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sont recourbés par le bout qui dirige le vent dans le corps de la flamme de la lampe. Le trou dont ils sont percés à ce bout est assez petit. Il s’aggrandit à l’user, mais on le retrécit au feu de la lampe même, en le tournant quelque tems à ce feu. Il faut avoir plusieurs de ces tuyaux, qui font la fonction de chalumeaux, afin d’en rechanger quand il en est besoin : on les appelle porte-vents.

Afin que l’ouvrier ne soit point incommodé de l’ardeur de la lampe, il y a entre la lampe & lui un morceau de bois quarré, ou une platine de fer-blanc, qu’on appelle un éventail. L’éventail est fixé dans l’établi par une queue de bois, & l’ombre en est jettée sur le visage de l’ouvrier.

La lampe est de cuivre ou de fer-blanc. Elle est composée de deux pieces ; l’une, qu’on nomme la boîte, & l’autre, qui retient le nom de lampe : cette derniere est contournée en ovale ; sa surface est plate, sa hauteur est d’environ 2 pouces, & sa largeur d’environ 6 pouces. C’est dans sa capacité qu’on verse l’huile & qu’on met la meche. La meche est un gros faisceau de coton ; c’est de l’huile de navette qu’on brûle. La boîte dans laquelle la lampe est contenue, ne sert qu’à recevoir l’huile que l’ébullition causée par la chaleur du feu pourroit faire répandre. Une piece quarrée d’un pouce de hauteur, soûtient & la boîte & la lampe. Voyez cette lampe dans nos figures d’Emailleur.

Il est très-à-propos qu’il y ait au-dessus des lampes un grand entonnoir renversé, qui recçoive la fumée & qui la porte hors de l’attelier.

On conçoit aisément qu’il faut que l’attelier de l’émailleur à la lampe soit obscur, & ne reçoive point de jour naturel, sans quoi la lumiere naturelle éclipseroit en partie la lumiere de la lampe, & l’ouvrier n’appercevant plus celle-ci assez distinctement, ne travailleroit pas avec assez de sûreté.

L’attelier étant ainsi disposé & garni de plusieurs autres instrumens dont nous ferons mention ci-après, il s’agit de travailler. Nous n’entrerons point dans le détail de tous les ouvrages qu’on peut former à la lampe : nous avons averti plus haut, qu’il n’y avoit aucun objet qu’on ne pût imiter. Il suffira d’exposer la manœuvre générale des plus importans.

Les lampes garnies & allumées, & le soufflet mis en action, si l’émailleur se propose de faire une figure d’homme ou d’animal, qui soit solide, & de quelque grandeur, il commence par former un petit bâti de-fil-d’archal ; il donne à ce petit bâti la disposition générale des membres de la figure à laquelle il servira de soûtien. Il prend le bâti d’une main, & une baguette d’émail solide de l’autre : il expose cet émail à la lampe ; & lorsqu’il est suffisamment en fusion, il l’attache à son fil-d’archal, sur lequel il le contourne par le moyen du feu, de ses pinces rondes & pointues, de ses fers pointus, & de ses lames de canif, tout comme il le juge à-propos ; car les émaux qu’il employe sont extrèmement tendres, & se modelent au feu comme de la pâte : il continue son ouvrage comme il l’a commencé, employant & les émaux, & les verres, & les couleurs, comme il convient à l’ouvrage qu’il a entrepris.

Si la figure n’est pas solide, mais qu’elle soit creuse, le bâti de fil-d’archal est superflu : l’émailleur se sert d’un tube d’émail ou de verre creux, de la couleur dont il veut le corps de sa figure ; quand il a suffisamment chauffé ce tube à la lampe, il le souffle ; l’haleine portée le long de la cavité du tube jusqu’à son extrémité qui s’est bouchée en se fondant, y est arrêtée, distend l’émail par l’effort qu’elle fait en tout sens, & le met en bouteille : l’émailleur, à l’aide du feu & de ses instrumens, fait prendre à cette bouteille la forme qu’il juge à-propos ; ce sera, si l’on veut, le corps d’un cygne : lorsque le corps de l’oi-

seau est formé, il en allonge & contourne le cou ; il

forme le bec & la queue ; il prend ensuite des émaux solides de la couleur convenable, avec lesquels il fait les yeux, il ourle le bec, il forme les ailes & les pattes, & l’animal est achevé.

