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les sciences physico-mathématiques, & qui bien loin d’être obligés (comme on l’étoit autrefois) d’oublier ce qu’ils ont appris, sont au contraire en état d’en faire usage pour se livrer aux parties de la Physique qui leur plaisent le plus. L’utilité qu’on peut retirer de cette méthode est si grande, qu’il seroit à souhaiter ou qu’on augmentât d’une année le cours de Philosophie des colléges, ou qu’on prît dès la premiere année le parti d’abréger beaucoup la Métaphysique & la Logique, auxquelles cette premiere année est ordinairement consacrée presque toute entiere. Je n’ai garde de proscrire deux sciences dont je reconnois l’utilité & la nécessité indispensable ; mais je crois qu’on les traiteroit beaucoup moins longuement, si on les réduisoit à ce qu’elles contiennent de vrai & d’utile ; renfermées en peu de pages elles y gagneroient, & la Physique aussi qui doit les suivre.

C’est dans ces circonstances que le Roi vient d’établir dans l’université de Paris une chaire de physique expérimentale. L’état présent de la Physique parmi nous, le goût que les ignorans mêmes témoignent pour elle, l’exemple des étrangers, qui joüissent depuis long-tems de l’avantage d’un tel établissement, tout sembloit demander que nous songeassions à nous en procurer un semblable. L’occasion ne fut jamais plus favorable pour affermir dans un corps aussi utile & aussi estimable que l’université de Paris, le goût de la saine Physique, qui s’y répand avec tant de succès depuis plusieurs années. Le mérite reconnu de l’académicien qui occupe cette chaire, nous répond du succès avec lequel il la remplira. Je suis bien éloigné de lui tracer un plan que sa capacité & son expérience lui ont sans doute déjà montré depuis long-tems. Je prie seulement qu’on me permette quelques réflexions générales sur le véritable but des expériences. Ces réflexions ne seront peut-être pas inutiles aux jeunes éleves, qui se disposent à profiter du nouvel établissement si avantageux au progrès de la Physique. Les bornes & la nature de cet article m’obligeront d’ailleurs à abréger beaucoup ces réflexions, à ne faire que les ébaucher, pour ainsi dire, & en présenter l’esprit & la substance.

Les premiers objets qui s’offrent à nous dans la Physique, sont les propriétés générales des corps, & les effets de l’action qu’ils exercent les uns sur les autres. Cette action n’est point pour nous un phénomene extraordinaire ; nous y sommes accoûtumés dès notre enfance : les effets de l’équilibre & de l’impulsion nous sont connus, je parle des effets en général ; car pour la mesure & la loi précise de ces effets, les Philosophes ont été long-tems à la chercher, & plus encore à la trouver : cependant un peu de réflexion sur la nature des corps, jointe à l’observation des phénomenes qui les environnoient, auroient dû, ce me semble, leur faire découvrir ces lois beaucoup plûtôt. J’avoue que quand on voudra résoudre ce problème métaphysiquement & sans jetter aucun regard sur l’univers, on parviendra peut-être difficilement à se satisfaire pleinement sur cet article, & à démontrer en toute rigueur qu’un corps qui en rencontre un autre doit lui communiquer du mouvement : mais quand on fera attention que les lois du mouvement se réduisent à celles de l’équilibre, & que par la nature seule des corps il y a antérieurement à toute expérience & à toute observation un cas d’équilibre dans la nature, on déterminera facilement les lois de l’impulsion qui résultent de cette loi d’équilibre. Voyez Equilibre. Il ne reste plus qu’à savoir si ces lois sont celles que la nature doit observer. La question seroit bien-tôt décidée, si on pouvoit prouver rigoureusement que la loi d’équilibre est unique ; car il s’ensuivroit de-là que les lois du mouvement sont invariables & nécessaires. La Métaphysique aidée des raisonnemens géométriques

fourniroit, si je ne me trompe, de grandes lumieres sur l’unité de cette loi d’équilibre, & parviendroit peut-être à la démontrer (voyez Equilibre) : mais quand elle seroit impuissante sur cet article, l’observation & l’expérience y suppléeroient abondamment. Au défaut des lumieres que nous cherchons sur le droit, elles nous éclairent au moins sur le fait, en nous montrant que dans l’univers, tel qu’il est, la loi de l’équilibre est unique ; les phénomenes les plus simples & les plus ordinaires nous assûrent de cette vérité. Cette observation commune, ce phénomene populaire, si on peut parler ainsi, suffit pour servir de base à une théorie simple & lumineuse des lois du mouvement : la physique expérimentale n’est donc plus nécessaire pour constater ces lois, qui ne sont nullement de son objet. Si elle s’en occupe, ce doit être comme d’une recherche de simple curiosité, pour réveiller & soûtenir l’attention des commençans, à-peu-près comme on les exerce dès l’entrée de la Géométrie à faire des figures justes, pour avoir le plaisir de s’assûrer par leurs yeux de ce que la raison leur a déjà démontré : mais un physicien proprement dit, n’a pas plus besoin du secours de l’expérience pour démontrer les lois du mouvement & de la Statique, qu’un bon géometre n’a besoin de regle & de compas pour s’assûrer qu’il a bien résolu un problème difficile.

La seule utilité véritable que puissent procurer au physicien les recherches expérimentales sur les lois de l’équilibre, du mouvement, & en général sur les affections primitives des corps, c’est d’examiner attentivement la différence entre le résultat que donne la théorie & celui que fournit l’expérience, & d’employer cette différence avec adresse pour déterminer, par exemple, dans les effets de l’impulsion, l’altération causée par la résistance de l’air ; dans les effets des machines simples, l’altération occasionnée par le frotement & par d’autres causes. Telle est la méthode que les plus grands physiciens ont suivie, & qui est la plus propre à faire faire à la Science de grands progrès : car alors l’expérience ne servira plus simplement à confirmer la théorie ; mais différant de la théorie sans l’ébranler, elle conduira à des vérités nouvelles auxquelles la théorie seule n’auroit pû atteindre.

Le premier objet réel de la physique expérimentale sont les propriétés générales des corps, que l’observation nous fait connoître, pour ainsi dire, en gros, mais dont l’expérience seule peut mesurer & déterminer les effets ; tels sont, par exemple, les phénomenes de la pesanteur. Aucune théorie n’auroit pû nous faire trouver la loi que les corps pesans suivent dans leur chûte verticale ; mais cette loi une fois connue par l’expérience, tout ce qui appartient au mouvement des corps pesans, soit rectiligne soit curviligne, soit incliné soit vertical, n’est plus que du ressort de la théorie ; & si l’expérience s’y joint, ce ne doit être que dans la même vûe & de la même maniere que pour les lois primitives de l’impulsion.

L’observation journaliere nous apprend de même que l’air est pesant, mais l’expérience seule pouvoit nous éclairer sur la quantité absolue de sa pesanteur : cette expérience est la base de l’Aérométrie, & le raisonnement acheve le reste. Voyez Aérométrie.

On sait que les fluides pressent & résistent quand ils sont en repos, & poussent quand ils sont en mouvement ; mais cette connoissance vague ne sauroit être d’un grand usage. Il faut, pour la rendre plus précise & par conséquent plus réelle & plus utile, avoir recours à l’expérience ; en nous faisant connoître les lois de l’Hydrostatique, elle nous donne en quelque maniere beaucoup plus que nous ne lui demandons ; car elle nous apprend d’abord ce que nous n’aurions jamais soupçonné, que les fluides