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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/633

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il y conserve toutes ses propriétés ». D’abord on ignore également si jamais l’alkali se décompose, & en quoi il pourroit se décomposer. Secondement, il n’est pas vrai en général que le savon ait toûjours une disposition prochaine à s’humecter ; puisque le savon commun, loin d’attirer l’humidité, est au contraire un des corps qui exposés à l’air, y perdent le plus facilement de la leur : d’ailleurs ce qui pourroit être vrai d’un alkali en général, ne le seroit pas pour cela d’un alkali enveloppé de cire, & d’une cire qui aura souffert l’action du feu. Enfin les faits parlent ; & les tableaux de M. Bachelier peints de cette maniere se lavent comme la cire pure, & résistent comme elle à l’humidité.

4°. L’on craint que cet alkali ne décompose plusieurs couleurs, sur-tout les blancs de plomb & de céruse, à cause de l’acide du vinaigre qui y entre. On a fait cette objection dès le commencement, & M. Bachelier la croit suffisamment réfutée par son expérience. Il employe toutes ces couleurs, & même le verd-de-gris, sans en appercevoir aucun mauvais effet. On sait bien que si le savon qu’on employe à nettoyer les tableaux séjournoit sur la peinture, elle s’enleveroit totalement lorsqu’on viendroit à les laver : mais il n’en est pas ainsi d’un savon de cire. On peut l’employer sans risque & sans crainte qu’il ne s’écaille.

Enfin on a reproché à M. Bachelier, ou plûtôt à l’auteur de l’histoire & du secret de la peinture en cire, de n’avoir point donné les proportions des mélanges de la cire avec les couleurs, comme si cela étoit possible ; & comme si M. Bachelier n’avoit pas été dans le cas où s’est trouvé M. le comte de Caylus, par rapport à ses troisieme & quatrieme manieres pour lesquelles il n’a eu garde de donner ces proportions. Ce reproche est aussi sensé que celui qu’on feroit à un auteur qui décriroit la maniere de peindre à l’huile, de ne pas donner la proportion de l’huile pour chaque couleur.

Voilà jusqu’où ont été les recherches de l’ancien encaustique. Toutes ces inventions paroissent assez intéressantes pour qu’on ne soit pas fâché d’en savoir l’histoire. Nous nous en rapporterons par-tout à la vraissemblance.

En 1749, un hasard apprit à M. Bachelier que la cire se dissolvoit dans l’essence de terebenthine. Cet évenement lui fit naître l’idée de l’appliquer à la peinture. Il fit donc dissoudre de la cire, s’en servit au lieu d’huile à délayer ses couleurs, & se mit à peindre sur une toile imprimée à l’huile, telle qu’on l’achete chez le marchand. Son tableau représentoit Zéphire & Flore. Il l’avoit travaillé avec soin, & néanmoins il eut peine à s’en défaire à un prix fort modique. Cela le fit renoncer à une invention qui ne lui parut favorable ni aux progrès de l’art, ni à l’intérêt de l’artiste : il ne s’en vanta même pas. Ce tableau fut emporté en Alsace.

Cependant M. le comte de Caylus, qui aime les arts, & les cultive, & qui depuis long-tems s’applique à éclaircir tout ce que Pline en a écrit, avoit été conduit successivement à la recherche de la peinture encaustique.

En 1753, il annonça à l’académie de Peinture son travail & ses vûes. Il lut à l’académie des Belles-Lettres des dissertations sur cette peinture ; il fit des essais, il les multiplia : il tenta tout pour la recouvrer.

En 1754, il fit exécuter par M. Vien un tableau en cire & sur bois, représentant une tête de Minerve d’après l’antique. Ce tableau fut montré, promené, & reçû comme une nouveauté digne d’attention. On vouloit savoir comment il étoit fait ; mais on étoit réduit à deviner, parce que M. de Caylus se réservoit son secret. On crut généralement qu’il étoit simplement peint à la cire dissoute dans l’essence de téré-

benthine, & en conséquence quelques-uns jugerent

que ce n’étoit ni ne pouvoit être l’encaustique des anciens.

