Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/615

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telles sont les différentes pratiques qu’il faut observer toutes les fois qu’on fera des empreintes avec les pierres gravées en creux ; & rien, comme l’on voit, n’est plus simple. Il n’en est pas de même des gravures en relief, dont on voudra pareillement avoir des empreintes : celles-ci exigent une double opération ; car la premiere empreinte qu’on en feroit ne donneroit qu’un creux, & il s’agit d’avoir un relief semblable à l’original.

Il faut donc commencer par mouler le relief, & par en tirer un creux qui servira à faire l’empreinte de relief ; & c’est ce qui est presque toûjours accompagné de grandes difficultés, & qui devient même impraticable dans certains cas. Si le relief est plat ou en très-basse taille, le moule se fera aisément avec du plâtre fin ; mais pour peu que les objets ayent de la saillie, & qu’il y ait des parties éminentes, travaillées & feuillées en-dessous, ce qui ne peut guere manquer de se rencontrer dans un relief, le plâtre dont on se sert pour faire le moule, se loge dans les cavités ; & quand on vient à le vouloir séparer de la pierre gravée, non-seulement il en reste dans ces petits creux où il s’étoit insinué, mais ces arrachemens en entraînent souvent d’autres plus considérables encore : le moule demeure imparfait, & ne peut point servir.

Après avoir fait plusieurs tentatives, l’on n’a rien trouvé de mieux pour faire ces moules, que la mie de pain & la colle-forte. Voici la maniere de procéder.

Il faut avoir de la mie de pain très-tendre, d’un pain qui soit peu cuit ; ce qu’on appelle du pain cuit-gras. On la prend entre ses doigts ; on la manie & remanie à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle commence à devenir pâteuse : on y mêle alors tant soit peu de vermillon ou de carmin : on la repaîtrit encore ; & quand on est parvenu à la rendre bien molle & bien souple, on y imprime le relief, qu’on retire sur le champ, & le moule se trouve fait & assez bien formé : car cette pâte a une espece de ressort naturel, qui fait qu’elle se prête sans se déchirer ; & comme elle embrasse assez exactement un relief dans toutes ses parties, elle s’en sépare aussi sans former aucune résistance.

Si en se détachant de la gravûre quelques portions de la pâte qui étoient entrées dans des cavités, ont été obligées de céder à des parties saillantes qu’elles ont rencontrées dans leur chemin, & de s’écarter, elles ont bientôt repris leur place. En peu de tems cette pâte se durcit, & elle acquiert assez de consistance pour devenir un moule capable de recevoir le plâtre ou le soufre liquide qu’on y veut couler. Mais elle a un défaut essentiel : quelque bien paîtrie qu’elle soit, elle ne s’insinue jamais assez parfaitement dans tous les petits traits de la gravure, elle demeure toûjours grasse & pâteuse ; de sorte que les reliefs qui sortent de ces sortes de moules, n’ont aucune finesse, & sont privés de tous ces détails qui donnent l’ame & l’esprit à un ouvrage.

C’est ce qui a fait imaginer à un curieux, homme adroit, d’employer plûtôt la colle-forte. Il est un instant où sortant d’être mise en fusion, elle a la même souplesse, le même ressort que la mie de pain réduite en pâte ; & rendue à son premier état, elle a la même dureté que celle-ci étant séchée. Ce curieux ayant fait fondre de la colle-forte dont se servent les Menuisiers, la verse encore toute chaude sur le relief qu’il veut mouler, en usant des mêmes précautions qu’on prend pour les empreintes de soufre ; & quand la colle entierement prise, est encore molle, il retire legerement sa gravure, qui reste imprimée dans la masse de la colle. Celle-ci se durcit promptement, & produit un moule aussi net & aussi exact qu’il est possible, dans lequel on peut couler du plâ-

tre ou du soufre, & l’on en tire un relief assez juste.

Mais si le trop de saillie d’une gravure a rendu l’opération du moule difficile, les empreintes qu’on doit faire dans ce même moule, rencontreront encore plus d’obstacles, & il ne faut pas même espérer qu’elles réussissent jamais. Quelques moyens qu’on employe, il y aura toûjours quelque partie du relief qui ne pouvant se dépouiller, restera dans le creux du moule. Il faut renoncer à faire des empreintes de ces sortes de gravures trop saillantes & trop évidées.

Les empreintes faites, on en abat les balevres ; on les rogne, on les lime, on leur donne une forme réguliere. Pour derniere façon on les environne de petits morceaux de carton doré sur la tranche, où elles se trouvent renfermées comme dans une bordure ; & qui, outre cette propreté qu’ils y mettent, leur servent encore de rempart contre le choc, & les rendent plus durables. Si l’on a beaucoup de ces empreintes, on leur donne un ordre ; & pour les pouvoir considérer plus commodément, on les colle sur des cartons ou sur des planches, qui, comme autant de layettes, se rangent dans une petite armoire, ainsi qu’on l’observe par rapport aux médailles.

Il est encore une autre façon de faire des empreintes des pierres gravées ; mais qui ne pouvant pas être de longue durée, n’est que pour le moment où l’on est bien aise de juger du travail d’une gravure en creux. Ce sont les empreintes qui se font avec la cire molle. L’on ne voit guere de curieux qui ne veuille avoir à la main de quoi faire de ces empreintes, & qui ne porte pour cela de la cire sur lui. Ils en font remplir de petites boîtes qui se ferment à vis, & auxquelles on donne assez volontiers la figure d’un petit œuf. La composition de cette cire est particuliere, & je ne doute point qu’on ne me sache gré d’en donner ici la recette, telle qu’une personne de l’art l’a communiquée à M. Mariette.

Sur une once de cire vierge qu’on a fait fondre doucement dans un vaisseau de terre vernissé, sans la trop échauffer, & dans laquelle on a mis un gros de sucre-candi broyé très-fin, qui en accélere la fusion, on jette (la cire étant tout-à-fait liquide) une demi-once de noir de fumée qu’on aura fait recuire pour achever de le dégraisser, & une goutte de terebenthine : on remue le tout, se servant d’une spatule, jusqu’à ce que toutes les drogues soient parfaitement incorporées ; & après l’avoir tenu un peu sur le feu, on retire la cire, on la laisse refroidir, on en fait un pain.

Pour ce qui est des pâtes ou empreintes de verre, qui imitent parfaitement les pierres fines, & qui moulées dessus, en sont des copies fideles, voyez Pate.

Voilà les manœuvres connues de tirer des empreintes de toutes sortes de pierres gravées en creux & en relief, même de tous les beaux ouvrages d’un Pyrgotele, d’un Cronius, d’un Apollonide, d’un Dioscoride, d’un Solon, d’un Hyllus. Eh quel plaisir que de pouvoir se procurer des richesses sans embarras & sans remords ! Les empreintes fournissent à un particulier l’agrément de joüir par des images parfaites, de ces morceaux rares gravés sur des pierres précieuses, qu’il n’appartient qu’aux rois & aux gens riches de posséder dans leurs cabinets.

Si les pierres gravées représentent les actions des hommes illustres de Grece & de Rome ; si elles peuvent servir à éclaircir plusieurs faits importans de la Mythologie, de l’Histoire & des coûtumes anciennes ; si elles ornent l’esprit de grandes & magnifiques idées ; en un mot, si elles sont la source d’une infinité de connoissances, comme on n’en sauroit douter, les représentations fideles de ces pierres ne procureront-elles pas les mêmes avantages ? Qu’importe pour l’utilité le prix de la matiere, l’émeraude