Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/632

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps que le frotement le plus leger pourroit emporter, elle fait une couche dure, compacte, adhérente, mince, flexible, & capable de prendre du poli.

Si le tableau étoit grand, on le brûleroit par parties en promenant par-derriere le réchaut du doreur, comme dans la méthode qui précede.

Le tableau étant brûlé, tout est fait, à moins que l’artiste n’y veuille retoucher ; & pour cela il faut l’humecter d’eau de cire. Mais il convient de glacer sa couleur ; c’est-à-dire que si l’endroit est trop brun, on y étendra une teinte plus claire, & on y répétera l’inustion : elle rétablira l’accord contre l’attente du peintre. On pourra aussi, pour retoucher l’ouvrage, se servir des pastels dont nous allons parler.

Il est évident que cette maniere est un véritable encaustique, qu’elle satisfait aux trois conditions requises, & dans l’ordre prescrit. Les cires sont colorées, on peint avec ces cires, & on brûle le tableau. Cette invention est certainement heureuse, & les effets en sont sûrs.

Quatrieme maniere de peindre en cire, selon M. Bachelier.

Prenez de l’eau de cire dont vous venez de voir la préparation ; donnez-en aux couleurs la quantité convenable ; broyez-les, transportez-les du porphyre sur un papier gris qui en boive l’humidité : appliquez dessus un morceau de carton, avant qu’elles soient entierement seches ; donnez-leur la forme ordinaire de pastels en les roulant, & laissez-les ensuite sécher lentement à l’air libre : ces pastels seront tendres & mous à s’étendre sous le doigt ; travaillez avec, & fixez la peinture par l’inustion.

C’est un encaustique du même genre que le précédent ; d’ailleurs on en sent la commodité.

Ces mêmes pastels peuvent devenir fermes & durs comme la sanguine ; il ne faut qu’avoir un petit fourneau d’émailleur avec une moufle, les mettre sous la moufle, entretenir dans le fourneau le même degré de chaleur que celui auquel on acheve de brûler un tableau, & les-y laisser exposés environ un quart-d’heure : on en pourra faire des desseins colorés qu’il n’est pas nécessaire de brûler, & que rien n’altere.

L’eau de cire de M. Bachelier a encore d’autres propriétés. Il la donne comme un excellent vernis qui n’a point les défauts des autres, & même pour le pastel. On peut l’appliquer à la brosse sur les plafonds, les lambris, le plâtre, le marbre, les boiseries des appartemens, les parquets, les équipages, &c. Quand elle est seche, il faut employer l’inustion avec le réchaut de doreur, pour l’incorporer avec les substances ; & quand elle est froide, la froter avec une brosse rude pour lui donner de l’éclat : c’est-à-dire que M. Bachelier, vraissemblablement sans le savoir, redonne le vernis encaustique de Vitruve, ou l’équivalent.

Il prétend aussi que c’est un bon mordant pour la dorure ; d’autant plus que ne faisant point d’épaisseur, elle laisse paroître tout l’art & la délicatesse de la sculpture. Il veut même qu’on puisse l’employer avec avantage pour l’or faux, en passant ensuite par-dessus une seconde couche de la même eau : tellement que la dorure étant sale, on la nettoyeroit comme de l’or fin, & qu’on pourroit y employer l’eau-forte.

Observons que les couleurs sortent de la boutique du marchand impures & mêlées de substances hétérogenes, qui venant à se combiner avec le savon de cire, produiroient peut-être des effets nuisibles. M. Bachelier les purifie de la maniere suivante.

Délayez la couleur dans l’eau pure ; partie demeurera suspendue dans l’eau, partie tombera au fond ; décantez la partie suspendue, & délayez celle qui est tombée au fond ; & ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne

tombe au fond de l’eau qu’un dépôt de matiere non-colorante. A chaque opération, la partie suspendue se déposera ; on réitérera sur ce dépôt les lotions prescrites, cinq ou six fois, & l’on aura enfin des couleurs aussi pures qu’il le faut pour être délayées avec l’eau de cire sans aucun inconvénient.

Cependant ce lavage des couleurs n’a pas paru sans difficulté, & l’eau de cire en a essuyé de plus fortes encore. Il ne s’agit pas de les dissimuler, mais d’y répondre.

Quant au lavage des couleurs, l’expérience du peintre fait face à toutes les théories qu’on lui oppose ; on sait qu’il excelle à peindre les fleurs, nul genre n’exige des couleurs plus fraîches & plus brillantes : néanmoins il lave ses couleurs, & le carmin sur-tout, & ses teintes n’en sont que plus riches ; il ne prétend pas en enlever l’excès de la partie grasse, mais les sables, les sels, & d’autres parties non colorantes. On lui démontrera, si l’on veut, que cela ne doit pas être ; mais il le pratique ainsi, & il réussit.

Quant au savon & à l’eau de cire, on dit 1°. « que regarder ce savon comme une découverte singuliere, c’est montrer qu’on n’a aucune connoissance des livres de Chimie ; qu’il n’y a pas un de ces livres qui n’apprenne que toute substance grasse est propre à faire du savon ; & l’on cite les mémoires que M. Geoffroi donna il y a environ quinze ans à l’académie, sur les savons de toute espece ! ». L’on répond à cette objection & à cette citation très-imprudente, pour n’en rien dire de plus, qu’il n’y a pas un chimiste qui ait parlé d’un savon de cire ; que dans le mémoire de M. Geoffroi on ne trouve pas seulement le mot de cire ; & que si cette découverte n’étoit ni impossible ni singuliere en elle-même, elle est du moins toute neuve & très-singuliere par l’usage que le peintre en fait.

On objecte 2°. « que tout savon en général étoit inconnu aux anciens ; qu’on ne trouve parmi eux aucun vestige de cette composition ; que tous les Chimistes conviennent que c’est une découverte moderne ; qu’elle ne peut donc avoir servi à leur peinture encaustique ». On répond qu’ils peuvent n’y avoir point employé de savon, & encore moins ce savon de cire ; mais qu’ils ne connussent aucun savon, & qu’on n’en trouve parmi eux aucun vestige, c’est ce qu’on n’a garde d’avoüer ; & les Chimistes auroient grand tort d’en convenir.

L’interprete de Théocrite rend le mot σμῆγμα par σαπώνιον, qui est le sapo des Latins, du savon.

On lit dans Paul d’Egine, σάπων ῥυπτικῆς ἐστι δυνάμεως, le savon a une vertu détersive.

Pline plus ancien qu’eux est tout autrement précis. Il dit (l. XXVIII. c. 12.) Prodest & sapo : Gallorum hoc inventum est rutilandis capillis : Fit ex sebo & cinere : Optimus fagino & caprino : Duobus modis, spissus ac liquidus : Uterque apud Germanos majore est usu viris quam feminis. « On se sert aussi du savon. C’est une invention des Gaulois pour rendre les cheveux blonds. On le fait de suif & de cendre. Le meilleur est de cendre de hêtre & de suif de chevre. Il y en a de deux sortes, du dur & du liquide. Les Germains employent l’un & l’autre, mais les hommes plus que les femmes ». Voilà le nom du savon, son origine, sa composition, ses especes, ses usages. En est-ce assez ?

On croit 3°. « que le savon de cire a tous les inconvéniens de la détrempe ; qu’on ne peut ni laver les tableaux peints en cette maniere, ni les exposer dans des endroits humides ; que ce savon s’humecteroit & se fondroit facilement, parce que l’alkali fixe qui entre dans sa composition, a toûjours une disposition prochaine à s’humecter, & que ce sel n’étant point décomposé dans le savon,