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exemple, dans l’Epître de S. Jude, ℣. 7. que les villes de Sodome & Gomorre ont servi d’exemple, & qu’elles ont été exposées à la vengeance d’un feu éternel, ignis æterni pœnam sustinentes, c’est-à-dire d’un feu qui ne pouvoit s’éteindre avant que ces villes fussent entierement réduites en cendres. Il est dit aussi, dans l’Ecriture, que les générations se succedent, mais que la terre demeure à jamais ou éternellement ; terra autem in æternum stat. En effet, M. le Clerc remarque qu’il n’y a point de mot hébreu qui exprime proprement l’éternité ; le terme holam n’exprime qu’un tems dont le commencement ou la fin sont inconnus, & se prend dans un sens plus ou moins étendu, suivant la matiere dont il est question. Ainsi quand Dieu dit, au sujet des lois judaïques, qu’elles doivent être observées laholam, à jamais, il faut sous-entendre qu’elles le seront aussi long-tems que Dieu le jugera à propos, ou pendant un espace de tems dont la fin étoit inconnue aux Juifs avant la venue du Messie. Toutes les lois générales, ou celles qui ne regardent pas des especes particulieres, sont établies à perpétuité, soit que leur texte renferme cette expression, soit qu’il ne la renferme pas ; ce qui toutefois ne signifie pas que la puissance législatrice & souveraine ne pourra jamais les changer ou les abréger.

Tillotson soûtient, avec autant de force que de fondement, que dans les endroits de l’Ecriture où il est parlé des tourmens de l’enfer, les expressions doivent être entendues dans un sens étroit & d’une durée infinie ; & ce qu’il regarde comme une raison décisive, c’est que dans un seul & même passage (en S. Matth. chap. xxv.), la durée de la punition des méchans se trouve exprimée par les mêmes termes dont on se sert pour exprimer la durée du bonheur des justes, qui, de l’aveu de tout le monde, doit être éternel. En parlant des réprouvés, il y est dit qu’ils iront au supplice éternel, ou qu’ils seront livrés à des tourmens éternels : & en parlant des justes, il est dit qu’ils entreront en possession de la vie éternelle ; & ibunt hi in supplicium æternum, justi autem in vitam æternam.

Cet auteur entreprend de concilier le dogme de l’éternité des peines avec ceux de la justice & de la miséricorde divine ; & il s’en tire d’une maniere beaucoup plus satisfaisante que ceux qui avoient tenté avant lui de sauver les contrariétés apparentes qui résultent de ces objets de notre foi.

En effet, quelques Théologiens, pour résoudre ces difficultés, avoient avancé que tout péché est infini, par rapport à l’objet contre lequel il est commis, c’est-à-dire par rapport à Dieu ; mais il est absurde de prétendre que tous les crimes sont aggravés à ce point par rapport à l’objet offensé, puisque dans ce cas le mal & le démérite de tout péché seroient nécessairement égaux, en ce qu’il ne peut y avoir rien au-dessus de l’infini que le péché offense. Ce seroit renouveller un des paradoxes des Stoïciens ; & par conséquent on ne pourroit fonder sur rien les degrés de punition pour la vie à venir : car quoiqu’elle doive être éternelle dans sa durée, il n’est pas hors de vraissemblance qu’elle ne sera pas égale dans sa violence, & qu’elle pourra être plus ou moins vive, à proportion du caractere ou du degré de malice qu’auront renfermé tels ou tels péchés. Ajoutez que pour la même raison le moindre péché contre Dieu étant infini, par rapport à son objet, on peut dire que la moindre punition que Dieu inflige est infinie par rapport à son auteur, & par conséquent que toutes les punitions que Dieu infligeroit seroient égales, comme tous les péchés commis contre Dieu seroient égaux ; ce qui répugne.

