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n’est point là son sens, & qu’il faut lui en donner un autre, quelqu’éloigné qu’il puisse être du sens littéral & naturel. Ils en ont usé de même pour attaquer les dogmes de l’Incarnation, de la Satisfaction de Jesus-Christ, de la Présence réelle, comme on peut le voir dans Socin, Crellius, Schlitingius, & dans ce vaste recueil de leurs auteurs, connu sous le titre de bibliotheque des freres Polonois. Mais pour sentir en même tems combien ces interprétations, pour la plûpart métaphoriques, sont dures & forcées, il suffit d’ouvrir la démonstration évangélique de M. Huet, le traité de l’Incarnation du P. Petau, les traités de la Trinité & de l’Incarnation de M. Vitasse, les ouvrages de Hoornebek, de Turretin, & de plusieurs autres théologiens protestans, auxquels nous devons cette justice, qu’ils ont combattu le Socinianisme avec beaucoup de force & de succès. Voyez Socinianisme.

Nous nous arrêterons d’autant moins ici à combattre la methode des Sociniens, que les raisons que nous allons proposer contre celles des Protestans, ont une force égale contre les excès du Socinianisme dont nous traiterons en son lieu avec une juste étendue. Voyez Sociniens & Socinianisme.

Nos controversistes prouvent donc contre les Protestans, que l’Ecriture-sainte n’est pas l’unique regle de notre foi, & que pour en découvrir le véritable sens l’esprit particulier est un guide infidele, mais qu’il faut recourir & s’en tenir à l’autorité de l’Eglise de J. C. seule juge infaillible en matiere de doctrine. Ils le prouvent, dis-je, 1o . par l’obscurité de l’Ecriture. Une loi, disent-ils, obscure & difficile à entendre, susceptible de sens différens & même contraires, exige un interprete & un juge infaillible qui en demêle, qui en fixe le véritable sens, & qui puisse décider souverainement les disputes qui s’élevent sur le fond même de cette loi, & sur les points de doctrine qui appartiennent à la foi. Or qui peut révoquer en doute l’obscurité de l’Ecriture en bien des points ? sans cela pourquoi tant de commentaires, de gloses, d’interprétations, de dissertations qui ont exercé la pénétration des peres & des plus beaux génies ? mais en même tems que de visions, que d’erreurs, quand on n’a voulu suivre que ses propres lumieres & qu’on s’est soustrait à la voie de l’autorité ? Tous les interpretes tant orthodoxes qu’hétérodoxes reconnoissent cette obscurité. Ces seules paroles, par exemple, hoc est corpus meum, ont donné lieu chez les Protestans à un nombre infini d’interprétations différentes. Luther y voit clairement la présence réelle, & Calvin y voit clairement l’absence réelle. L’Ecriture seule pourra-t-elle décider entr’eux ? Oüi, répond-on, en éclaircissant les passages obscurs par de moins obscurs ou d’une netteté évidente. Mais s’il arrive que l’un des deux partis conteste la prétendue clarté de ces passages, & quand on les aura tous épuisés, qui est-ce qui décidera ? La raison ou l’esprit particulier ? On sait l’usage ou plutôt l’abus que les Sociniens ont fait à cet égard de la raison ; & quant à l’esprit particulier, Luther n’aura-t-il pas autant de droit que Calvin de prétendre qu’il possede dans un degré éminent le don d’entendre & d’interpreter les Ecritures, lui qui au rapport de M. Bossuet, hist. des Variat. tom. I. liv. II. n. 28 s’exprimoit de la sorte : Je dirai sans vanité, que depuis mille ans l’Ecriture n’a jamais été ni si repurgée, ni si bien expliquée, ni mieux entendue qu’elle l’est maintenant par moi. On sent donc que par ces deux voies la dispute deviendroit interminable.

