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chaleur se répand ; il ne faut que quelques étincelles de ce feu pour embraser toute notre atmosphere. La Lune & les planetes peuvent briller ou de leur lumiere propre, ou d’une lumiere empruntée du Soleil ; & les éclipses avoir pour cause, ou l’extinction momentanée du corps éclipsé, ou l’interposition d’un corps qui l’éclipse. S’il arrive à une planete de traverser des régions pleines de matieres contraires au feu & à la lumiere, ne s’éteindra-t-elle pas ? ne sera-t-elle pas éclipsée ? Les nuées sont ou des masses d’un air condense par l’action des vents, ou des amas d’atomes qui se sont accumulés peu-à-peu, ou des vapeurs élevées de la terre & des mers. Les vents sont ou des courans d’atomes dans l’atmosphere, ou peut-être des souffles impétueux qui s’échappent de la terre & des eaux, ou même une portion d’air mise en mouvement par l’action du Soleil. Si des molécules ignées se réunissent, forment une masse, & sont pressées dans une nuée, elles feront effort en tout sens pour s’en échapper, & la nuée ne s’entre-ouvrira point sans éclair & sans tonnerre. Quand les eaux suspendues dans l’atmosphere seront rares & éparses, elles retomberont en pluie sur la terre, ou par leur propre poids, ou par l’agitation des vents. Le même phénomene aura lieu, quand elles formeront des masses épaisses ; si la chaleur vient à les raréfier, ou les vents à les disperser. Elles se mettent en gouttes, en se rencontrant dans leur chûte : ces gouttes glacées ou par le froid ou par le vent, forment de la grêle. Le même phénomene aura lieu, si quelque chaleur subite vient à resoudre un nuage glacé. Lorsque le Soleil se trouve dans une opposition particuliere avec un nuage, qu’il frappe de ses raiyons, il forme l’arc-en-ciel. Les couleurs de l’arc-en-ciel font un effet de cette opposition, & de l’air humide qui les produit toutes, ou qui n’en produit qu’une qui se diversifie selon la région qu’elle traverse, & la maniere dont elle s’y meut. Lorsque la terre a été trempée de longues pluies & échauffée par des chaleurs violentes, les vapeurs qui s’en élevent infectent l’air & répandent la mort au loin, &c.

De la théologie. Après avoir posé pour principe qu’il n’y a dans la nature que de la matiere & du vuide, que penserons-nous des dieux ? abandonnerons-nous notre philosophie pour nous asservir à des opinions populaires, ou dirons-nous que les dieux sont des êtres corporels ? Puisque ce sont des dieux, ils sont heureux ; ils jouissent d’eux-mêmes en paix ; rien de ce qui se passe ici-bas ne les affecte & ne les trouble ; & il est suffisamment démontré par les phénomenes du monde physique & du monde moral, qu’ils n’ont eu aucune part à la production des êtres, & qu’ils n’en prennent aucune à leur conservation. C’est la nature même qui a mis la notion de leur existence dans notre ame. Quel est le peuple si barbare, qui n’ait quelque notion anticipée des dieux ? nous opposerons-nous au consentement général des hommes ? éleverons-nous notre voix contre la voix de la nature ? La nature ne ment point ; l’existence des dieux se prouveroit même par nos préjugés. Tant de phénomenes, qui ne leur ont été attribués que parce que la nature de ces êtres & la cause des phénomenes étoient ignorées ; tant d’autres erreurs ne sont-elles pas autant de garans de la croyance générale ? Si un homme a été frappé dans le sommeil par quelque grand simulacre, & qu’il en ait conservé la mémoire à son réveil ; il a conclu que cet idole avoit nécessairement son modele errant dans la nature ; les voix qu’il peut avoir entendues, ne lui ont pas permis de douter que ce modele ne fût d’une nature intelligente ; & la constance de l’apparition en différens tems & sous une même forme, qu’il ne fût immortel : mais l’être qui est immortel, est inaltérable, & l’être qui est inaltérable, est par-

