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tems limité : mais comme il connoissoit l’étendue de son propre droit, il fit ce qu’il voulut ; il pardonna à cette ville, en considération de sa pénitence, se relâchant du droit de la punir.

Tels sont les raisonnemens de Tillotson, auxquels nous n’ajoûterons qu’une réflexion pour prévenir cette fausse conséquence qu’on en pourroit tirer : savoir, que ce qu’on lit dans l’Ecriture sur les peines de l’enfer, n’est simplement que comminatoire, comme le prétendent les Sociniens. Sans doute tant que l’homme est en cette vie, il peut les éviter ces peines ; mais après la mort, lorsque l’iniquité est consommée, & qu’il n’y a plus lieu au mérite pour fléchir le courroux d’un Dieu outragé & justement irrité, le pécheur peut-il l’accuser d’injustice, de lui infliger des peines éternelles ? puisque pendant la vie il étoit à son choix de les éviter, & de parvenir à une éternelle félicité. D’ailleurs, il est également révelé, & que ces menaces ont déjà été accomplies réellement dans les anges rebelles, & qu’elles seront réellement accomplies dans les réprouvés à la fin des siecles ; ce qui prouve que la raison seule ne suffit pas pour décider cette question, & qu’il faut nécessairement avoir recours à la révélation, pour démontrer l’éternité & la justice des peines de la vie future. (G)

Enfer, ades ou hades, (Théologie.) se prend aussi quelquefois, dans le style de l’Ecriture, pour la mort & pour la sépulture, parce que les mots hébreux & grecs signifient quelquefois l’enfer, ou le lieu dans lequel sont les réprouvés, & quelquefois la sépulture des morts. V. Tombeau & Sepulcre.

Les Théologiens sont divisés sur l’article du symbole des apôtres où il est dit que Notre Seigneur a été crucifié, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, & qu’il est descendu aux enfers, hades ; quelques-uns n’entendent par cette descente aux enfers, que la descente dans le tombeau ou dans le sepulcre. Les autres leur objectent que dans le symbole même, ces deux descentes se trouvent expressément distinguées, & qu’il y est fait mention de la descente du Sauveur dans le sépulcre, sepultus est, avant qu’il soit parlé de sa descente aux enfers, descendit ad inferos. Ils soûtiennent donc que l’ame de Jesus-Christ descendit effectivement dans l’enfer soûterrain ou local, & qu’il y triompha des démons. Autrement les expressions du symbole seroient une pure tautologie.

Les Catholiques ajoûtent que Jesus-Christ descendit dans les lymbes, c’est-à-dire dans les lieux bas de la terre, où étoient détenues les ames des justes morts dans la grace de Dieu avant l’avenement & la passion du Sauveur, & qu’il les emmena avec lui dans le paradis, suivant ces passages d’Osée : ero mors tua, ô mors, & morsus tuus ero, inferne. Et de S. Paul : ascendens Christus in altum, captivam duxit captivitatem. Voyez Lymbes & Ascension. (G)

Enfer, (Poétique.) ou Enfers, s. m. pl. (Myth.) nom général, qui, dans la théologie du Paganisme, désignoit les lieux soûterrains où alloient les ames des hommes, pour y être jugées par Minos, Eaque, & Rhadamanthe. Pluton en étoit le dieu & le roi ; Proserpine son épouse en étoit la déesse & la reine.

Cet endroit contenoit, entre autres demeures, les champs Elysées, & le Tartare environné de cinq fleuves, qu’on nomme le Styx, le Cocyte, l’Achéron, le Lethé, & le Phlégéton. Cerbere, chien à trois têtes & à trois gueules, admirablement dépeint par Virgile, étoit toûjours à la porte des enfers, pour empêcher les hommes d’y entrer & les ames d’en sortir. Avant que d’arriver à la cour de Pluton & au tribunal de Minos, il falloit passer l’Achéron dans une barque conduite par Caron, à qui les ombres donnoient une piece de monnoie pour leur passage. Virgile fait encore de ce batelier un portrait inimitable : « Un air mal-propre, une barbe longue & né-

gligée, la parole rude, des yeux étincelans, les

traits d’une vieillesse robuste & vigoureuse ». Tel étoit Caron ; mais lisez les vers de l’original ; je n’en donne qu’une foible esquisse.