Les peres, dont ce n’est pas assûrement outrer l’éloge que de dire qu’ils ont eû le sens naturel aussi pénétrant que Luther & Calvin, & qu’ils ont au moins égalé ces deux novateurs par la variété & la profondeur des connoissances acquises, nous ont tracé une voie bien differente. En reconnoissant d’une part

l’obscurité des Ecritures, ils ont insisté sur la nécessité de recourir à une autorité extérieure & infaillible, seule capable de fixer le sens des Livres saints, & de décider souverainement des matieres de foi. Hîc forsitan requiret aliquis, dit Vincent de Lérins dans son avertissement chap. ij, cùm sit perfectus scripturarum canon, sibique ad omnia satis superque sufficiat, quid opus est ut ei ecclesiasticæ intelligentiæ jungatur autoritas ? Quia videlicet Scripturam-sacram pro ipsâ suâ altitudine non uno eodemque sensu universi accipiunt ; sed ejusdem eloquia aliter alius atque alius interpretatur, ut penè quot homines sunt, tot illinc sententiæ erui posse videantur. Aliter namque Novatianus, aliter Sabellius &c. exponit : atque idcirco multùm necesse est propter tantos tam varii erroris anfractus ut propheticæ & apostolicæ interpretationis linea secundùm ecclesiastici & catholici sensûs normam dirigatur. Or la regle dont parle ici Vincent de Lérins, n’est autre que le jugement & la décision infaillible de l’Eglise. S. Augustin n’est pas moins précis sur cette matiere : voici comme il s’exprime lib. III. de doct. Christ. cap. ij. n. 2. Cum verba propria faciunt ambiguam Scripturam, primo videndum est ne malè distinxerimus aut pronunciaverimus ; cùm ergo adhibita intentio incertum esse perviderit, quomodo distinguendum aut quomodo pronunciandum sit, consulat regulam fidei quam de Scripturarum planioribus locis & Ecclesiæ autoritate percepit. S. Augustin ne condamne pas, il approuve, il recommande même le travail & les recherches pour découvrir le vrai sens des Ecritures ; il reconnoît que les passages clairs peuvent & doivent servir à éclaircir les endroits obscurs & difficiles : mais avec cela seroit-on à couvert de toute erreur, de toute méprise ? non, il reste encore une regle la seule infaillible : l’autorité de l’Eglise : consulat regulam fidei quam de Ecclesiæ autoritate percepit. L’obscurité seule de l’Ecriture prouve donc suffisamment que l’Ecriture n’est pas l’unique regle de notre foi, & qu’il faut une autorité extérieure & infaillible qui détermine & fixe le sens des livres saints.

2o . L’Ecriture-sainte seule & par elle-même est insuffisante pour terminer toutes les disputes en matiere de foi. En effet, sans parler des disputes qui se sont élevées depuis la naissance de l’Eglise & même parmi les Protestans, soit sur le texte original, soit sur les versions de l’Ecriture, sur la canonicité des livres saints, sur le vrai sens d’une infinité de passages ; combien de points de foi que les Protestans admettent conjointement avec les Catholiques, quoiqu’ils ne soient pas expressément contenus dans l’Ecriture ? Où trouvent-ils par exemple, dans les livres saints, qu’il n’y a que quatre évangiles ; que le pere éternel, la premiere personne de la sainte Trinité, n’a pas été engendré ; que Marie a conservé sa virginité après son enfantement ; qu’on peut baptiser les enfans nouveau-nés ; que leur baptême est valide ; que le baptême des hérétiques est bon & valide ? Ils ne peuvent que répondre ainsi que nous avec Tertullien dans son livre de la Couronne. chap. jv. Hærum & aliarum ejusmodi disciplinarum, si legem expostules scripturarum, nullam invenies : traditio sibi pretendetur auctrix, consuetudo confirmatrix, & fides observatrix : & avec S. Augustin dans son livre du Baptême contre les Donatistes, chap. xxiij n. 31. sunt multa quæ universa tenet Ecclesia, & ob hoc ab apostolis præcepta benè creduntur, quanquam scripta non reperiantur. Or si l’Eglise est juge du sens de l’Ecriture, comme nous venons de le montrer, à plus forte raison l’est-elle de ses traditions non écrites qu’elle conserve dans son sein lorsqu’elle les trouve fondées, ou qu’elle rejette lorsqu’elles lui paroissent suspectes ou mal-établies.

3o . De l’aveu même des protestans, l’Ecriture est loi en matiere de doctrine ; comment pourroit-elle être en même tems juge des points controversés &