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utiles dont il décora la ville de Reims, & sur-tout par les travaux immenses qu’il entreprit à ses frais pour y conduire des eaux abondantes & salubres qui manquoient auparavant, ils lui prodiguerent enfin avec le reste de la France le tribut d’éloges & d’admiration qu’ils ne pouvoient refuser à son généreux patriotisme.

Un si beau modele touchera sans doute le cœur des François, encouragés d’ailleurs par l’exemple de plusieurs sociétés établies en Angleterre, en Ecosse & en Irlande, sociétés uniquement occupées de vûes économiques, & qui de leurs propres deniers font tous les ans des largesses considérables aux laboureurs & aux artistes qui se distinguent par la supériorité de leurs travaux & de leurs découvertes. Le même goût s’est répandu jusqu’en Italie. On apprit l’an passé le nouvel établissement d’une académie d’Agriculture à Florence.

Mais c’est principalement en Suede que la science économique semble avoir fixé le siége de son empire. Dans les autres contrées elle n’est cultivée que par quelques amateurs, ou par de foibles compagnies encore peu accréditées & peu connues : en Suede, elle trouve une académie royale qui lui est uniquement dévoüée ; qui est formée d’ailleurs & soûtenue par tout ce qu’il y a de plus savant & de plus distingué dans l’état ; académie qui écartant tout ce qui n’est que d’érudition, d’agrément & de curiosité, n’admet que des observations & des recherches tendantes à l’utilité physique & sensible.

C’est de ce fonds abondant que s’enrichit le plus souvent notre journal économique, production nouvelle digne par son objet de toute l’attention du ministere, & qui l’emporteroit par son utilité sur tous nos recueils d’académies, si le gouvernement commettoit à la direction de cet ouvrage des hommes parfaitement au fait des sciences & des arts économiques, & que ces hommes précieux, animés & conduits par un supérieur éclairé, ne fussent jamais à la merci des entrepreneurs, jamais frustrés par conséquent des justes honoraires si bien dûs à leur travail.

Ce seroit en effet une vûe bien conforme à la justice & à l’économie publique, de ne pas abandonner le plus grand nombre des sujets à la rapacité de ceux qui les employent, & dont le but principal, ou pour mieux dire unique, est de profiter du labeur d’autrui sans égard au bien des travailleurs. Sur quoi j’observe que dans ce conflit d’intérêts le gouvernement devroit abroger toute concession de droits privatïfs, fermer l’oreille à toute représentation qui, colorée du bien public, est au fond suggérée par l’esprit de monopole, & qu’il devroit opérer sans ménagement ce qui est équitable en soi, & favorable à la franchise des arts & du commerce.

Quoi qu’il en soit, nous pouvons féliciter la France de ce que parmi tant d’académiciens livrés à la manie du bel esprit, mais peu touchés des recherches utiles, elle compte des génies supérieurs, des hommes consommés en tout genre de sciences, lesquels ont toûjours allié la beauté du style, les graces même de l’éloquence avec les études les plus solides, & qui s’étant consacrés depuis bien des années à des travaux & à des essais économiques, nous ont enrichis, comme on sait, des découvertes les plus intéressantes.

Il paroît enfin que depuis la paix de 1748, le goût de l’économie publique gagne insensiblement l’Europe entiere. Les princes aujourd’hui, plus éclairés qu’autrefois, ambitionnent beaucoup moins de s’aggrandir par la guerre. L’histoire & l’expérience leur ont également appris que c’est une voie incertaine & destructive. L’amélioration de leurs états leur en présente une autre plus courte & plus assûrée ; aussi tous s’y livrent comme à l’envi, & ils paroissent plus disposés

que jamais à profiter de tant d’ouvrages publiés de nos jours sur le commerce, la navigation, & la finance, sur l’exploitation des terres, sur l’établissement & le progrès des arts les plus utiles ; dispositions favorables, qui contribueront à rendre les sujets plus économes, plus sains, plus fortunés, & je crois même plus vertueux.

