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avant qu’il vînt à Genève : « Messieurs, je n’ai pas assez de santé pour risquer avec vous le peu qui me reste ». Mais il n’a pas hésité de confier ce reste de santé entre les mains de l’Esculape du pays, homme rare, né pour le bonheur des autres, joignant l’étude perpétuelle & la plus profonde théorie, aux observations d’une savante pratique, & ne connoissant d’expérience que celle de tous les lieux & de tous les siecles.

Aussi les vrais medecins ne se prévalent-ils jamais d’une routine habituelle ; ils croiroient deshonorer la Medecine, & se dégrader eux-mêmes, s’ils insinuoient dans le public que la capacité des Medecins s’acquiert comme celle des artisans, qui n’ont besoin que des sens & de l’habitude pour se perfectionner dans leurs métiers. En effet les praticiens qui ont une juste idée de la Medecine, & qui méritent leur réputation, ne se sont livrés au public qu’après avoir acquis un grand fonds de savoir ; & malgré un exercice presque continuel, ils ménagent chaque jour une partie de leur tems, pour entretenir & augmenter leurs connoissances par l’étude, & ils ne se décident dans la pratique que par les lumieres d’une théorie solide.

Ainsi tous ceux qui ont réduit l’expérience à l’empirisme particulier de chaque praticien, c’est-à-dire à quelques connoissances insuffisantes, obscures, équivoques, séduisantes, dangereuses, n’ont pas compris que la véritable expérience, la seule digne de ce nom, est l’expérience générale qui résulte des découvertes physiques, chimiques, anatomiques, & des observations particulieres des Medecins de tous les tems & de tous les pays ; que cette expérience est renfermée dans la théorie, & que par conséquent l’expérience approfondie, & la théorie expérimentale ou la vraie théorie, ne sont pas deux choses différentes. Ce n’est donc point par l’exercice seul de la Medecine qu’on acquiert cette théorie, ou cette expérience lumineuse qui forme les vrais medecins.

On dira peut-être qu’un grand exercice de la Medecine procure du moins aux Medecins une habitude qui les rend plus expéditifs dans la pratique : mais ne doit-on pas comprendre que cette facilité ne les rend que plus redoutables, lorsqu’ils ne sont pas suffisamment instruits ? & ne doit-on pas s’appercevoir aussi que la vraie habitude qu’on peut desirer d’un medecin, est la science théorique, puisque ce n’est que par le savoir qu’il peut se conduire facilement & sûrement dans la pratique.

Il est vrai que moins un praticien se livre à la routine, & que plus il est instruit, plus il connoît toutes les méprises dans lesquelles on peut tomber, plus aussi il hésite, plus il refléchit, plus il délibere, par ce qu’il apperçoit les difficultés : mais c’est toûjours pour la sûreté des malades qu’il est si attentif & si circonspect dans ses jugemens. Ce sont les connoissances mêmes, & non le défaut d’expérience ou d’habitude, qui retiennent un medecin prudent, & qui l’obligent, dans les cas douteux, à démêler, à examiner, à balancer, avant que de se décider.

Si le public voyoit de près les Medecins, lorsqu’ils sont eux-mêmes attaqués de quelque maladie inquiétante, il ne retrouveroit plus en eux cet air de fermeté, ce ton décisif & imposant, si ordinaire à ceux qui traitent les malades par empirisme ; & il comprendroit alors combien l’assûrance & la précipitation sont déplacées dans l’exercice d’un art si difficile & si dangereux.

Enfin, & nous ne saurions trop le répéter, ce n’est point la routine, quelque longue qu’elle puisse être, qui peut former un medecin clinique à la bonne méthode curative des maladies ; la routine ne sert qu’à multiplier ses fautes, son impéritie, & son aveu-

glement. Je sai bien que le public grossier établit

follement sa confiance dans l’empirisme d’un vieux medecin, & que c’est la routine greffée sur l’âge, qui lui donne le crédit & la réputation. Aveugle & funeste préjugé. Le praticien le plus consommé sera fort ignorant, s’il a négligé (comme c’est la coûtume) de s’approprier par une lecture perpétuelle des livres de son art, l’expérience des autres praticiens.

J’avoue qu’un medecin qui est simplement savant, qui n’a pas acquis l’habitude, & qui n’a pas observé par lui-même, est un medecin incomplet : mais il est beaucoup moins imparfait que le premier ; car les lumieres de la Medecine naissent presque toutes d’une expérience dûe aux observations d’une multitude d’hommes, & qui ne peut s’acquérir que par l’étude. Jamais un medecin ne réussira sans cette étude, & sans la profonde théorie de l’art qui doit lui servir de boussole, quoi qu’en disent les ignorans, qui ne font tort qu’à eux-mêmes en méprisant les connoissances, parce qu’elles sont au-dessus de leur portée. C’est par cette profonde théorie que Boerhaave a fixé les principes de la science médicinale, qui, à proprement parler, n’en avoit point avant lui, & qu’il a élevé par son génie & par ses travaux à ce haut degré de lumiere, qui lui a mérité le titre de réformateur de l’art.

En un mot on n’est habile dans la pratique qu’autant qu’on a les lumieres nécessaires pour déterminer la nature de la maladie qu’on traite, pour s’assûrer de sa cause, pour en prévoir les effets, pour démêler les complications, pour appercevoir les dérangemens intérieurs des solides, pour reconnoître le vice des liquides, pour découvrir la source des accidens, pour saisir les vraies indications, & les distinguer des apparences qui peuvent jetter dans des méprises & dans des fautes très-graves. Or c’est uniquement par une science lumineuse qu’on peut saisir, pénétrer, discerner tous ces objets renfermés dans l’intérieur du corps, & réellement inaccessibles à l’empirisme. Voyez Théorie, Pratique, Praticien, & tout sera dit sur cette importante matiere. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

EMPLACEMENT, s. m. terme de Gabelle, c’est la conduite & la décharge du sel dans les greniers, magasins, & lieux de dépôt. Voyez Gabelle.

Emplacement des Sels, est aussi la maniere dont les masses sont disposées dans les greniers. Cet emplacement a paru si important, soit pour la garde & conservation des sels, soit pour la sûreté des droits du roi, qu’il est porté dans les réglemens que les officiers en feront des procès-verbaux, aussi bien que de la descente des sels & de leur mesurage. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

EMPLACER LE SEL, c’est le mettre dans les greniers destinés pour la décharge, conservation, & distribution du sel. Voyez Gabelle. (G)

EMPLAIGNER, voyez Lainer.

EMPLATRE, s. m. (Pharmacie.) remede topique d’une consistance solide, capable d’être ramolli par une très-legere chaleur, & qui dans cet état peut s’étendre aisément sur une peau ou sur une toile, s’appliquer exactement à la peau, & y adhérer plus ou moins. Voyez Emplatre, (Chirurgie.)

Les matériaux des emplâtres sont différentes matieres grasses & visqueuses, les graisses de divers animaux, les huiles, les résines, les baumes, la cire, la poix, les gommes résines. Les chaux de plomb qui sont solubles par les huiles, auxquelles elles donnent de la consistance, sont des matériaux fort ordinaires des emplâtres. On a fait entrer aussi dans la composition de quelques-uns diverses substances végétales pulvérisées, & même quelques matieres minérales, comme le mercure, le magnes arsenicalis, la pierre calaminaire, la pierre hématite, les vitriols, le bol,