Portitor has horrendus aquas & flumina servat,
Terribili squalore Charon, cui plurima mento
Canities inculta jacet, stant lumina flamma ;
Sordidus ex humeris nodo dependet amictus ;
Jam senior, sed cruda deo, viridisque senectus.

Presque tous les peuples du monde ont imaginé un paradis & un enfer, conformément à leur génie ; détail immense de la folie des humains, dans lequel nous n’entrerons point ici ! On peut lire là-dessus Thomas Hyde, Vossius, Marsham, & M. Huet. Borné présentement à la Mythologie, je remarquerai seulement que c’est Orphée, qui au retour de ses voyages d’Egypte, jetta en Grece le plan d’un nouveau système sur ce sujet, & que c’est de lui qu’est venu l’idée des champs Elysées & du Tartare, que tous les auteurs ont suivi, quoiqu’ils ayent extremement varié sur la situation des lieux destinés à punir les méchans, & à récompenser les bons.

C’est pourquoi l’on trouve dans les Poëtes tant d’entrées différentes qui conduisent aux enfers. Voyez sur cela l’article précédent.

En un mot, chacun a choisi pour l’endroit de la position des enfers, dont la religion payenne n’apprenoit rien de certain, le lieu qui lui a paru le plus propre à devenir le séjour du malheur ; & en conséquence, chacun a décrit ce lieu diversement, suivant le caractere de son imagination.

Mais aucun poëte n’a mieux réussi que Virgile. Il a mis dans le plus beau jour tout ce qu’Homere, & après lui Platon, avoient enseigné sur cet article. La description des enfers, du chantre de Mantoüe, est supérieure à celle de l’auteur de l’Odyssée, & encore plus au-dessus de celle de Sylvius Italicus, de Claudien, de Lucain, & de tous les autres qui ont travaillé après lui : c’est une topographie parfaite de l’empire de Pluton ; c’est le chef-d’œuvre de l’art ; c’est le plus beau morceau de l’Enéïde.

Dans cette admirable carte topographique, le poëte divise le séjour des ombres en sept demeures. La premiere est celle des enfans morts en naissant, qui gémissent de n’avoir fait qu’entrevoir la lumiere du jour.

Infantumque animæ flentes in limine primo,
Quos dulcis vitæ exortes, & ab ubere raptos
Abstulit atra dies, & funere mersit acerbo.

Ænéid. Liv. VI.

Ceux qui avoient été injustement condamnés à perdre la vie, occupent la seconde demeure.

Hos juxtà, falso damnati crimine mortis. Ibid.

Dans la troisieme, sont ceux qui, sans être coupables, mais vaincus par le chagrin & les miseres d’ici-bas, se sont eux-mêmes donné la mort.

Proxima deindè tenent mæsti loca, qui sibi lethum
Insontes peperêre manu, lucemque perosi
Projecere animas : quam vellent æthere in alto
Nunc & pauperiem & duros perferre labores ! &c.
Fata obstant tristique palus inamabilis undâ
Alligat, & novies styx interfusa coercet.

M. de Voltaire, dans ses mêlanges de Littérature & de Philosophie, a traduit ces vers ainsi :

Là sont ces insensés, qui d’un bras téméraire
Ont cherché dans la mort un secours volontaire ;
Ils n’ont pû supporter, foibles & furieux,
Le fardeau de la vie imposé par les dieux.
. . . Ils regrettent le jour, ils pleurent ; & le sort,
Le sort pour les punir les enchaîne à la mort,
L’abysme du Cocyte & l’Achéron terrible
Met entr’eux & la vie un obstacle invincible.