faitement heureux, puisqu’il n’agit sur rien, ni rien

sur lui, L’existence des dieux a donc été & sera donc à jamais une existence stérile, & par la raison même qu’elle ne peut être altérée ; car il faut que le principe d’activité, qui est la source féconde de toute destruction & de toute reproduction, soit anéanti dans ces êtres. Nous n’en avons donc rien à espérer ni à craindre. Qu’est ce donc que la divination ? qu’est-ce que les prodiges ? qu’est-ce que les religions ? S’il étoit du quelque culte aux dieux, ce seroit celui d’une admiration qu’on ne peut refuser à tout ce qui nous offre l’image séduisante de la perfection & du bonheur. Nous sommes portés à croire les dieux de forme humaine ; c’est celle que toutes les nations leur ont attribuée ; c’est la seule sous la quelle la raison soit exercée, & la vertu pratiquée. Si leur substance étoit incorporelle, ils n’auroient ni sens, ni perception, ni plaisir, ni peine. Leur corps toutefois n’est pas tel que le nôtre, c’est seulement une combinaison semblable d’atomes plus subtils ; c’est la même organisation, mais ce sont des organes infiniment plus parfaits ; c’est une nature particuliere si déliée, si ténue, qu’aucune cause ne peut ni l’atteindre, ni l’altérer, ni s’y unir, ni la diviser, & qu’elle ne peut avoir aucune action. Nous ignorons les lieux que les dieux habitent : ce monde n’est pas digne d’eux, sans doute ; ils pourroient bien s’être refugiés dans les intervalles vuides que laissent entre eux les mondes contigus.

De la morale. Le bonheur est la fin de la vie : c’est l’aveu secret du cœur humain ; c’est le terme évident des actions mêmes qui en éloignent. Celui qui se tue regarde la mort comme un bien. Il ne s’agit pas de réformer la nature, mais de diriger sa pente générale. Ce qui peut arriver de mal à l’homme, c’est de voir le bonheur où il n’est pas, ou de le voir où il est en effet, mais de se tromper sur les moyens de l’obtenir. Quel sera donc le premier pas de notre philosophie morale, si ce n’est de rechercher en quoi consiste le vrai bonheur ? Que cette étude importante soit notre occupation actuelle. Puisque nous voulons être heureux dès ce moment, ne remettons pas à demain à savoir ce que c’est que le bonheur. L’insensé se propose toûjours de vivre, & il ne vit jamais. Il n’est donné qu’aux immortels d’être souverainement heureux. Une folie dont nous avons d’abord à nous garantir, c’est d’oublier que nous ne sommes que des hommes. Puisque nous desesperons d’être jamais aussi parfaits que les dieux que nous nous sommes proposés pour modeles, resolvons-nous à n’être point aussi heureux. Parce que mon œil ne perce pas l’immensité des espaces, dédaignerai je de l’ouvrir sur les objets qui m’environnent ? Ces objets deviendront une source intarissable de volupté, si je sais en joüir ou les négliger. La peine est toûjours un mal, la volupté toûjours un bien : mais il n’est point de volupté pure. Les fleurs croissent à nos piés, & il faut au moins se pencher pour les cueillir. Cependant, ô volupté ! c’est pour toi seule que nous faisons tout ce que nous faisons ; ce n’est jamais toi que nous évitons, mais la peine qui ne t’accompagne que trop souvent. Tu échauffes notre froide raison ; c’est de ton énergie que naissent la fermeté de l’ame & la force de la volonté ; c’est toi qui nous meus, qui nous transportes, & lorsque nous ramassons des roses pour en former un lit à la jeune beauté qui nous a charmés, & lorsque bravant la fureur des tyrans, nous entrons tête baissée & les yeux fermés dans les taureaux ardens qu’elle a préparés. La volupté prend toutes sortes de formes. Il est donc important de bien connoître le prix des objets sous lesquels elle peut se présenter à nous, afin que nous ne soyons point incertains quand il nous convient de l’accueillir ou de la repousser, de vivre ou de mou-