Une petite entaille pratiquée avec le couperet à l’endroit où le tube commence & la piece finit, en détermine la séparation ; ou cette séparation se fait à la lampe, ou d’un petit coup.

Ce que nous venons de dire est applicable à une infinité d’ouvrages différens. Il est incroyable avec quelle facilité les fleurs s’expédient. On se sert d’un fil-d’archal, dont l’extrémité sert de soûtien ; le corps de la fleur & ses feuilles s’exécutent avec des émaux & des verres creux ou solides, & de la couleur dont il est à-propos de se servir selon l’espece de fleur.

Si l’on jette les yeux sur un attelier d’émailleur composé d’un grand nombre de lampes & d’ouvriers, on en verra, ou qui soufflent des bouteilles de barometre & de thermometre, ou dont la lampe est placée sur le bout de l’établi, & qui tenant la grande pince coupante, lutent au feu & séparent à la pince des vaisseaux lutés hermétiquement ; ou qui exposant au feu une bande de glace de miroir filent l’aigrette ; l’un tient la bande de glace au feu, l’autre tire le fil & le porte sur le dévidoir, qu’il fait tourner de la plus grande vîtesse, & qui se charge successivement d’un écheveau de fil de verre d’une finesse incroyable, sans qu’il y ait rien de plus composé dans cette opération que ce que nous venons d’en dire (voyez l’article Ductilité). Lorsque l’écheveau est formé, on l’arrête & on le coupe à froid de la longueur qu’on veut : on lui donne communément depuis dix pouces jusqu’à douze. On se sert pour le couper de la lime ou du couperet, qui fait sur l’émail l’effet du diamant ; il l’entaille legérement, & cette entaille legere dirige sûrement la cassure, de quelque grosseur que soit le filet. Voyez Verre.

Tous les émaux tirés à la lampe sont ronds ; si l’on veut qu’ils soient plats, on se sert pour les applatir d’une pince de fer dont le mords est quarré : il faut se servir de cette pince, tandis qu’ils sont encore chauds.

On verra d’autres ouvriers qui souffleront de la poudre brillante. Le secret de cette poudre consiste à prendre un tuyau capillaire de verre ; à en exposer l’extrémité au feu de la lampe, ensorte qu’elle se fonde & se ferme, & à souffler dans le tube : l’extrémité qui est en fusion forme une bouteille d’un si grand volume, qu’elle n’a presque plus d’épaisseur. On laisse refroidir cette bouteille, & on la brise en une infinité de petits éclats : ce sont ces petits éclats qui forment la poudre brillante. On donne à cette poudre des couleurs différentes, en la composant des petits éclats de bulles formées de verres de différentes couleurs.

Les jayets factices dont on se sert dans les broderies, sont aussi faits d’émail. L’artifice en est tel, que chaque petite partie a son trou par où la soie peut passer. Ces trous se ménagent en tirant le tube creux en long. Quand il n’a plus que le diametre qu’on lui veut, on le coupe avec la lime ou le couperet. Les maillons dont on se sert dans le montage des métiers de plusieurs ouvriers en soie, ne se font pas autrement.

On fait avec l’émail des plumes avec lesquelles on peut écrire & peindre. On en fait aussi des boutons : on a des moules pour les former, & des ciseaux pour les couper.

On en travaille des yeux artificiels, des cadrans de montre, des perles fausses. Dans un attelier de perles soufflées, les uns soufflent ou des perles à olive, ou des perles rondes ; d’autres des boucles d’oreille, ou des perles baroques. Ces perles passent des mains de l’émailleur, entre les mains de différentes