En effet, la véritable économie également inconnue à l’avare & au prodigue, tient un juste milieu entre les extrèmes opposés ; & c’est au défaut de cette vertu si déprimée, qu’on doit attribuer la plûpart des maux qui couvrent la face de la terre. Le goût trop ordinaire des amusemens, des superfluités & des délices entraîne la mollesse, l’oisiveté, la dépense, & souvent la disette, mais toûjours au moins la soif des richesses, qui deviennent d’autant plus nécessaires qu’on s’assujettit à plus de besoins ; ce qui produit ensuite les artifices & les détours, la rapacité, la violence, & tant d’autres excès qui viennent de la même source.

Je prêche donc hautement l’épargne publique & particuliere ; mais c’est une épargne sage & desintéressée, qui donne du courage contre la peine, de la fermeté contre le plaisir, & qui est enfin la meilleure ressource de la bienfaisance & de la générosité ; c’est cette honnête parcimonie si chere autrefois à Pline le jeune, & qui le mettoit en état, comme il le dit lui-même, de faire dans une fortune médiocre, de grandes libéralités publiques & particulieres. Quidquid mihi pater tuus debuit, acceptum tibi ferri jubeo ; nec est quod verearis ne sit mihi ista onerosa donatio. Sunt quidem omnino nobis modicæ facultates, dignitas sumptuosa, reditus propter conditionem agellorum nescio minor an incertior ; sed quod cessat ex reditu, frugalitate suppletur, ex quâ velut à fonte liberalitas nostra decurrit. Lettres de Pline, livre II. lettre jv. On trouve dans toutes ces lettres mille traits de bienfaisance. Voyez sur-tout liv. III. lett. xj. liv. IV. lett. xiij. &c.

Rien ne devroit être plus recommandé aux jeunes gens que cette habitude vertueuse, laquelle deviendroit pour eux un préservatif contre les vices. C’est en quoi l’éducation des anciens étoit plus conséquente & plus raisonnable que la nôtre. Ils accoûtumoient les enfans de bonne-heure aux pratiques du ménage, tant par leur propre exemple que par le pécule qu’ils leur accordoient, & que ceux-ci, quoique jeunes & dépendans, faisoient valoir à leur profit. Cette legere administration leur donnoit un commencement d’application & de sollicitude, qui devenoit utile pour le reste de la vie.

Que nous pensons là-dessus différemment des anciens ! on n’oseroit aujourd’hui tourner les jeunes gens à l’économie ; & ce seroit, comme l’on pense, n’avoir pas de sentimens que de leur en inspirer l’estime & le goût. Erreur bien commune dans notre siecle, mais erreur funeste qui nuit infiniment à nos mœurs. On a fondé en mille endroits des prix d’éloquence & de poésie ; qui fondera parmi nous des prix d’épargne & de frugalité ?

Au reste, ces propositions n’ont d’autre but que d’éclairer les hommes sur leurs intérêts, de les rendre plus attentifs sur le nécessaire, moins ardens sur le superflu, en un mot d’appliquer leur industrie à des objets plus fructueux, & d’employer un plus grand nombre de sujets pour le bien moral, physique & sensible de la société. Plût au ciel que de telles mœurs prissent chez nous la place de l’intérêt, du luxe & des plaisirs ; que d’aisance, que de bonheur & de paix il en résulteroit pour tous les citoyens ! Cet article est de M. Faiguet.

EPARGNE, (Hydr.) Voyez Ajutage.

Épargne, (Gravure en bois.) ouvrage fait à taille d’épargne ; c’est une maniere de graver ou entailler le bois, les pierres, les métaux, &c. qui se dit lorsqu’on taille & qu’on enleve le fond de la matiere, & qu’on n’épargne & qu’on ne laisse en relief que les parties qu’on veut faire paroître à la vûe, ou qui doivent marquer & imprimer : anaglyphum scalpere, incidere. Ainsi les gravures en bois sont taillées ou gravées en épargne : car au lien que dans la gravure en cuivre ou taille-douce, les traits & lignes qui doivent paroître, sont gravés en creux dans le métal, & que les blancs restent relevés sur la planche ; au contraire dans les tailles ou gravures en bois, les blancs sont enfoncés, creusés, & vuidés, & les traits & lignes qui doivent paroître, sont élevés & épargnés ; d’où l’on doit concevoir la difficulté, la longueur, & la précision qu’exige cette sorte de gravure.

* EPARS. (Gramm.) Il se dit en général d’un grand nombre d’objets de la même espece, distri-