D’autres ont prétendu que si les méchans pouvoient vivre toûjours, ils ne cesseroient jamais de pécher. « Mais c’est là, dit Tillotson, une pure spé-

culation, & non pas un raisonnement : c’est une supposition gratuite & dénuée de fondement. Qui peut assûrer, ajoûte-t-il, que si un homme vivoit si long-tems, il ne se repentiroit jamais » ? D’ailleurs la justice vengeresse de Dieu ne punit que les péchés commis par les hommes, & non pas ceux qu’ils auroient pû commettre ; comme sa justice rémunérative ne couronne que les bonnes œuvres qu’ils ont faites réellement, & non celles qu’ils auroient pû faire, ainsi que le prétendoient les Sémi-Pélagiens. Voyez Sémi-Pélagiens.

C’est pourquoi d’autres ont soûtenu que Dieu laisse à l’homme le choix d’une félicité ou d’une misere éternelle, & que la récompense promise à ceux qui lui obéissent, est égale à la punition dont il menace ceux qui refusent de lui obéir. On répond à cela, que s’il n’est point contraire à la justice de porter trop loin la récompense, parce que cette matiere est de pure faveur, il peut être contraire à la justice de porter la punition à l’excès. On ajoûte que dans ce cas l’homme n’a pas sujet de se plaindre, puisqu’il ne doit s’en prendre qu’à son propre choix. Mais quoique cette raison suffise pour imposer silence au pécheur, & lui arracher cet aveu, qu’il est la cause de son malheur, perditio tua ex te, Israel ; on sent qu’elle ne résout pas pleinement l’objection tirée de la disproportion entre le crime & le supplice.

Voyons comment Tillotson, mécontent de tous ces systèmes, a entrepris de résoudre cette difficulté.

Il commence par observer que la mesure des punitions par rapport aux crimes, ne se regle pas seulement ni toûjours sur la qualité & sur le degré de l’offense, & moins encore sur la durée & sur la continuation de l’offense, mais sur les raisons d’œconomie ou de gouvernement, qui demandent des punitions capables de porter les hommes à observer les lois, & de les détourner d’y donner atteinte. Parmi les hommes, on ne regarde point comme une injustice de punir le meurtre & plusieurs autres crimes qui se commettent souvent en un moment, par la perte ou privation perpétuelle de l’état de citoyen, de la liberté, & même de la vie du coupable ; de sorte que l’objection tirée de la disproportion entre des crimes passagers & des tourmens éternels, ne peut avoir ici aucune force.

En effet, la maniere de regler la proportion entre les crimes & les punitions, est moins l’objet de la justice, qu’elle n’est l’objet de la sagesse & de la prudence du législateur, qui peut appuyer ses lois par la menace de telles peines qu’il juge à propos, sans qu’on puisse à cette occasion l’accuser de la plus legere injustice : cette maxime est indubitable.

La premiere fin de toute menace n’est point de punir, mais de prevenir ou faire éviter la punition. Dieu ne menace point afin que l’homme peche & & qu’il soit puni, mais afin qu’il s’abstienne de pécher & qu’il évite le châtiment attaché à l’infraction de la loi ; de sorte que plus la menace est terrible & imposante, plus il y a de bonté dans l’auteur de la menace.

Après tout, il faut faire attention, ajoûte le même auteur, que celui qui fait la menace se reserve le pouvoir de l’exécuter lui-même. Il y a cette différence entre les promesses & les menaces, que celui qui promet donne droit à un autre, & s’oblige à exécuter sa parole, que la justice & la fidélité ne lui permettent pas de violer : mais il n’en est pas de même à l’égard des menaces ; celui qui menace se reserve toûjours le droit de punir quand il le voudra, & n’est point obligé à la rigueur d’exécuter ses menaces, ni de les porter plus loin que n’exigent l’économie, les raisons, & les fins de son gouvernement. C’est ainsi que Dieu menaça la ville de Ninive d’une destruction totale, si elle ne faisoit pénitence dans un