Un homme qui a pris parti pour M. de Caylus, avec autant de passion que si son protecteur en avoit besoin, s’est attaché avec toute la mal-adresse possible à accréditer cette opinion, sur-tout quand il renvoye décidément à la tête de Minerve de M. Vien, pour prouver que l’essence de térébenthine ne noircit pas les couleurs. Mais enfin le dernier mémoire de M. de Caylus, publié en Août 1755, a bien surpris en annonçant que tout le monde avoit tort & raison ; car cette tête a été, dit-on, commencée selon sa premiere méthode, continuée selon la seconde, & terminée selon la cinquieme, où entre l’essence de terebenthine.

Au bruit que faisoit cette tête, M. Bachelier se réveilla. M. Cochin fils, auquel il parla de son premier essai en 1749, l’engagea à y revenir ; & il exécuta dans huit jours en cire dissoute & sur toile, sans avoir vû la Minerve, une grisaille qui représente une fille de huit ans. Ce morceau ne fut pas regardé sans surprise. Sa toile étoit imprimée avec de la cire pure ; mais s’étant apperçû que l’essence des couleurs agissoit trop sur cette cire, & les empêchoit de sécher promptement, il imprima une autre toile avec des couleurs détrempées à la cire dissoute, & fit un troisieme tableau. Il alla plus loin : il considéra que l’inustion étoit le caractere distinctif de l’encaustique des anciens, & que son opération n’y répondoit point. Il fit de nouvelles tentatives ; il parvint à dissoudre sa cire par le sel de tartre ; il trouva son savon & son eau de cire, en un mot la troisieme maniere, que nous avons décrite.

Ce fut alors qu’un auteur zélé pour les arts & les artistes, & impatienté de ce que M. de Caylus différoit tant à se découvrir, publia ce qu’il en pensoit & ce qu’il en savoit ; c’est-à-dire tout ce qu’en savoit M. Bachelier lui-même, & tout ce qu’on pouvoit en savoir alors : & il est très-à-propos de remarquer que cet écrit a paru long-tems avant l’ouvrage de M. de Caylus.

Il paroît par ce précis historique, que M. Bachelier est le premier qui ait peint en cire (en 1749), comme M. de Caylus est le premier qui en ait parlé (en 1753) ; & que quant à l’inustion, qui est le principal caractere de l’encaustique, M. Bachelier est le premier qui en ait parlé, & qui ait appris au public & aux artistes comment se pratiquoit cette manœuvre.

Après avoir rendu à chacun la gloire qui lui appartient, nous allons finir par dire un mot des tableaux dont leurs découvertes nous ont enrichis.

Outre le buste de Minerve, qui est le premier connu, & qui appartient à M. de la Live de July, M. Vien a fait un tableau de trois piés sur quatre, représentant dans un paysage une nymphe de Diane occupée de l’Amour endormi.

Une tête d’Anacréon, sur toile.

Deux tableaux représentant, l’un Zéphyre, & l’autre Flore.

Une petite tête de Vierge.

M. Roslin a fait son portrait.

M. le Lorrain a fait un tableau de fleurs, & une jeune personne en habit de masque.

Ces différens morceaux sont d’après M. de Caylus, mais on ne sait pas selon quelle maniere ; cependant comme il dit lui-même que tous les artistes qu’il a consultés, ont préféré sa cinquieme, il est à présumer qu’au moins la plûpart sont exécutés dans le genre que M. de Caylus dit n’être point encaustique.

M. Bachelier, outre les tableaux dont nous avons parlé, a fait des fleurs dans un vase de porcelaine.

Une jeune fille caressant une levrette.

Une tête de profil sur taffetas, & quelques autres.