. Qu’on leur propose, par exemple, le mystere de la Trinité comme faisant partie des vérités évangeliques, ils commencent par l’examiner au tribunal de la raison ; & comme les lumieres naturelles leur paroissent ne pas convenir avec les différentes parties de ce mystere, ils le rejettent hautement. Dieu, auteur de la raison naturelle, ne peut, disent-ils, être opposé à lui-même comme auteur de la religion révélée ; ainsi dès que la raison n’admet pas la vérité qui semble résulter directement de l’Ecriture, il est démontré que ce