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ne pressent nullement comme les corps solides, ni comme feroit un amas de petits corpuscules contigus & pressés. Les lois de la chûte des corps, la quantité de la pesanteur de l’air, sont des faits que l’expérience seule a pû sans doute nous dévoiler, mais qui après tout n’ont rien de surprenant en eux-mêmes : il n’en est pas ainsi de la pression des fluides en tout sens, qui est la base de l’équilibre des fluides. C’est un phénomene qui paroît hors des lois générales, & que nous avons encore peine à croire, même lorsque nous n’en pouvons pas douter : mais ce phénomene une fois connu, l’Hydrostatique n’a guere besoin de l’expérience : il y a plus, l’Hydraulique même devient une science entierement ou presqu’entierement mathématique ; je dis presqu’entierement, car quoique les lois du mouvement des fluides se déduisent des lois de leur équilibre, il y a néanmoins des cas où l’on ne peut réduire les unes aux autres qu’au moyen de certaines hypothèses, & l’expérience est nécessaire pour nous assûrer que ces hypotheses sont exactes & non arbitraires.

Ce seroit ici le lieu de faire quelques observations sur l’abus du calcul & des hypothèses dans la Physique, si cet objet n’avoit été déjà rempli par des géometres mêmes qu’on ne peut accuser en cela de partialité. Au fond, de quoi les hommes n’abusent-ils pas ? on s’est bien servi de la méthode des Géometres pour embrouiller la Métaphysique : on a mis des figures de Géométrie dans des traités de l’ame ; & depuis que l’action de Dieu a été réduite en théorèmes, doit-on s’étonner que l’on ait essayé d’en faire autant de l’action des corps ? Voyez Degré.

Que de choses n’aurois-je point à dire ici sur les Sciences qu’on appelle physico-mathématiques, sur l’Astronomie physique entr’autres, sur l’Acoustique, sur l’Optique & ses différentes branches, sur la maniere dont l’expérience & le calcul doivent s’unir pour rendre ces Sciences le plus parfaites qu’il est possible ; mais afin de ne point rendre cet article trop long, je renvoie ces réflexions & plusieurs autres au mot Physique, qui ne doit point être séparé de celui-ci. Je me bornerai pour le présent à ce qui doit être le véritable & comme l’unique objet de la physique expérimentale ; à ces phénomènes qui se multiplient à l’infini, sur la cause desquels le raisonnement ne peut nous aider, dont nous n’appercevons point la chaîne, ou dont au-moins nous ne voyons la liaison que très-imparfaitement, très-rarement, & après les avoir envisagés sous bien des faces : tels sont, par exemple, les phénomenes de la Chimie, ceux de l’électricité, ceux de l’aimant, & une infinité d’autres. Ce sont-là les faits que le physicien doit sur-tout chercher à bien connoître : il ne sauroit trop les multiplier ; plus il en aura recueilli, plus il sera près d’en voir l’union : son objet doit être d’y mettre l’ordre dont ils seront susceptibles, d’expliquer les uns par les autres autant que cela sera possible, & d’en former, pour ainsi dire, une chaîne où il se trouve le moins de lacunes que faire se pourra ; il en restera toûjours assez ; la nature y a mis bon ordre. Qu’il se garde bien sur-tout de vouloir rendre raison de ce qui lui échappe ; qu’il se défie de cette fureur d’expliquer tout, que Descartes a introduite dans la Physique, qui a accoûtumé la plûpart de ses sectateurs à se contenter de principes & de raisons vagues, propres à soûtenir également le pour & le contre. On ne peut s’empêcher de rire, quand on lit dans certains ouvrages de Physique les explications des variations du barometre, de la neige, de la grêle, & d’une infinité d’autres faits. Ces auteurs, avec les principes & la méthode dont ils se servent, seroient du-moins aussi peu embarrassés pour expliquer des faits absolument contraires ; pour démontrer, par exemple, qu’en tems de pluie le barometre doit hausser, que

la neige doit tomber en été & la grêle en hyver, & ainsi des autres. Les explications dans un cours de Physique doivent être comme les réflexions dans l’Histoire, courtes, sages, fines, amenées par les faits, ou renfermées dans les faits mêmes par la maniere dont on les présente.

Au reste, quand je proscris de la Physique la manie des explications, je suis bien éloigné d’en proscrire cet esprit de conjecture, qui tout-à-la-fois timide & éclairé conduit quelquefois à des découvertes, pourvû qu’il se donne pour ce qu’il est, jusqu’à ce qu’il soit arrivé à la découverte réelle : cet esprit d’analogie, dont la sage hardiesse perce au delà de ce que la nature semble vouloir montrer, & prévoit les faits, avant que de les avoir vûs. Ces deux talens précieux & si rares, trompent à la vérité quelquefois celui qui n’en fait pas assez sobrement usage : mais ne se trompe pas ainsi qui veut.

Je finis par une observation qui sera courte, n’étant pas immédiatement de l’objet de cet article, mais à laquelle je ne puis me refuser. En imitant l’exemple des étrangers dans l’établissement d’une chaire de physique expérimentale qui nous manquoit, pourquoi ne suivrions-nous pas ce même exemple dans l’établissement de trois autres chaires très-utiles, qui nous manquent entierement, une de Morale, une de Droit public, & une d’Histoire ; trois objets qui appartiennent en un certain sens à la philosophie expérimentale, prise dans toute son étendue. Je suis certainement bien éloigné de mépriser aucun genre de connoissances ; mais il me semble qu’au lieu d’avoir au collége royal deux chaires pour l’Arabe, qu’on n’apprend plus ; deux pour l’Hébreu, qu’on n’apprend guere : deux pour le Grec, qu’on apprend assez peu, & qu’on devroit cultiver davantage ; deux pour l’Eloquence, dont la nature est presque le seul maître, on se contenteroit aisément d’une seule chaire pour chacun de ces objets ; & qu’il manque à la splendeur & à l’utilité de ce collége une chaire de Morale, dont les principes bien développés intéresseroient toutes les nations ; une de Droit public, dont les élémens même sont peu connus en France ; une d’Histoire enfin qui devroit être occupée par un homme tout-à-la-fois savant & philosophe, c’est-à-dire par un homme fort rare. Ce souhait n’est pas le mien seul ; c’est celui d’un grand nombre de bons citoyens ; & s’il n’y a pas beaucoup d’espérance qu’il s’accomplisse, il n’y a du moins nulle indiscrétion à le proposer. (O)

EXPERTS, s. m. pl. (Jurispr.) sont des gens versés dans la connoissance d’une science, d’un art, d’une certaine espece de marchandise, ou autre chose ; lesquels sont choisis pour faire leur rapport & donner leur avis sur quelque point de fait d’où dépend la décision d’une contestation, & que l’on ne peut bien entendre sans le secours des connoissances qui sont propres aux personnes d’une certaine profession.

Par exemple, s’il s’agit d’estimer des mouvances féodales, droits seigneuriaux, droits de justice & honorifiques, on nomme ordinairement des seigneurs & gentilshommes possédant des biens & droits de même qualité ; & pour l’estimation des terres labourables, des labours, des grains, & ustensiles de labour, on prend pour experts des laboureurs ; s’il s’agit d’estimer des bâtimens, on prend pour experts des architectes, des maçons, & des charpentiers, chacun pour ce qui est de leur ressort ; s’il s’agit de vérifier une écriture, on prend pour experts des maîtres écrivains ; & ainsi des autres matieres.

Les experts sont nommés dans quelques anciens auteurs juratores, parce qu’ils doivent prêter serment en justice avant de procéder à leur commission ; & comme on ne nomme des experts que sur